Allemagne : Merkel réelue… mais l’avenir reste instable

Malgré le succès électoral de la coalition CDU/CSU (Union Démocratique Allemande et Union Chrétienne de Bavière) d’Angela Merkel, les élections législatives allemandes du week-end dernier ont été le reflet de l’aliénation de vastes couches de la population vis-à-vis des partis de l’establishment et des institutions de la démocratie capitaliste. Vu l’intensification attendue de la crise de la zone euro et le ralentissement de l’économie mondiale, le nouveau gouvernement sera confronté à une instabilité croissante, et des attaques contre le niveau de vie de la population seront de nouveau à l’agenda.

Sascha Stanicic, porte-parole de Sozialistische Alternative (CIO-Allemagne)

La croissance de l’électorat du CDU/CSU ne peut nous faire oublier que la coalition ‘‘noire et jaune’’ CDU/CSU et Parti libéral démocrate (FDP) a été démise de ses fonctions et a perdu 735.000 voix. Le triomphe de Merkel et sa majorité quasi absolue au Bundestag (parlement national) ont occulté ce fait, mais cela aura des conséquences sur les développements à venir en Allemagne.

Depuis plus de 60 ans, le FDP est vu comme un groupe de pression de capitalistes organisés en parti. Ce parti a toujours été le premier à exiger des attaques contre le niveau de vie et les droits de la classe des travailleurs. Son échec aux élections de 2013 représente un sérieux problème pour la classe capitaliste. C’est la conséquence de l’échec de la propagande des libéraux concernant les pseudos droits civils, une propagande qui a sans cesse eu plus de peine à cacher leur caractère néolibéral. Nombreux sont ceux à avoir accusé le FDP d’être responsable de la polarisation sociale de la société allemande. Lorsqu’il s’est avéré que ce ‘‘petit parti du grand capital’’ n’avait pas réintégré le Bundestag pour la première fois de l’histoire de la République Fédérale Allemande, de nombreuses personnes ont laissé exploser leur joie. Son avenir est incertain. Le parti n’a plus que de faibles représentations dans les parlements et les gouvernements fédéraux. Mais il n’est pas exclu que le FDP s’oriente vers une direction plus nationale-libérale, en comptant subsister en reposant sur le populisme de droite.

L’augmentation des suffrages accordés à Merkel reflète la relative stabilité économique d’un pays entouré d’Etats qui s’embourbent de plus en plus profondément dans la crise de l’euro. Merkel a également consenti à quelques concessions mineures, comme l’annulation de certains frais lors des consultations médicales. Un commentateur a expliqué à la télévision que ‘‘les Allemands ont voté pour la sécurité.’’ Il est vrai que, dans une certaine mesure, l’augmentation de l’électorat du CDU/CSU reflète le sentiment, partagé par de nombreuses personnes, selon lequel Merkel a empêché le pire dans un contexte de crise économique internationale. Mais elle ne peut pas pour autant compter sur un soutien actif, et encore moins sur de l’euphorie. Quand on parle de questions concrètes, l’orientation politique de la population est différente, ce qui a encore récemment été illustré à Hambourg, où se tenait un référendum le même jour que les élections ; et une petite majorité des habitants a voté ‘‘oui’’ à la renationalisation du réseau électrique local.

La victoire de Merkel ne constitue jamais qu’un des aspects de ces élections. L’autre, c’est que jamais auparavant une si grosse partie de l’électorat ne sera pas du tout représentée au parlement. Le taux de participation aux élections n’a que marginalement augmenté (70,8% lors des dernières élections fédérales pour 71,5% cette année), ce qui en fait la seconde participation la plus basse depuis 1945. Plus de 15% des votes sont allés à des partis qui n’ont pas atteint les 5% requis pour entrer au parlement. Jamais auparavant si peu de votes (43%) ont suffi pour former un gouvernement : cela ne représente que 30% de l’électorat. Même une ‘‘grande coalition’’ gouvernementale (où le CDU/CSU se retrouverait aux côtés des sociaux-démocrates du SPD) ne représentera qu’une minorité de la population. Plus de 40% des électeurs se sont soit abstenus, soit ont voté pour de petits partis, et ne sont donc pas du tout représentés au Bundestag.

Ces dernières années, les élections ont suivi un mouvement de balancier, reflet de la volatilité de l’électorat des partis politiques. Les gros succès électoraux, comme ceux du FDP et des Verts dans la passé, sont rapidement oubliés, et la scène électorale reste très changeante.

‘Alternative pour l’Allemagne’

Merkel a réussi à faire l’impasse sur la crise de l’euro pendant sa campagne. Mais le succès du parti ‘‘Alternative pour l’Allemagne’’ (AfD), un parti de droite appelant à l’abolition de l’euro, démontre, avec les potentiels votes de protestation, qu’il s’agit d’un problème important pour une partie de la population. Un problème qui va empirer. Vu la situation, ce fut une erreur de la part de Die Linke (‘‘La Gauche’’) de na pas centrer davantage sa campagne sur le rejet des fonds de sauvetage accordés aux banques.

Le fait que Die Linke ait perdu des voix au profit de l’AfD doit être considéré comme un avertissement. Même si le futur de l’AfD reste encore à écrire, il se peut que le parti n’en reste pas au stade du phénomène éphémère. L’AfD a occupé une partie de la scène politique, portion qui s’agrandira à mesure que la crise de l’euro se creusera. Le parti a réussi à se construire dans tout le pays, et dispose de moyens financiers conséquents. L’AfD a été suffisamment maligne pour éviter d’endosser une image raciste ou trop radicalement nationaliste tout en parvenant à mobiliser l’électorat d’extrême droite. Le parti a de bonnes chances d’accéder au Parlement européen après les élections de l’année prochaine. Il pourrait aussi se baser sur l’euroscepticisme croissant, qui ne fera que croître, surtout si Die Linke ne formule pas une critique claire, de gauche et internationaliste de la crise de l’euro.

Les salaires, les conditions de travail et les pensions ont été les sujets les plus importants aux yeux des électeurs. Cela semble paradoxal vu que le CDU/CSU est un parti aux mains des grandes entreprises, qui s’oppose au salaire minimum et qui veut maintenir l’âge de la retraite à 67 ans. Au vu des leaders des principaux partis à la carte, de nombreuses personnes ont conclu que Merkel était la plus capable de prévenir une crise sociale en Allemagne causée par une ‘‘urgence européenne’’. Le manque d’alternative issue du SPD et des Verts y a contribué. Leur tentative de se présenter comme plus à gauche, plus intéressés par les sujets sociaux et la justice, n’a leurré personne. Ce sont ces partis qui sont à la base de l’introduction de ‘‘l’Agenda 2010’’ néolibéral en 2003 et ses nombreuses attaques antisociales, et peu de gens leur ont pardonné. Les résultats des Verts montrent qu’ils sont devenus un parti bourgeois de la classe moyenne. Mais l’importance de sujets comme les salaires, les conditions de travail et les pensions dans la conscience populaire de la classe des travailleurs reflète aussi le potentiel des syndicats et des luttes sociales. C’est pourquoi les fondations du CDU/CSU sont fragiles. Le nouveau gouvernement prévoit de faire des coupes budgétaires et de procéder à des privatisations et, tôt ou tard, l’opinion générale se retournera contre lui.

Un projet de coalition gouvernementale ?

Merkel a perdu son partenaire de coalition, le FDP. Ses résultats rendront les négociations avec le SPD ou les Verts plus difficiles. Ces deux partis trembleront à l’idée de finir en tant qu’acteurs minoritaires dans un gouvernement CDU/CSU. L’expérience du SPD dans la ‘‘grande coalition’’ de 2005/2009 a rouvert des blessures qui n’ont pas encore fini de cicatriser. Les leaders du SPD se montrent donc très réticents à cette idée. Mais l’affaiblissement des Verts a rendu moins probable une coalition ‘‘noire et verte’’. Une grande coalition est l’issue la plus probable. Bien sûr, le SPD tentera de faire des concessions, qu’il vendra comme des victoires. Ce pourrait même être l’instauration d’un salaire minimum ou d’autres mesures semblables. Il est peu probable que les négociations échouent et que de nouvelles élections soient organisées car elles pourraient mener à une majorité CDU/CSU.

Die Linke

La direction de Die Linke se satisfait des résultats obtenus et met en avant que le parti représente maintenant la troisième plus grande force du pays. Le parti s’est stabilisé et a regagné du soutien depuis l’année dernière et les désastreux sondages d’opinion à son encontre. Les batailles internes se sont momentanément arrêtées mais, surtout, l’arrivée de Bernd Riexinger et de Katja Kipping à la direction du parti ont représenté une orientation plus décidée vers les mouvements sociaux et les luttes syndicales. Cela a motivé une couche de ses militants à s’impliquer davantage. Les slogans clairs sur leurs tracts ont rendu leur campagne très active et ont permis de recruter 500 nouveaux membres durant cette période. Cela prouve que, malgré la situation objective actuelle, il y a toujours un potentiel pour renforcer le parti.

Mais la perte de 1,4 million d’électeurs par rapport à 2009 (moins encore qu’en 2005), l’échec de Die Linke à s’attirer les votes des abstentionnistes ou des électeurs de l’AfD prouvent que les racines du parti ne sont pas assez ancrées dans les communautés ouvrières. De plus, la crédibilité de Die Linke pâtit de son implication régionale dans des coalitions et de des appels permanents à rejoindre une coalition nationale.

Die Linke a maintenant face à lui une deuxième chance, mais pourra-t-il saisir les opportunités qui s’ouvrent à lui ? En cas de grande coalition, le SPD sera également directement responsable des coupes budgétaires. Die Linke sera donc en bonne position pour améliorer son image d’opposant au capitalisme. Mais pour se renforcer ainsi, le parti doit devenir un parti combatif et abandonner tout projet de coalition avec les Verts et le SPD. Des conflits internes vont sans doute se développer autour de cette question. L’année prochaine, de nouvelles élections fédérales se tiendront en Allemagne de l’Est, où se trouve la plus grande base de Die Linke. La question d’une alliance avec le SPD se posera à nouveau, et c’est déjà le cas à Brandebourg.

Certains membres de l’aile droite de Die Linke (y compris le leader du groupe parlementaire, Gregor Gysi) ont récemment publié un livre qui explique la position du parti sur le rejet du déploiement de troupes allemandes à l’étranger, car sans laisser tomber cette position, il était impossible d’entrer au gouvernement national. Cette approche est un sujet de discorde potentiel au sein de Die Linke. Gysi est sorti renforcé de la campagne électorale, et il utilisera surement sa performance contre les éléments les plus anticapitalistes du parti, principalement basés en Allemagne de l’Ouest.

Hessen

Dans ce contexte, les élections fédérales à Hessen, qui ont eu lieu en même temps que celles du Bundestag, sont importantes. La nouvelle entrée de Die Linke au parlement est très importante pour l’aile gauche du parti. Die Linke est connu pour ses liens étroits avec les mouvements sociaux et syndicaux à Hessen.

Mais la dirigeante régionale du parti, Janine Wissler (membre du courant Marx21, qui a quitté l’organisation allemande du SWP britannique), dit être prête à certaines conditions à former une coalition gouvernementale avec le SPD et les Verts. Bien qu’elle dise que cette attitude serait destinée à révéler la vraie nature de ces partis, elle donne l’impression que Die Linke est prêt à tout pour entrer au gouvernement. Au lieu de parler de coalitions, la direction de Die Linke à Hessen devrait dire que son succès électoral est surtout celui de mouvements sociaux de résistance, qui doivent être construits et renforcés.

Die Linke à Hessen, en reconnaissant qu’ils ont une chance de chasser le premier ministre CDU Bouffuer, devrait dire que le parti est prêt à combattre le CDU en rejoignant une minorité gouvernementale SPD-Verts. Mais puisque le SPD et les Verts travaillent dans le cadre du capitalisme et sont prêts pour lancer des attaques contre la classe des travailleurs, Die Linke devrait clairement refuser de signer un contrat de coalition, et à la place voter cas par cas au parlement. Die Linke devrait clairement déclarer qu’il soutiendra toute loi progressiste et se dressera contre toute autre.

Quelles perspectives ?

Un jour seulement après les élections, les médias ont sonné l’alerte d’une intensification de la crise de l’euro et d’un effondrement du système financier.

Les 4 prochaines années en Allemagne ne seront pas semblables aux 3 dernières derrière nous, qui ont connu un redressement économique après une crise majeure. Au lieu de cela, elles seront marquées par une déstabilisation économique croissante et de nouvelles crises.

Chaque nouveau gouvernement européen sera sous pression pour faire payer à la classe ouvrière le prix de la crise du capitalisme. Die Linke peut se renforcer grâce à un développement des luttes et des mouvements de masses, si le parti les soutient fermement.

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