Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, une usine automobile (celle d’Opel à Bochum, qui appartient à General Motors) est sur le point de fermer en Allemagne. Afin de sauver l’emploi, nous défendons la nationalisation des entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs, sous le contrôle des travailleurs, avec par exemple l’instauration d’une semaine de travail de 30 heures sans perte de salaire.
Stephan Kimmerle, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)
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Au cours de la nuit du 9 au 10 septembre dernier, 150 travailleurs d’Opel, écœurés par les plans de restructuration, sont entrés en grève spontanée après un meeting de 17 heures organisé par leur comité d’entreprise. Durant le meeting, la colère bouillonnante de ces travailleurs qui réclament la garantie de l’avenir de leurs postes, de leurs familles et de leur région était très visible. Cette grève a toutefois subi d’énormes pressions patronales, sans recevoir le soutien du syndicat. C’est ce qui a permis à la direction de parvenir à mettre fin à la grève et d’empêcher son extension aux travailleurs qui arrivaient le matin.
La région de la Ruhr, déjà appauvrie, souffrira des énormes conséquences de la fermeture d’Opel. Mais la résistance est des plus limitées, en net contraste avec les traditions militantes de cette usine qui a connu nombre de grèves. Parmi elles, une grève spontanée et non-reconnue par le sommet syndical avait éclaté en 2004 et avait duré 6 jours pour protester contre le licenciement de milliers de travailleurs. Une autre, en 2000, avait résisté à la délocalisation et la division des travailleurs.
Mais cette fois, aucune résistance n’aura été opposée au coup de grâce contre ces 5000 travailleurs (3200 dans l’usine et environ 2000 chez les fournisseurs directs et les sous-traitants sur le site), malgré des traditions combatives.
En mars 2013, plus de trois quarts des travailleurs de Bochum avaient rejeté un accord proposé par la direction au syndicat IG Metall et au comité d’entreprise. En échange de vagues promesses, les travailleurs devaient accepter de mettre un terme à la production de voitures en 2016, d’être moins bien payés, et d’abandonner les conventions collectives et toute possibilité de promotion. Alors que toutes les usines d’Opel en Allemagne ont été contraintes par le syndicat et le comité d’entreprise à accepter ce plan, les travailleurs de Bochum ont refusé de financer leurs propres funérailles avec des réductions salariales.
En riposte, la direction de General Motors a annoncé en avril 2013 la fermeture définitive de l’usine pour fin 2014. 5 mois plus tard, rien n’a changé, et aucune piste n’a été avancée pour contre-attaquer.
Une attaque de la direction en accord avec les syndicats
Il y a en Europe un surplus de 7 millions de voitures (Financial Times, 1er août 2013). Sur un marché en déclin généralisé, Opel se porte particulièrement mal. Ses parts de marché en Europe de l’Ouest sont passées de 11% en 2011 à 6,8% au premier semestre 2013. Le syndicat allemand IG Metall a déclaré que les usines Opel en Europe fonctionnent à 50% de leurs capacités.
General Motors a mis fin à la production à Anvers en décembre 2010. Les travailleurs des autres usines ont été menacés et forcés à accepter des conditions de travail et des salaires inférieurs.
Au centre du problème, la soumission des syndicats et des comités d’entreprise à la ‘‘course vers le fond’’ : un plan de chantage visant à diviser les travailleurs pour assurer la logique de compétitivité et de profits des patrons.
En mai 2012, le syndicat britannique Unite a accepté des horaires plus lourds, une perte de salaire, plus de flexibilité, et même un relais des équipes le week-end pour faire gagner à la direction le conflit interne sur les futurs modèles et la production. Pour ‘‘sauvegarder’’ les postes à Ellesmere Port près de Liverpool, Unite a même insisté pour qu’en échange de réductions de salaires, la direction promette de ne plus produire le modèle Astra dans plus d’une usine, alors que la production était encore en cours dans deux autres.
Certains délégués syndicaux d’Ellesmere Port étaient véritablement convaincus qu’il n’existait pas d’alternative à ces concessions. Mais le rôle des représentants syndicaux devrait être d’expliquer clairement la situation et de préparer les travailleurs à de futures batailles. Mais à la place, ils ont causé un effet démoralisateur et démobilisant en faisant de ces concessions une stratégie pour ‘‘sauver’’ l’emploi. En pratique, une couche de dirigeants d’Unite a accepté cette prétendue ‘‘perte inévitable’’ d’emplois et d’usines dans le cadre de la crise capitaliste de la production automobile en Europe.
En juin 2012, le syndicat IG Metall a accepté de ne pas accorder l’augmentation de 4,3% à laquelle les travailleurs d’Opel avaient droit selon leur contrat. Cela faisait partie du “Deutschland-Plan” (plan pour l’Allemagne) visant à augmenter la compétitivité de l’entreprise face à d’autres entreprises appartenant à General Motors. Ce plan comprenait déjà la fermeture de l’usine de Bochum en 2016. La production de l’Astra, le modèle le plus important pour Opel, sera délocalisé hors d’Allemagne.
Cependant, la stratégie des concessions ne paie pas. Le ‘‘vainqueur’’ principal (à long terme, il s’agit de toute façon des patrons) semble ne pas être Ellesmere Port, mais bien l’usine polonaise de General Motors à Gliwice. L’année dernière, Ellesmere Port a vu sa production baisser. Les travailleurs ont été contraints à une semaine de 4 jours et la production a cessé durant une semaine.
Le soutien des dirigeants des comités d’entreprise de Rüsselsheim près de Francfort contre l’usine de Bochum a entraîné l’arrêt de la production de l’Astra et n’a été compensé que par le transfert de la production du modèle Zafira de Bochum à Rüsselsheim. Leur propre avenir est incertain.
Dans ce jeu du patronat, tous les travailleurs sont perdants, seul leur degré de souffrance change. Les décisions de la direction ont déjà été approuvées de facto par les comités d’entreprise et les syndicats européens.
Une stratégie pour sauver l’emploi
Le directeur des comités d’entreprise d’Opel en Allemagne, Wolfgang Schäfer-Klug, a défendu le “Deutschland-Plan’’ et toutes ses concessions pour ‘‘défendre’’ les emplois en Allemagne, tout en critiquant de manière hypocrite le syndicat britannique pour ses concessions.
Le dirigeant d’IG Metall a même indiqué que les traditions combatives de Bochum ont mené à la fermeture de l’usine. Dans une interview, il a déclaré que ‘‘le radicalisme excessif peut au final remettre le futur d’un site en question.’’ Les patrons de General Motors ont peut-être bien choisi de punir Bochum à cause de son passé rebelle. L’entreprise pense d’ailleurs cesser sa production en Corée du Sud à cause de la force des syndicats et de l’effet des récentes grèves là-bas. Cependant, sans la résistance combative des travailleurs de Bochum, l’usine aurait déjà fermé il y a longtemps ! Il est du devoir des syndicats et des dirigeants comme Wolfgang Schäfer-Klug de défendre ses traditions, pas de les jeter à la poubelle.
Malgré son argumentaire contre le “Deutschland-Plan’’ et ses encouragements aux travailleurs de Bochum pour qu’ils votent contre, le dirigeant du comité d’entreprise de Bochum, Rainer Einenkel, n’a proposé aucune alternative de lutte. Au contraire, il a appelé à la ‘‘prudence’’, sans faire quoi que ce soit d’autre. Sa stratégie semble être d’espérer renégocier les termes du contrat avec General Motors. Il les appelle à ne pas endommager davantage l’image d’Opel en fermant l’usine de la Ruhr. Il a aussi symboliquement attaqué Opel en justice pour que l’usine ne soit pas fermée.
Pour une semaine de 30 heures chez General Motors sans perte de salaire!
Nous avons besoin d’une réelle stratégie pour mettre fin aux plans de la direction et défendre tous les emplois et toutes les usines. Le premier pas, c’est de mobiliser et de contre-attaquer immédiatement. Il faut décréter la grève.
IG Metall en Allemagne, Unite en Grande-Bretagne, et d’autres syndicats ont le pouvoir d’organiser la résistance. Il faut pousser leur direction vers l’avant. Cependant, les travailleurs de Bochum ne peuvent pas attendre le réveil ou le remplacement de la direction. Il faut un mouvement de la base, qui démarrerait avec une grève et l’envoi de délégués dans d’autres usines pour ouvrir le débat sur la manière de défendre les emplois et les usines. Cela pourrait trouver un écho favorable dans la région de la Ruhr.
Un tel mouvement a besoin d’une solution pour gagner. A Bochum, les travailleurs peuvent lier leur lutte pour la défense de tous les emplois à la demande du gouvernement fédéral et de l’Etat régional de Rhénanie-Du-Nord-Westphalie de nationaliser l’usine et d’en arrêter le déclin. Sous le contrôle des travailleurs, une stratégie peut être développée afin d’utiliser l’usine et sa main d’œuvre qualifiée pour produire des bien socialement nécessaires, et pas seulement des voitures.
Comme General Motors ne désire pas continuer à faire tourner ses usines sans licenciements ou attaques sur les droits des travailleurs, elles devraient être nationalisées sous le contrôle des travailleurs. Un plan d’urgence de production pourrait être décidé pour utiliser les ressources de ces travailleurs talentueux et celles des usines. Là où c’est nécessaire, on pourrait remplacer la production de voitures par la production d’autres biens socialement nécessaires. Ces usines ne seraient alors plus sources de chômage, mais d’apprentissage et d’emplois pour les jeunes.
General Motors a annoncé de nouveaux profits tout en attaquant les emplois et les conditions de travail des travailleurs. Que General Motors rendent ses comptes publics, et pas que eux d’Opel et Vauxhall ! Que les travailleurs sachent où sont allés les gigantesques profits, les baisses d’impôts et les subsides !
Pour répandre la lutte, il faut aussi une stratégie pour mettre fin à la politique de division. L’argument principal de la direction, et aussi malheureusement celui des syndicats de droite, c’est la crise de surproduction qui touche l’industrie automobile. C’est la base de la stratégie visant à diviser les travailleurs des différentes usines. En ce moment, les travailleurs de Rüsselsheim, Ellesmere Port ou Gliwice espèrent bénéficier d’une certaine manière de la fermeture de Bochum.
Un premier pas pour mettre fin à cet argument serait une campagne immédiate pour la réduction des heures de travail : pour une semaine de 30 heures sans perte de salaire dans les usines de General Motors (Opel, Vauxhell) en Europe et ailleurs. Cela donnerait un exemple aux travailleurs de l’automobile d’autres entreprises, qui les pousserait à ne pas accepter la surproduction comme un problème, mais à partager la charge de travail et à faire payer les patrons.
Encore une fois, cela serait bien plus efficace si les directions syndicales faisaient leur travail… Mais sans avoir à les attendre, des visites de délégations de la base dans d’autres usines pourraient élargir le mouvement de protestation. Les militants syndicaux devraient faire campagne pour exiger la fin de la division des travailleurs au sein des syndicats, et défendre les emplois, les conditions de travail et les salaires.
Cela aidera aussi les travailleurs de Bochum, qui se sentent abandonnés par les collègues des autres usines à cause de la politique des syndicats. Cela mettrait fin à l’isolement et créerait un mouvement de lutte généralisé capable de mobiliser l’énergie nécessaire pour une riposte efficace.
Il faut une direction combative pour organiser cette lutte unifiée. Cela créerait la base pour mobiliser les travailleurs pour sauvegarder toutes les usines. Les syndicats doivent être transformés en outils combatifs, basés sur la démocratie interne. Ils doivent nouer des liens étroits entre les travailleurs partout en Europe et dans le monde. Un mouvement militant des travailleurs et des syndicats est essentiel afin de lutter pour ces changements, développer de nouveaux liens entre les représentants des travailleurs de différentes usines et de différents pays pour faire tomber les barrières et unir la résistance.