Service public privatisé
Dans pas mal de communes, le ramassage des ordures ménagères est confié depuis quelques années à des firmes privées dont l’objectif est de faire du profit et non de rendre un service à la population. Bon nombre d’habitants l’ont ressenti dans leur portefeuille: sacs payants, hausse de la taxe annuelle,…Bien entendu, un sac à 1 euro, cela pèse plus sur le budget d’un pensionné ou d’un chômeur que sur celui d’un notaire. Et les travailleurs qui collectent les déchets? Nous avons interrogé Jean, qui travaille dans une firme privée de ramassage des poubelles.
Tu travailles chez Biffa. C’est une société privée ou une intercommunale?
C’est privé à 100%. Biffa a des contrats avec les autorités locales pour ramasser les déchets. Là où j’ai travaillé, on était chargé de ramasser les sacs PMC (sacs bleus) dont le contenu est recyclable (canettes en métal, bouteilles en plastic, tetrapak,…). Normalement les sacs ne sont pas trop lourds, sauf quand les gens trichent en remplissant les boîtes avec plein de truc. Comme les sacs sont relativement légers on est seul derrière le camion. Tous les ménages ne trient pas. Il y a donc moins de sacs bleus. Ils sont moins lourds mais il faut cependant une bonne condition physique car on ne marche pas derrière le camion, mais on court toute la journée. Je dis bien «courir», car si on marche on ne rentre pas chez soi avant 10 heures du soir! D’après les mesurages qui ont été faits, un ramasseur de sacs PMC fait en moyenne une quarantaine de km à pied sur sa journée de travail. Quand la distance est trop longue entre les habitations je monte dans la cabine du camion. Celui-ci parcourt en moyenne une centaine de km sur la journée, y compris la distance pour aller au dépôt de Châtelet..
Y a-t-il des travailleurs intérimaires?
Oui. En principe pour boucher les trous (remplacer les malades, ceux qui sont en congé) mais certains intérimaires sont là tous les jours.
Et le salaire?
La firme chipote avec les barèmes. Nous sommes clas-sés dans la catégorie «transport routier», où les salaires sont plus bas qu’en «ramassage des déchets». Sur le plan salarial je suis considéré comme convoyeur et non comme ramasseur. Nous sommes donc payés moins que les ouvriers qui ramassent les ordures ménagères. En francs belges, j’avais environ 330F de l’heure plus une prime d’environ 35F de l’heure car nous n’avons pas de toilette ni de cantine. Le supplément pour les heures supplémentaires n’est payé qu’au delà de 10 heures de travail quotidien et non pas au delà de 8 heures, parce que dans le transport routier on considère qu’il y a des «heures d’attente».
S’il n’y a pas de réfectoire ni de sanitaires prévus, comment faites-vous pour manger? Pour vous laver les mains?
On mange dans le camion. On a un jerrycan d’eau pour se laver les mains. On travaille bien sûr avec des gants pour des raisons d’hygiène et pour éviter les coupures. Normalement on doit passer un examen médical. J’ai été convoqué plusieurs fois à l’examen mais je devais pour cela courir à Charleroi en dehors de mes heures de travail. Comme j’arrête ce travail dans quelques semaines, je n’aurai pas subi d’examen médical. J’ai seulement envoyé mon attestation de vaccination antitétanique.
Y a-t-il une présence syndicale?
J’en ai entendu parler, mais je n’ai jamais vu de délégué. Il faut dire que la firme est très étendue et a des activités diverses dans la collecte et le traitement des déchets. Ainsi au dépôt de Châtelet se trouve un centre de tri: des aimants sélectionnent les objets métalliques. Tout le reste est trié à la main par des travailleurs mal payés et qui sont toute la journée le nez dans les odeurs. Je préfère encore courir derrière le camion car là au moins on est à l’air.
Par tous les temps?
Oui. Le pire n’est pas le froid mais la pluie. Il n’y a pas de chômage intempéries prévu, comme dans le bâtiment. S’il pleut, les sacs doivent quand même être ramassés. On s’arrête parfois quelques minutes s’il drache trop fort. Mais si la pluie continue de tomber il faut bien recom-mencer à courir derrière le camion. On est trempé toute la journée. On a bien des protections mais qui prennent l’eau rapidement. Courir avec un ciré est intenable car on transpire tellement qu’on est alors mouillé à l’intérieur. On reçoit des vêtements de travail fluos, comme tous ceux qui travaillent le long des routes, mais seuls les travailleurs engagés directement par Biffa reçoivent des chaussures de sécurité. Pas les intérimaires!
Propos recueillis par Guy Van Sinoy