La crise économique débarque en Asie du Sud

Rapport de l’école d’été du CIO

Jusqu’à récemment, les économies “émergentes” des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) croissaient encore à un rythme soutenu. La Chine semblait particulièrement défier les lois de la gravité économique ou plutôt, les lois de la crise, typiques de toute économie capitaliste. On a entendu toute une série de gens nous dire que ces pays pourraient maintenir l’économie à flot et sauver le monde de la crise qui continue à ravages l’Europe et les États-Unis. L’effondrement tragique du taux de croissance au Brésil (qui est passé de 7,5 % en 2010 à… 0,9 % en 2012), et la révolte de masse des travailleurs et des jeunes de ce pays, ont mis un terme à cette illusion.

Clare Doyle, Comité pour une Internationale Ouvrière

Le ralentissement actuel en Chine, dont l’économie “surboostée” lui avait permis de ravir au Japon sa place de deuxième PIB mondial (après les États-Unis), est maintenant source de gros ennuis pour la clique dirigeante en Chine et partout dans le monde. La Chine est très fortement impliquée dans de grands projets de capitalisation dans toute une série de pays, pour des raisons économiques aussi bien que stratégiques ; mais la baisse de ses exportations a déjà un effet sur les économies des pays dans lesquels la Chine a délocalisé certaines opérations industrielles de base et à partir desquels elle tire les matières premières qui alimentent son industrie.

L’Inde – qui est la troisième plus grande économie d’Asie, et qui ne s’est que récemment ouverte au marché mondial – a vu son taux de croissance chuter, de 10,5 % en 2010 à 3,2 % en 2012. La croissance de l’économie de la Malaisie, qui est extrêmement dépendante du commerce avec la Chine, a ralenti pour n’atteindre que 4,1 % cette année. La plupart des pays asiatiques ont au départ bénéficié de la baisse des investissements productifs (càd, profitables) qui s’est produite ailleurs dans le monde. D’énormes quantités de capitaux “dormants”, qui ne généraient que peu ou aucun intérêt dans les banques des pays pratiquant l’assouplissement quantitatif (l’impression d’argent), se sont déversées sur l’Asie en tant qu’“investissements” spéculatifs.

Le Financial Times commentait ainsi que les marchés obligataires en monnaies locales « ont beaucoup prospéré du fait que l’effondrement financier mondial de 2008 a libéré une masse d’argent facile […] qui a quitté les États-Unis et l’Europe. Que se passe-t-il lorsque les taux d’intérêts commencent à monter, surtout aux États-Unis ? Combien de cet argent va se retourner et prendre ses jambes à son coup ? ». Près de 50 % des bons d’État de l’Indonésie appartiennent à des étrangers ; c’est le cas aussi de 40 % des bons d’État de la Malaisie et des Philippines.

Allons-nous maintenant assister à une nouvelle “crise asiatique”, aussi grave, voire plus grave encore, que celle de 1997-98 ? Les gouvernements d’Asie du Sud et du Sud-Est (ces deux régions, qui s’étendent de l’Afghanistan à l’Indonésie, représentant ensemble 33 % de la population mondiale) parviendront-ils à éviter la tempête à venir ?

Un précédent historique

Au cours de la “crise asiatique” de 1997-99, on a vu plonger les devises de pays comme la Thaïlande, tandis que des centaines de milliers d’emplois passaient à la moulinette. Les soulèvements révolutionnaires contre la politique d’austérité imposée par le FMI ont notamment, en Indonésie, renversé le dictateur honni, Suharto. En Malaisie, un mouvement de masse qui réclamait des réformes démocratiques a menacé le long règne du Front national (BN), dominé par l’Organisation nationale des Malais unis (UMNO). À la fin 1997, la Corée du Sud a connu de nouvelles grèves générales contre les attaques néolibérales, semblables à celles qui se sont produites encore récemment.

La fois passée, le FMI avait envoyé des prêts massifs à tous ces pays en proie à la crise afin d’éviter un effondrement social et une révolution. Dans le cas de la Corée du Sud, le montant des prêts s’élevait à 57 milliards de dollars. Aucun de ces mouvements de résistance n’a pu former une voix et une ligne politique capable d’accomplir les processus révolutionnaires qui avaient vu le jour. En Indonésie, certains groupes de gauche ont entretenu des illusions dans le caractère “démocratique de Megawati Sukarnoputri, qui, une fois au pouvoir, a joué son rôle de gérante du grand capital national et international, en alliance avec les généraux de l’ancien régime. En Malaisie, Anwar Ibrahim, le très populaire dirigeant du mouvement “Reformasi”, était un ancien membre du gouvernement UMNO avec Mahathir Mohammed. En tant qu’économiste néolibéral éduqué aux États-Unis, il ne voulait pas (et ne veut toujours pas) d’un mouvement qui pourrait aller jusqu’au bout et organiser la fin du capitalisme.

Le CIO avait appelé au soutien total à ces mouvements pour les droits démocratiques et pour la liberté, et avait cherché à s’y impliquer autant que possible, mais tout en expliquant – suivant en cela le concept de la “révolution permanente” tel qu’imaginé par Trotsky – la nécessité de débarrasser ces pays néocoloniaux de la domination du capitalisme multinational aussi bien que national. Il fallait y mener une politique socialiste claire, basée sur la compréhension du rôle de la classe des travailleurs qui seule, avec le soutien des pauvres des villes et des campagnes, peut établir une véritable démocratie et transformer les vies de l’écrasante majorité de la population dans cette région.

Tandis que le vent froid de la récession mondiale a maintenant atteint les pays asiatiques, de pareils mouvements tout aussi tumultueux pourraient voir le jour. Étant donné le fait que les économies des divers pays du monde sont encore plus interconnectées aujourd’hui qu’alors, l’Inde et le Pakistan, qui avaient évité le pire de la crise de 1997-98, pourraient à présent se retrouver complètement submergés. Le FMI ne va certainement pas pouvoir intervenir de manière aussi importante qu’il l’a fait à l’époque pour sauver les gouvernements des soulèvements révolutionnaires. Les premières explosions de colère et de désespoir pourraient s’élargir pour aboutir sur un mouvement généralisé au sein duquel l’ensemble des travailleurs et des jeunes pauvres se mettraient à chercher des solutions révolutionnaires. En ce moment, aucun pays asiatique ne peut prétendre avoir un gouvernement stable, confiant et viable.

L’Inde

L’Inde est caractérisée par « l’économie de marché économique avec la moins bonne performance de l’année » (The Guardian, 7 aout), vu le fait que sa croissance s’est arrêtée au second trimestre. « Les investisseurs craignent une répétition de la crise qui avait frappé l’Inde en 1991 ».

Misère de masse et privations sont deux termes synonymes en Inde : « Quatre-cent millions d’Indiens n’ont pas l’électricité … La moitié des Indiens défèquent à l’air libre … Les taux d’immunité pour la plupart des maladies sont inférieures à ceux d’Afrique subsaharienne … Un enfant indien a deux fois plus de chances de souffrir de la faim qu’un enfant africain (ils sont 43 % à en souffrir en Inde) … Le budget de la santé publique s’élève à à peine 39 $ par personne et par an, alors qu’il est de 203 $ par personne par an en Chine, et de 483 $ au Brésil » (The Economist, 29 juin 2013)

La majorité des femmes indiennes subissent une souffrance et des difficultés sans nom. Le viol collectif et le meurtre d’une étudiante à New Delhi en décembre dernier a provoqué un large mouvement de protestation en Inde comme à l’échelle internationale. Il est possible que des mesures soient introduites afin de tenter de sévir contre les criminels sexuels, mais il faut se rendre compte que la violence contre les femmes bénéficie du soutien de nombreuses vieilles pratiques et croyances. Les catastrophes naturelles sont aggravées par la destruction irresponsable de l’environnement, comme on l’a vu avec les glissements de terrain meurtriers dans l’Uttarakhand (petit État de l’Himalaya, frontalier du Népal et du Tibet (sous domination chinoise), 10 millions d’habitants) en juin de cette année. L’état des services de secours d’urgence est lamentable, ce qui cause encore plus de morts et de souffrances.

Le gouffre qui s’étend entre la masse de la population indienne, forte de près de 1,3 milliards de gens, et la minuscule poignée de super-riches, s’élargit de plus en plus. Quelques individus issus de riches dynasties familiales ont amassé de vastes fortunes. Selon le magazine Forbes, Mukesh Ambani, patron de Reliance Industries et le 22ème homme le plus riche du monde, possède une fortune de 20 milliards de dollars (10 000 milliards de francs CFA, voir ici les photos de son yacht qui a couté 10 milliards de francs) ; le magnat de l’acier Lakshmi Mittal pèserait quant à lui 16 milliards de dollars (8000 milliards de francs). Une nouvelle classe moyenne s’est développée dans certaines villes, et fournit un certain marché pour les voitures et les produits de semi-luxe.

« Pour les riches, le seul problème est leur tour de taille », comment The Economist (06/07/13). « Transportés partout par leurs chauffeurs, dispensés de toute corvée quotidienne par leur armée de serviteurs, ils sont devenus une race à part, corpulente, qui se distingue clairement de leurs compatriotes maigrelets ». (Cela nous rappelle les vieilles caricatures du gras capitaliste, alors qu’au même moment, aujourd’hui aux États-Unis, ce sont les travailleurs qui sont obèses, vu la manière dont on les gave de nourriture bon marché mais d’origine indéterminée).

L’écrasante majorité de la population indienne continue à mener tant bien que mal une existence sordide avec un revenu de misère constamment érodé par l’inflation galopante. Les couches moyennes, qui ont pu bénéficier d’un certain développement de l’économie, voient déjà leurs espoirs brisés par le ralentissement de l’économie.

Le gouvernement de Delhi dirigé par le parti du Congrès est ravagé par l’indécision et la corruption. Des régions entières du pays échappent au contrôle du gouvernement, où les forces de guérilla naxalites (maoïstes) se sont rendues populaires en chassant les propriétaires terriens rapaces et les multinationales. Alors que des élections sont prévues en 2014, le premier ministre Manmohan Singh vacille entre la pression de l’extérieur, qui veut le forcer à mettre en place des “réformes” néolibérales, et la pression d’en-bas.

Il y a maintenant même la possibilité de voir revenir au pouvoir le parti nationaliste de droite largement discrédité, le BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien), dirigé par Narendra Modi. Modi est toujours détesté par des millions de gens qui le surnomment le “boucher du Gujarat” (État frontalier du Pakistan, 60 millions d’habitants) pour y avoir été responsable du meurtre de plus de 2000 musulmans en 2002. Dans de nombreux États, son parti se vautre dans la corruption. Mais comme le disait le Financial Times : « Si l’impression d’un vide étatique donnée par le Congrès continue comme ça, de plus en plus de gens seront tentés de prendre des risques avec lui » (10/06/13)

Et cela, dans un pays qui a connu en février la plus grande grève générale de l’histoire de l’humanité – plus de cent millions de travailleurs étaient partis en grève pendant deux jours. Les grévistes réclamaient entre autres la fin de la cherté de la vie et un salaire décent pour tous. (Le roupie indien a chuté de 15 % rien qu’entre mai et juillet, ce qui a fortement nuit aux revenus déjà faibles).

Les partis “communistes” de masse, jouissent toujours d’un certain soutien parmi les travailleurs et même parmi les paysans. Cependant, le “Parti communiste indien (marxiste)” a perdu énormément de plumes depuis qu’il a perdu le pouvoir au Bengale occidental (province de Calcutta/Kolkata, à la frontière avec le Bangladesh ; 100 millions d’habitants), où il régnait depuis des décennies. Il a souffert électoralement à cause des attaques brutales menées par lui sur le niveau de vie des travailleurs et des paysans, sacrifiés sur l’autel du capitalisme indien comme étranger. Il sera difficile – bien que pas impossible, en l’absence de tout autre parti des travailleurs de masse – pour le PCI(M) de regagner un soutien là ou ailleurs, tant qu’il adhère à la doctrine stalinienne traitre des “deux stades” – selon laquelle il faut d’abord installer le capitalisme avant de commencer toute lutte pour le socialisme.

Le Pakistan

La crise quasi permanente qui constitue la vie quotidienne au Pakistan illustre bien le besoin urgent pour les travailleurs de s’en prendre directement au féodalisme et au capitalisme en même temps. La vie personnelle tout comme la vie politique est oppressée par les coupures de courant, les attentats terroristes, l’effondrement des services publics et la paralysie du gouvernement.

Le Parti du peuple pakistanais (PPP), autrefois si puissant, est entré dans une période de déclin qui sera peut-être terminale. La seule raison pour laquelle son gouvernement corrompu et inapte, sous la direction de M. Zadari dit “20 %” (une amélioration depuis son titre précédent de “M. 10 %”), est parvenu à arriver jusqu’au bout de son mandat, est l’inertie affichée par toutes les autres forces. L’armée, qui contrôle en coulisses des pans entiers de l’économie et de la société, n’est pas intervenue non plus pour reprendre le pouvoir direct. Cela ne veut pas dire qu’elle ne le fera pas à nouveau dans le futur, vu le développement de la crise politique et sociale.

Le PPP, dans lequel tant de travailleurs et de jeunes avaient placés tous leurs espoirs au début des années ’80, a maintenant perdu la plupart de son autorité. Le gouvernement de Nawaz Sharif est confronté à des problèmes impossibles à résoudre : un État en faillite, une économie en crise, le terrorisme islamiste de droite, et de puissantes forces centrifuges qui menacent de faire éclater le pays.

L’économie pakistanaise est dangereusement instable et fragile. Le nouveau prêt du FMI, d’une valeur de 5,3 milliards de dollars, est lié à l’exigence d’une “discipline financière”, càd, aucun subside pour les pauvres. La priorité est la réforme du secteur du transport de l’électricité, pour remédier aux coupures de courant qui causent maintenant chaque année à l’économie nationale des pertes estimées à 2 % du PIB.

Il est fort improbable que le nouveau gouvernement puisse y faire quoi que ce soit. Les deux-tiers de l’électorat vivent dans les zones rurales, où des propriétaires féodaux ont encore pour ainsi dire droit de vie ou de mort sur des millions de paysans. Ce sont aussi eux qui décident du résultat des élections. La lutte héroïque de Malala Yousafzai (une adolescente de 16 ans, déjà victime de plusieurs tentatives d’assassinat dont une balle dans la tête pour son blog anti-talibans) contre les talibans qui voulaient empêcher les filles de s’inscrire à l’école, leur a par la même occasion permis de redorer un peu leur blason (Yousafzai est le nom d’une grande famille noble pachtoune, une ethnie qui vit à la fois au Pakistan et en Afghanistan). Mais la lutte contre les féodaux et contre les autorités, qui ne peuvent assurer une éducation complète et gratuite des garçons et des filles à la ville et à la campagne, est loin d’être terminée.

Néocolonialisme et gouvernements faibles

Dans la plupart des sociétés asiatiques, beaucoup de droits démocratiques de base n’ont jamais été établis. Les classes capitalistes émergentes n’ont pas été assez fortes pour accomplir une réforme agraire en profondeur ni pour chasser les restes du féodalisme. En Chine, il a fallu l’État prolétarien déformé de Mao Zedong pour accomplir cette tâche. Ce qui avait été accompli au cours des siècles précédents par les classes bourgeoisies lors de leurs révolutions en Angleterre, en France et ailleurs, reste toujours inachevé dans la plupart des pays asiatiques.

Tout comme sur les autres continents, la plupart des nations asiatiques ont été créées artificiellement par des lignes tracées sur des cartes après (ou avant) des années de pillage et de destructions meurtrières. Des nations entières ont été réduits au statut de “minorité ethnique” en Birmanie, en Thaïlande, au Sri Lanka. Seuls des partis des travailleurs à la tête de gouvernements socialistes seront à même de résoudre les questions des droits des minorités nationales et d’entamer la tâche de bâtir des confédérations mutuellement coopératives de nations, à l’échelle sous-régionale.

Cela fait des décennies que le règne direct exercé par l’impérialisme a pris fin partout en Asie. Cette domination a été remplacée par des puissances régionales telles que la Chine et l’Inde, qui luttent pour des “concessions” avantageuses sur le plan stratégique ou économique, comme on le voit au Sri Lanka, en Birmanie, et ailleurs.

Des multinationales géantes fouillent la région à la recherche de marchés, de main d’œuvre bon marché et de maximalisation des profits. Dans la plupart des pays les plus pauvres du monde, le marché des graines, des engrais, des détergents, de la vente, etc. est dominé par des monopoles multinationaux. Unilever effectue ainsi 57 % de ses ventes sur les “marchés émergents”, Colgate 53 % et Procter & Gamble 40 % (Financial Times 29/07/13).

Une campagne contre l’invasion du marché de la distribution indienne par Walmart organisée par le PCI(M) a obtenu une semi-victoire. Il reste à voir si la mise en échec de Walmart sera définitive. Les “communistes” du PCI(M) ont juré de rester vigilants, mais même des campagnes de masse ne peuvent obtenir que des victoires temporaires tant que les forces du “libre marché” capitaliste déterminent l’économie.

Les géants du textile et de la chaussure que sont Primark, Gap, Reebok et Adidas tirent d’énormes profits du travail asiatique. Le Bangladesh reçoit 20 milliards de dollars par an de ses exportations de textiles fabriqués par des travailleurs payés 38 $ par mois (20 000 francs CFA). La fureur suscitée par les conditions de travail dans des entreprises telles que le complexe Rana Plaza à Dhaka (la capitalie), qui s’est effondré cette année en tuant 1300 travailleurs, s’est exprimé dans les rues par des manifestations de masse et par des grèves.

À l’échelle internationale, on verse des larmes de crocodile, puis on parvient à des accords entre les revendeurs, les organisations patronales, les ONG et les fédérations internationales de syndicat comme IndustriALL. Même des organisations modérées comme “War on Want” (Guerre à la pauvreté, une ONG britannique) se plaignent du fait que de tels accords ne mènent jamais à rien et ne permettent jamais de garantir un salaire décent, une réduction des heures de travail ou de meilleures conditions de vie pour les millions de travailleurs de l’industrie textile partout en Asie du Sud et du Sud-Est. Ces accords ne permettent pas non plus l’émergence de véritables organisations de travailleurs combatives.

Certains des géants les plus connus de l’industrie automobile possèdent aussi des usines en Asie. Ils forcent leurs travailleurs à accepter des salaires et des conditions qui ne seraient pas tolérées dans aucune autre région du monde. Mais en même temps, ils ont créé une nouvelle génération de jeunes combattants de classe qui ont organisé des grèves très importantes, comme celle de Maruti, près de Delhi (Maruti est une société industrielle appartenant à Suzuki ; les travailleurs demandaient le triplement de leur salaire et des logements ; le directeur des ressources humaines est décédé dans un incendie au cours de cette grève ; l’usine a été fermée pendant presque un an ; le conflit est toujours en cours).

Les magnats “locaux” tels que les Tata, les Mittal, les Ambani, etc. se sont tellement enrichis depuis l’“indépendance” de leur pays, sur le dos de millions de travailleurs frappés par la pauvreté, dans leur pays comme en-dehors que leurs entreprises d’acier, d’automobiles et de mines parcourent à présent le monde entier, dans leur éternelle quête de profits.

Démocratie ?

Un simple regard sur n’importe quel pays d’Asie du Sud nous confirmera l’immense, l’infranchissable “déficit démocratique”, comme les commentateurs bourgeois le disent. Au Royaume-Uni, il y a eu tout un débat afin de savoir si la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth pouvait ou non avoir lieu comme prévu au Sri Lanka cette année (ce qui laisserait le Sri Lanka présider l’organisation du Commonwealth pendant les deux prochaines années !). La presse à cette occasion signalait le fait que le seul élément de démocratie présent au Sri Lanka est l’organisation d’élections. Le Sri Lanka serait le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, selon l’ONG “Reporters sans frontières”. L’armée continue à saisir et à “lotir” les terres des Tamouls dans le nord du pays, tandis que son ministre de la Défense, Gotabaya Rajapakse (frère du président Mahinda Rajapakse, du ministre de l’Économie Basil Rajapakse et du président de l’Assemblée nationale Chamal Rajapakse), aime à déclarer que « Les droits de l’homme ne sont pas pour nous ».

La guerre civile au Sri Lanka a été noyée dans le sang de dizaines de milliers de Tamouls par la dictature népotiste chauviniste cingalaise de Mahinda Rajapakse. Mais aucune des grandes puissances qui luttent pour l’opportunité de faire des investissements très profitables et pour l’influence politique au Sri Lanka – notamment la Chine et l’Inde – n’est embarrassée par le manque de droits démocratiques dans le pays.

Cette année en juin, nous avons vu la première grève générale dans le pays, bien que partielle, depuis des années ; c’est là un signal d’avertissement au régime apparemment tout puissant. Un gouvernement confiant dans son avenir n’aurait pas besoin de se reposer si fortement sur l’usage de l’armée, sur la censure de la presse ou sur la traque des opposants et des éléments minoritaires.

Même dans “la plus grande démocratie du monde” – l’Inde – les votes lors des élections sont achetés et vendus. Toutes sortes de “cadeaux électoraux” – télévisions, ordinateurs, téléphones portables, etc. – sont distribués par les partis d’opposition comme du pouvoir lors des élections nationales ou régionales. De véritable fiefs de la taille de pays entiers sont détenus par des Ministres-en-chef et par leurs amis. La promesse d’éliminer l’immonde système des castes, reprises en chœur par tant de dirigeants politiques, reste irréalisée, et les minorités ethniques voient leurs terres les plus précieuses se faire arracher par des gouvernements ou des cartels qui œuvrent main dans la main (sauf là où des mouvements de masse déterminés sont parvenus à bloquer leurs projets).

Le “second monde”

La Malaisie, pays d’Asie du Sud-Est, parfois considérée comme faisant partie du “second” plutôt que du “tiers” monde, comprend trois principaux groupes raciaux (Malais, Chinois, Indiens). Le gouvernement du Barisan Nasional (Front national), qui se base sur la majorité malaise, prétend avoir à nouveau gagné les élections en mai, bien qu’il ne détienne maintenant plus la majorité des deux tiers qui lui permettait d’effectuer des modifications constitutionnelles.

Les électeurs “chinois” (càd, d’ethnie “chinoise”, et non pas de nationalité chinoise), qui constituent un quart du total des Malaisiens, se sont écartés du BN pour protester contre la continuation de sa politique pro-malais. La majorité des électeurs “indiens” malaisiens ont en général voté pour l’opposition de la Pakatan Rakyat (Alliance du peuple).

Au cours du mois qui a précédé les élections nationales, on a tout d’un coup vu tomber un “déluge” d’allocations sociales pour les familles pauvres, d’un montant total de 2,6 milliards de dollars. D’autres cadeaux ont été faits pour l’ensemble des électeurs. Malgré cela, l’alliance au pouvoir, dirigée par le BN, a sans nul doute été vaincue ; mais elle a affirmé sa victoire, malgré les très nombreux rapports de fraude électorale partout dans le pays. (Même le contrat pour l’encre nécessaire au vote a été donné à une entreprise qui appartient à un membre de l’alliance au pouvoir !)

Des jeunes radicalisés et en colère sont immédiatement descendus dans les rues pour déclarer le gouvernement illégitime ; certains de leurs dirigeants ont été arrêtés. Le dirigeant de l’opposition – ce même Anwar Ibrahim qui avait dirigé le mouvement “Reformasi” en 1997 – a condamné la fraude électorale et a exigé une enquête par les tribunaux. Mais il n’a à aucun moment demandé à ce que le gouvernement laisse le pouvoir et à manifester pour cela. Petit à petit, le mouvement des jeunes s’est essoufflé puis a disparu.

Il faut une nouvelle force politique en Malaisie, comme partout ailleurs dans la région, afin de canaliser la colère des jeunes et des travailleurs en une lutte pour une alternative socialiste. Le CIO en Malaisie, dans son journal “Solidarité ouvrière” présente une longue liste de revendications démocratiques liées à d’autres portant sur les salaires, le logement, les emplois pour les jeunes, la nationalisation des banques et des grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs. Ce journal est vendu aux manifestations, sur les marchés de nuit, devant les entreprises – que ce soit des banques ou des usines – et dans les quartiers ouvriers.

Quel avenir

Lorsque les économies asiatiques seront soumises à la pleine force de la tempête économique qui approche, tous les partis politiques de la région seront soumis à l’épreuve. Ceux qui prétendent représenter les travailleurs, mais ne sont pas prêts à mener une lutte jusqu’au bout et sans compromis contre la domination du capitalisme et de l’impérialisme, perdront leur soutien. Ces vieux partis seront rejetés au cœur de la lutte de classes. Le développement d’une nouvelle force prolétarienne, basée sur un programme de classe combatif, est la tâche principale des socialistes en Inde, au Pakistan, en Malaisie, au Sri Lanka et dans toute la sous-région.

Des évènements terribles se préparent pour l’Asie du Sud et du Sud-Est ; c’est en particulier le cas pour les pays plus petits comme la Birmanie, le Népal, le Vietnam ou le Cambodge. Toutes les vieilles “certitudes” seront remises en question, et c’est au CIO que reviendra l’immense responsabilité de développer la capacité de lutte de la classe des travailleurs à travers toute la sous-région.

Comme Trotsky l’a écrit dans le programme fondateur de la Quatrième Internationale, rédigé il y a 75 ans : « Bons sont les méthodes et moyens qui élèvent la conscience de classe des ouvriers, leur confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à l’abnégation dans la lutte » (Programme de transition). Les quelques-uns qui comprennent aujourd’hui la nécessité d’un programme complet afin d’effectuer une transformation socialiste en profondeur de la société ont pris l’habitude de « nager contre le courant ». Mais la vague de soulèvements de masse en Asie et ailleurs dans le monde, contre le capitalisme sous toutes ses formes, les porteront « à la tête du flux révolutionnaire », comme l’écrivait encore Trotsky.

Que ce soit le régime chancelant de Yudyohono en Indonésie, l’alliance instable au Pakistan, le gouvernement mou de Singh en Inde, le pouvoir illégitime de Najib Raziv en Malaisie ou la dictature de verre au Sri Lanka, aucune de ces cliques corrompues ne donne la moindre apparence de stabilité pour la sous-région. Loin de là. Les tempêtes qui pointent à l’horizon les verront remplacés non par un ni deux, mais par toute une série de gouvernements de crise, jusqu’à ce qu’un parti armé d’un programme socialiste révolutionnaire parvienne à saisir les rênes du pouvoir et à inspirer une vague révolutionnaire à travers toute l’Asie et au reste du monde.

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