USA : Les socialistes révolutionnaires ouvrent la voie vers une représentation politique des travailleurs indépendante du capital

L’an dernier, les États-Unis ont été moins plongés dans la tourmente économique que l’Union Européenne. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que des changements fondamentaux n’y sont pas à l’œuvre. Ce bon vieux ‘‘Rêve Américain’’ gît sur le sol, brisé. L’impressionnant mouvement Occupy qui a déferlé sur le pays en 2011 passera à l’Histoire comme l’une des premières manifestations de ce virage dans la société américaine.

Par Bart Vandersteene

L’économie sous perfusion

L’élite américaine est parvenue à repousser une crise similaire à celle qui frappe l’Union Européenne à l’aide d’une intervention gouvernementale sans précédent. Sans cette ingérence de la part d’autorités publiques qu’ils détestent pourtant tellement, tous les grands adeptes du ‘‘libre marché’’ et du libéralisme auraient assisté, impuissants, à l’effondrement total de leur système. Sans l’intervention du gouvernement et l’instauration d’une politique monétaire basée sur l’injection permanente d’argent dans le système, le chaos économique se serait abattu sur le pays de même qu’une révolte sociale de grande ampleur.

Avec une croissance de 2,2% en 2012, le pire semble être passé. D’ailleurs, commentateurs et politiciens bourgeois proclament l’arrivée de la fin de la crise: le déficit budgétaire US est passé de près de 10% à 4%, le Dow Jones a atteint un niveau plus élevé que celui d’avant la crise et le taux de chômage a chuté de 9,4% en 2009 à 7,4% aujourd’hui.

Pourtant, la crise n’a pas disparu. Pas moins de 5% de la population a perdu son logement, les investissements privés sont à un niveau excessivement bas malgré des taux d’intérêts historiquement bas et les politiques d’austérité font des ravages à tous niveaux. De l’ensemble des emplois créés depuis 2010, les bas salaires en représentent… 76% ! Il s’agit d’emplois temporaires qui fondent comme neige au soleil dès que l’économie cahote à nouveau, avec des salaires qui descendent régulièrement sous les 11 $ de l’heure (soit 8,22 €). Un quart des travailleurs américains gagnent moins que le salaire minimum en vigueur en Belgique. Pour tous ceux là, le Rêve Américain a cédé la place à une longue et pénible lutte pour la survie. En 2007, 55% de la population américaine décrivait sa situation financière comme étant ‘‘bonne’’ ou ‘‘parfaite’’. Ils ne sont aujourd’hui plus que 32%. Les autorités sont toujours tenues de maintenir l’économie sous perfusion pour éviter le pire. Les moyens de la collectivité ne sont pas orientés vers l’investissement public et la création d’emplois, mais vers l’impression d’argent pour maintenir au plus bas les taux d’intérêt et ainsi donner du temps aux banques pour se nettoyer quelque peu avant l’arrivée de la nouvelle vague de la crise.

La faillite de Detroit constitue-t-elle un précédent?

En juillet, la faillite de la ville de Detroit, autrefois le berceau de l’Amérique industrielle moderne, fut un coup dur pour le prestige des Etats-Unis. C’est l’exemple le plus extrême de l’effondrement de la société américaine. Pendant des décennies, Detroit a constitué un réservoir à profits pour les grandes entreprises du secteur automobile. Aujourd’hui, la ville est désertée et polluée.

Cette ville jadis synonyme de prospérité et de progrès connaît un terrifiant taux de chômage (50%) tandis que deux tiers des enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Conséquence de la désintégration du filet social suite à de nombreuses années de coupes dans les budgets des services publics et des services sociaux, la criminalité y est cinq fois plus importante que la moyenne américaine. 47% de la population est analphabète. Mais Detroit n’est que le sommet d’un iceberg titanesque. Des dizaines de petites villes sont au bord de la faillite et plusieurs États sont aux prises avec une énorme montagne de dettes. Dans la pratique, une faillite signifie que de nombreux engagements des autorités sont en péril, comme le paiement des pensions.

‘‘15 dollars de l’heure et un syndicat’’

Cette année, des dizaines d’actions se sont produites sous ce slogan, sur base de la colère des travailleurs des secteurs à bas salaires (notamment dans les fast-foods). Le salaire minimum fédéral est actuellement de 7,25 $ de l’heure (5,5 euros). Si le salaire minimum de 1968 avait suivi l’inflation, il serait aujourd’hui de 16,8 dollars. Impossible de se construire une vie décente avec de tels salaires. Des millions d’Américains combinent donc plusieurs emplois pour pouvoir joindre les deux bouts, ce qui explique le soutien rencontré par les actions en faveur d’un salaire minimum de 15 $ de l’heure. Il s’agit aussi du slogan principal de Socialist Alternative à Seattle.

Socialist Alternative : une belle percée à Seattle, et maintenant à Minneapolis?

Démocrates et Républicains ne représentent que les deux facettes d’une même médaille : celle d’une politique aux ordres de l’élite capitaliste. Il a fallu une campagne très intelligente à Obama & Co pour réussir à faire croire en la perspective d’un ‘‘changement’’ en 2008. Mais Obama n’a rien changé, et sa popularité est très fortement retombée. Les promesses non tenues ont alimenté une grande frustration dont le danger est qu’elle soit instrumentalisée aux élections de mi-mandat de 2014 par les Républicains et, surtout, par les populistes de droite du Tea Party. Ils ne manqueront pas d’accuser des boucs émissaires tels que les immigrés, les demandeurs d’emploi, les syndicats,…

Mais cela peut être différent. L’espace pour une alternative politique de gauche radicale est étonnamment grand. Nos camarades de Socialist Alternative, malgré leurs moyens limités, ont pu s’en rendre compte dans leurs campagnes menées pour les élections locales dans les grandes villes que sont Seattle, Minneapolis et Boston. Défendre un programme explicitement anticapitaliste et socialiste ne constitue pas un obstacle.

À Seattle vient de se dérouler un premier tour destiné à désigner les deux candidats du second tour du 7 novembre. La candidate de Socialist Alternative, Kshama Sawant, a obtenu le résultat impressionnant de 35% (44.458 voix). C’est un résultat sans précédent pour un tel type de campagne. Un commentateur politique en parlé en ces termes: ‘‘ce n’est rien de moins qu’un tremblement de terre. Kshama a tracé une nouvelle voie pour des candidats indépendants qui prennent directement en main la défense des intérêts et des thèmes de la classe ouvrière.’’ Des dizaines de militants et de volontaires sont maintenant sur le pied de guerre pour la dernière ligne droite vers le second tour du 7 novembre.

Nous sommes tout aussi impatients de voir quels seront les résultats obtenus à Boston et Minneapolis. Ty Moore, candidat de Socialist Alternative à Minneapolis, y affrontera le candidat démocrate Alondra Cano dans la neuvième circonscription de cette ville de 400.000 habitants. Ty et Socialist Alternative ont acquis une certaine renommée au fil du temps grâce à leurs campagnes, notamment contre les expulsions et les saisies immobilières. Ces dernières années, des millions de familles ont été littéralement foutues à la porte de chez elles faute de pouvoir rembourser leurs hypothèques, la plupart du temps en raison de clauses scandaleuses imposées par les banques lors de la conclusion des prêts. Essentiellement sous l’impulsion de Socialist Alternative, le mouvement Occupy s’est orienté sur cette question et a lancé ‘‘Occupy Homes’’. De plus, la campagne de Ty bénéficie du soutien de la principale centrale syndicale de Minneapolis et de nombreux militants locaux. Ty a une petite mais réelle chance de se faire élire au conseil communal.

Socialist Alternative est la seule organisation de gauche radicale américaine à avoir correctement estimé les profonds changements en cours dans la société et les possibilités que cela ouvrait sur le plan politique. Le mouvement Occupy a laissé éclater au grand jour la colère et la rage de millions de personnes. La tonalité du débat politique a été puissamment modifiée au sein de la population. La jeunesse refuse de plus en plus la logique du système qui l’étrangle avec des prêts étudiants hors de prix et des emplois aux salaires de misère tandis que les travailleurs s’opposent à l’austérité et aux attaques antisyndicales. C’est sur ce contexte que ce sont rajoutés les scandales des révélations de Bradley-Chelsea Manning sur les crimes de guerre de l’armée US et du programme de surveillance massif de l’administration Obama.

Dans une déclaration qui a suivi le succès du premier tour à Seattle, Socialist Alternative a notamment expliqué reconnaître que ‘‘les élections ne sont pas l’endroit idéal pour faire de la politique et que c’est en soi insuffisant pour aboutir à un réel changement. Le pouvoir du Grand Capital et des médias contrôle la politique sous le capitalisme. L’histoire nous montre que chaque victoire des travailleurs a été remportée par des mouvements de masse. (…) Le développement de la lutte sociale dans les mois à venir déterminera le résultat exact des élections.

La ‘‘faisabilité’’ se mesurera à l’aune de l’organisation des jeunes et des travailleurs ainsi qu’à l’augmentation d’actions, de grèves, etc. (…) Nos campagnes constitueront un exemple vivant de la manière dont la gauche et les travailleurs peuvent mener des campagnes indépendantes et servir de modèle pour se répandre dans tout le pays. Ce n’est que l’avant-goût de la prochaine vague de résistance qui va défier la politique des deux partis du Big Business.’’

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