Le 18 mars, il y aura 135 ans que naissait la Commune de Paris, la première démocratie ouvrière que le monde ait connue. Mais qu’était exactement cette Commune et quels enseignements pouvons-nous encore en retirer? Nous publions une version raccourcie d’un dossier de Peter Van der Biest.
Peter Van der Biest
La naissance de la Commune
Le matin du 18 mars 1871, Paris se réveille au cri de « Vive la Commune », C’est le résultat des bouleversements qui ont secoué la France au cours des six mois précédents.
En juillet 1870, l’empereur Napoléon III a déclaré la guerre à la Prusse, l’Etat qui domine la Confédération allemande. Cette guerre se transforme rapidement en déroute militaire. L’empereur doit abdiquer tandis que les troupes prussiennes font une percée en direction de Paris et finissent par dresser leur campement aux portes de la ville. Plutôt que d’armer les travailleurs parisiens pour continuer la résistance, le nouveau gouvernement républicain français dirigé par Adolphe Thiers préfére accepter la défaite fin janvier. La Prusse exige des indemnités de guerre gigantesques.
Aux yeux des Prussiens mais aussi du beau monde français, Paris apparaît toujours comme un danger. Elle a conclu une trêve avec la Prusse mais ne s’est pas rendue. Les travailleurs s’y sont armés et veillent attentivement à ce qu’aucun Prussien ne traverse la ligne de démarcation fixée. Paris est affamée, tourmentée par les maladies et la misère provoquées par guerre, mais l’esprit révolutionnaire y souffle toujours aussi fort qu’avant.
Dès lors, la tentative du gouvernement de Thiers pour désarmer les Parisiens est ressentie comme une véritable provocation. Elle montre aux Parisiens que la nouvelle République n’est déjà plus la leur et que les grands discours républicains ne servent que de camouflage aux ennemis du peuple et aux traîtres à la nation : les grands propriétaires fonciers et les riches bourgeois qui constituent le gouvernement de Thiers préparent, dans les coulisses, le rétablissement de la monarchie antidémocratique.
La tentative de Thiers aboutit au résultat inverse de celui qu’il souhaitait : une révolte armée chasse les troupes gouvernementales de la capitale. Le 18 mars, le Comité Central de la Garde Nationale, une milice populaire forte de plus de 165.000 membres, prend la direction provisoire de la ville. Il vote immédiatement l’établissement de la Commune, un type de conseil communal marqué par la démocratie directe. Cette Commune trouve son inspiration dans la première Commune créée en 1792, lorsque la Révolution Française était sous le feu de tous les côtés et que les masses populaires avaient pris temporairement le pouvoir à Paris.
Mais dans le Paris de 1870, les « masses populaires » ne sont plus la masse socialement sans formes de 1792. Le développement d’une société industrielle et moderne a fait en sorte que, depuis les années 1850, les salariés sont devenus la couche populaire la plus importante dans la capitale française.
La mise sur pied de la Commune signifie donc le passage du pouvoir politique aux travailleurs et à leurs alliés, comme le confirment les élections du 26 mars 1871. Même si celles-ci se tiennent sous le mode de suffrage restreint et élitiste datant de l ‘époque de Napoléon III, sur les 229.167 voix émises, les candidats de gauche en récoltent 190.000 tandis que les candidats antirévolutionnaires n’en obtiennent que 40.000.
Démocratie ouvrière
La Commune incarne pour la première fois une véritable démocratie ouvrière. Chaque élu doit tout au long de son mandat rendre des comptes à l’assemblée qui l’a élu et est, de plus, révocable à tout moment par cette même assemblée. Cette aspiration populaire à la vraie démocratie se concrétise ainsi en une nouvelle forme d’Etat.
Le changement est fondamental. Le nouveau pouvoir ne s’appuie plus sur une armée permanente placée sous la dictature antidémocratique d’officiers arrogants, autoritaires et bornés. La population en armes élit ses propres officiers et les soumet eux aussi à une révocabilité permanente.
La Commune en finit également avec la une vision de la politique comme domaine de chasse réservé à des carriéristes qui pensent avant tout à se remplir les poches. La rémunération des élus est limitée au salaire moyen d’un travailleur qualifié. Ici aussi, la révocabilité permet de limiter les possibilités de corruption. En outre, la Commune en finit avec toutes les anciennes barrières élitistes en permettant à chaque travailleur d’accéder à chaque mandat. Parallèlement, la rotation de toutes les fonctions sert de remède à la pétrification bureaucratique.
Enfin, la Commune en finit avec les ministres tout-puissants trônant à la tête d’administrations coûteuses à l’abri de tout contrôle. Les décisions sont exécutées par des commisssions composées de Communards et présidées chacune par un délégué désigné par la Commune. Il n’y a donc plus de séparation entre le pouvoir exécutif (le gouvernement) et le pouvoir législatif (le parlement). C’est la Commune elle-même qui a la responsabilité d’exécuter elle-même ses propres décisions. Ces mesures seront reprises par la suite lors de toutes les tentatives faites par les travailleurs pour instaurer leur propre pouvoir.
Mesures sociales de la Commune
La courte durée de vie de la Commune a réduit sa marge de manoeuvre pour appliquer des réformes économiques anticapitalistes. Mais ce qu’elle a réussi à réaliser est la preuve qu’elle était sincère quand elle affirmait que son drapeau était ‘celui de la république mondiale du travail’.
Le travail de nuit est aboli dans les boulangeries, un système d’amendes imposé aux entreprises qui cherchent sous divers prétextes à diminuer les salaires, la vente des propriétés mises en gage est annulée et les outils que les travailleurs ont dû mettre en gage leur sont rendus. La Commune désigne une commission chargée d’examiner les possibilités de transférer les lieux de travail abandonnés par les capitalistes aux coopératives organisées par les travailleurs.
Par contre, la Commune ne trouve pas le temps de mettre en oeuvre une réforme profonde de l’enseignement. Mais en abolissant les contraintes religieuses à la conscience et en accordant gratuitement les livres et le matériel scolaire aux éleves, la Commission d’enseignement indique que, selon ses convictions, l’intérêt des salariés l’emporte sur celui de l’eglise et des possédants.
D’une ville où des souteneurs mettent sur le trottoir des milliers de prostituées intoxiquées à l’opium et où le cambriolage, le vol et l’assassinat sont monnaie courante, Paris se transforme, sous la protection des travailleurs en armes, en un endroit où l’on peut se balader paisiblement et sans crainte avant comme après le coucher du soleil.
Limites et erreurs
Que le conseil communal d’une ville de deux millions d’habitants réussisse à accomplir autant en 70 jours, et de plus en pleine guerre, donne à réfléchir quand on compare son action avec les palabres sans fin qui se mènent aujourd’hui dans des assemblées parlementaires à l’abri du contrôle du public et, en plus, souvent sans résultats concrets.
Mais l’action de la Commune reste incomplète. Au lieu de lancer les Parisiens à l’assaut du gouvernement de Thiers qui s’est réfugié dans la ville voisine de Versailles, les Communards s’enferment dans Paris. Si la Commune avait nettoyé à fond ce bourbier politique, elle aurait pu affirmer sa force face au reste de la France, qui restait aux deux-tiers composé d’une population paysanne souvent conservatrice et ignorante.
Les Communards ne touchent pas non plus à la Banque Nationale. La prise de celle-ci aurait pourtant permis de saisir à la gorge les Versaillais et de mettre à la disposition de la Commune des moyens énormes en faveur des réformes économiques et sociales.
La Commune vivra !
Mais les Communards ne peuvent pas compter sur autant de générosité de la part de leurs adversaires. Adolphe Thiers manigance avec le chancelier prussien Bismarck pour obtenir que lui soient remis les prisonniers de guerre français afin de pouvoir les utiliser contre les Parisiens.
Fin avril, Thiers lance l’assaut militaire sur Paris. L’offensive est sanglante. Le 21 mai, les Versaillais réussissent à pénétrer dans la ville. Durant la Semaine Sanglante du 21 au 28 mai, lors des batailles sur les barricades, la répression contre les Communards est terrible. Les blessés sont sauvagement achevés. Les femmes sont massacrées tout autant que les hommes. Selon les estimations, entre 20.000 et 30.000 Parisiens tombent sous le feu des Versaillais.
Les Versaillais ont écrasé avec une brutalité sans équivoque Paris en tant que capitale révolutionnaire mondiale. Mais les traditions créées par la Commune et son rôle historique pionnier pour le mouvement ouvrier n’ont pas pu être effacés. Quand le mouvement ouvrier recommencera à s’organiser en parti politique indépendant, il saluera à nouveau les Parisiens de 1871.
Vive la Commune !