Cette année, le gouvernement a décidé qu’aucun accord d’augmentation salariale ne pourra survenir, dans aucun secteur. C’est que les ‘‘grands salaires’’ porteraient atteinte à la compétitivité de notre pays… Aujourd’hui prend place un autre débat sur les salaires, concernant celui des top managers des entreprises publiques. Pour une fois, on a entendu Alexander De Croo s’opposer à une réduction des salaires… mais il ne s’agit pas des nôtres bien entendu ! Force est de constater que la logique n’est pas la même pour tout le monde : à nous les mini-salaires, à eux les salaires de millionnaires.
Ce nouveau débat a éclaté en réaction à la proposition de limiter les salaires des top managers d’entreprises publiques à 290.000 euros par an (!).Le salaire mensuel brut du Premier Ministre Di Rupo est de 24.000 euros. Pour Johnny Thijs, le patron de Bpost, c’est beaucoup, beaucoup trop peu. Pour moins d’un salaire équivalent à 23 fois celui que gagne en moyenne un travailleur de Bpost, Johnny Thijs se croise les bras. Et ce n’est pas parce qu’il est capable d’effectuer 23 tournées en une journée…
Qu’un travailleur réclame le moindre pourcent d’augmentation et il est de suite taxé par les politiciens de l’establishment et par les médias dominants d’être un égoïste irresponsable : il ne réaliserait pas qu’en temps de crise, ce serait miner la compétitivité des entreprises belges et donc mettre en danger l’avenir de la jeunesse ! Visiblement, l’argument perd toute sa valeur dès lors qu’il s’agit de véritables gros salaires. Soudain, on entend qu’un ‘‘salaire correct et juste’’ est nécessaire pour être ‘‘bons, intelligents, prêts à prendre [ses] responsabilités.’’ (Johnny Thijs, dans Le Soir, 23/08/13) Ça ne vaut pas pour nous ? Comme si on ne travaillait déjà pas assez durement…
Thijs a pu immédiatement compter sur le soutien d’Alexander De Croo (Open VLD), dont le parti veut ‘‘encourager’’ les mini-jobs et les mini-salaires. Pas question de défendre la même optique pour les top managers ‘‘amis’’ bien sûr. De Croo : ‘‘Nous devons garder une certaine souplesse pour recruter les bonnes personnes afin de faire des choses extraordinaires. Bpost se dirige vers la modernité, ce n’est pas une tâche anodine. (…) Il a modernisé l’entreprise sans avoir beaucoup de conflits sociaux. Je comprends qu’il n’a pas l’intention de continuer à faire cela pour le quart de son salaire. Si on veut attirer les meilleurs gestionnaires, il faut également bien les payer.’’
Pas besoin de bons salaires pour attirer les travailleurs ordinaires apparemment. Les facteurs qui parcourent le pays sous toutes les intempéries avec des trajets développés par des programmes informatiques qui n’en tiennent pas compte ne méritent pas le même traitement. La notion de ‘‘salaire minimum compétitif’’ a un sens différent quand on est un simple travailleur ou un cadre supérieur. Pour nous, cela revient à devoir parfois combiner deux ou trois emplois pour joindre les deux bouts. Pour eux, cela signifie d’obtenir des salaires mirobolants.
Les réalisations de Johnny Thijs méritent d’être mentionnées : il a fait fermé près de la moitié des bureaux de poste et a lancé l’entreprise sur les rails de la libéralisation. Résultat : un véritable massacre social. 10.000 emplois ont été perdus en dix ans, sans trop de résistance syndicale organisée – ce dont les syndicats ne devraient pas être fiers. Ça, selon les politiciens libéraux (et le patron de Bpost lui-même), cela vaut un salaire annuel de 1,1 million d’euros.
Au cours de ces dernières décennies, l’écart entre le salaire des chefs d’entreprise et celui des travailleurs a fortement augmenté. Aux Etats-Unis, les patrons des plus grandes entreprises gagnaient, en 1980, 42 fois plus que la moyenne d’un travailleur, contre 380 fois plus en 2012. En Russie, en 1917, un autre système a été introduit (avant la dégénérescence stalinienne de la Russie soviétique). La tension salariale maximum – le rapport entre le plus haut salaire et le plus bas – a été limitée à un pour quatre. Si un travailleur est censé pouvoir joindre les deux bouts avec son salaire, alors quatre fois celui-ci doit être largement suffisant pour disposer d’une vie agréable.
Dans le cadre de la lutte pour améliorer nos conditions de travail et de salaire, nous devons dénoncer les excès de l’élite et leur hypocrisie. Mais cela ne suffira pas. Nous devons utiliser ces données pour aider à construire un rapport de forces. Il faut aussi discuter de la manière dont sont ‘‘gérées’’ nos entreprises publiques : sous la direction de gestionnaires capitalistes grassement rémunérés ou sous celle de représentants démocratiquement élus par le personnel et les usagers?