La rentrée sociale devrait être chaude. ‘‘Devrait’’, car les occasions de se révolter ne manquent pas, mais strictement rien n’a été fait pour se préparer à aller au combat. Au cours des six premiers mois de l’année, plus de 6.000 emplois ont été perdus dans le cadre de licenciements collectifs, soit le double de l’année précédente. Et pour ceux qui ont encore un emploi : c’est blocage des salaires et serrage de ceinture. Combien de temps encore tendra-t-on l’autre joue ?
Par Nicolas Croes
Nos salaires entrent en période glaciaire
Le 2 mai dernier, suite à l’absence d’un accord interprofessionnel concernant la norme salariale pour les années 2013-214, la ministre de l’Emploi a publié un Arrêté Royal de gel des salaires pour ces deux années. Le secteur privé ne devrait donc pas recevoir un kopeck en plus en dehors du mécanisme d’indexation des salaires (déjà sérieusement raboté) et des augmentations salariales liées à l’ancienneté.
Nos salaires augmentent trop vite ? La vitesse est alors une notion toute relative… Cet été, une étude de l’Institut syndical européen (European Trade Union Institute, ETUI) a mis en lumière, sur base de données de la Commission européenne, que l’évolution des salaires réels (c’est-à-dire hors inflation) en Belgique durant la période 2009-2013 a été de… 0,0901 % ! Pour la période 2000-2008, la ‘‘progression’’ était de 0,4593 %. Si ça c’est un ‘‘dérapage salarial’’, que dire des salaires des top managers, de la multitude de cadeaux fiscaux accordés aux grandes entreprises ou encore de leurs profits, seuls à bénéficier de l’augmentation de la productivité ?
La situation actuelle est déjà proprement scandaleuse mais, sans riposte sérieuse, la pente sera encore longue. Le gouvernement prépare une réforme de la loi de 1996 sur la compétitivité des entreprises qui doit assurer d’approfondir cette dynamique de transfert de richesses des salaires vers les poches des actionnaires. La loi de 1996 a pour but d’accorder notre évolution salariale à celle en vigueur en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. Gouvernement et patronat veulent durcir la logique, et pas qu’un peu puisque les informations sorties concernant l’avant-projet de loi laissent planer la menace d’un gel des salaires jusqu’en… 2018 !
Autre problème pour le patronat : jusqu’ici, il était toujours possible de dépasser la norme salariale dans les entreprises, sur base d’un bon rapport de force syndical. ‘‘Ces dernières années, environ 25 % des employeurs n’ont pas respecté les normes salariales fixées par les accords interprofessionnels. Ils ont augmenté les salaires, au-delà de la norme’’, déclarait ainsi le professeur Luc Sels de la KU Leuven. C’est particulièrement le cas dans des secteurs aux plantureux bénéfices, comme dans la chimie. L’idée est d’interdire cette possibilité, à l’aide de sanctions pour tout patron qui dérogerait à la règle. Un beau prétexte donné au patron pour dire que ce n’est pas de sa faute s’il fait la sourde oreille… tout en lui donnant un petit cadeau ! Car l’avant-projet de loi mentionnait aussi la création d’un ‘‘Fonds pour le renforcement de l’emploi et de la compétitivité’’ accordant des réductions de taxes à hauteur de 600 millions d’euros pour 2015, et jusqu’à 1,2 milliard à partir de 2017 pour les entreprises respectant la norme salariale.
La faiblesse appelle l’agression
Sans riposte sérieuse, sans construction d’un réel rapport de force – ce qui signifie très clairement d’en finir avec les simples ballades syndicales dans les rues de Bruxelles – le catalogue des horreurs du gouvernement et du patronat continuera de transformer nos vies en cauchemar. A la base des syndicats, la volonté de lutter est présente, chaque mobilisation syndicale nationale a été un succès relatif malgré le manque d’organisation, le flou concernant les mots d’ordre et l’absence de tout calendrier d’action connu suffisamment à l’avance.
Tirons le bilan de tout ce que nous avons perdu avec le ‘‘syndicalisme de concertation’’ : il faut en revenir à un syndicalisme de lutte de classe. Un syndicalisme qui remplacerait les ‘‘actions symboliques’’ et les recours auprès de la justice de l’Etat capitaliste par des grèves et des actions bien organisées. Un syndicalisme où un plan d’action ne servirait pas à fatiguer la base pour qu’elle laisse la direction tenter de négocier en paix mais à construire graduellement un rapport de force jusqu’à une succession de grèves générales. Un syndicalisme qui ose se battre pour oser vaincre.