Il nous faut une riposte socialiste contre la dictature des marchés
Si le mois de juin est habituellement celui des déclarations d’impôts, la fiscalité a cette année-ci été plus largement présente dans les médias. Ainsi, la Commissaire européenne Neelie Kroes (1) s’en est prise aux géants Apple, Google ou encore Amazon pour avoir délocalisé leurs profits vers des paradis fiscaux, en toute légalité. L’évasion fiscale était également l’un des grands thèmes de discussion des dirigeants des grandes puissances industrielles du G8 (2) réunis fin juin en Irlande du Nord. Alors, ça y est, on va enfin s’en prendre aux grandes entreprises et à leurs superprofits ?
Edito de l’édition d’été de Lutte Socialiste, par Nicolas Croes
Rien n’est moins sûr, et ce n’est pas une surprise. Face à la crise du système, les classes dominantes doivent parvenir à convaincre que la clé du problème est en marge du système et non pas en son cœur, tout en donnant l’illusion que les ‘‘grands’’ aussi vont devoir (un peu) payer. Bref, un beau tour de passe-passe destiné à détourner l’attention.
Un simple dysfonctionnement ?
Cette approche n’est pas sans conséquence, y compris à gauche où l’on trouve nombre d’analyses qui se contentent finalement de dénoncer le sommet fiscal de l’Iceberg sans aller au fond des choses. Le thème de la ‘‘justice fiscale’’ est ainsi un des points essentiels – si pas le seul dans certains cas – abordés par divers collectifs militants ou par les structures syndicales.
Alors, évidemment, sur ce terrain, la situation est proprement aberrante. Le contrôle budgétaire de juin a abouti à un sixième effort budgétaire (en un an et demi !) de l’ordre de 526 millions d’euros pour boucler 2013 et 3,5 milliards d’euros doivent déjà être trouvés pour le budget 2014. Pendant ce temps, le fisc perd chaque année des sommes colossales à cause de la fraude et de l’évasion fiscales, sans oublier les différents cadeaux offerts aux patrons, tels que les Intérêts Notionnels (3). Mais comment croire qu’une meilleure fiscalité suffira à résoudre les problèmes de l’économie capitaliste ? Comment éviter l’évasion du capital vers d’autres pays ? Et comment traiter les 1.000 milliards d’euros d’actifs toxiques qui restent stockés dans les ‘‘bad banks’’ européennes (4) ?
Il est légitime de prendre appui sur des thèmes qui révoltent de larges couches de la population, mais prendre appui signifie d’aller ensuite plus loin et de tracer la voie vers un autre type de société. Le système fiscal est très inéquitable, certes, et il est surtout impossible à réformer efficacement sans enlever aux riches les moyens de pression dont ils disposent: les leviers économiques majeurs que sont les secteurs de l’énergie, de la finance, de la sidérurgie,…
Contre un cancer généralisé, l’homéopathie ne fonctionne pas
Cette question fondamentale du contrôle public et démocratique des secteurs-clés de l’économie a disparu de l’analyse de la plupart des forces anti-austérité. Même dans les rangs syndicaux, on trouve de nombreuses déclarations contre le ‘‘capitalisme financier’’ et non pas contre le capitalisme tout court, à l’instar de la CGSP-Wallonne qui parlait de ‘’L’économie capitaliste [qui] est aujourd’hui dominée par la finance et la spéculation, cela mine l’économie réelle et détruit notre modèle social’’ dans le cadre de la journée d’action du 24 juin. La finance et la spéculation se nourrissent des réserves que les capitalistes ‘‘industriels’’ refusent d’investir à cause de la crise de surproduction du capitalisme. S’en prendre à la spéculation, cela signifie avant tout de leur couper leurs fonds d’approvisionnement, et donc de saisir l’argent qui dort sur les comptes des multinationales et grandes entreprises afin de répondre à la multitude de besoins sociaux qui manquent de moyens.
Ce mois de juin fut aussi celui des révoltes extraordinaires en Turquie et au Brésil. Ces deux exemples ont, une nouvelle fois, exprimé que la colère peut se développer sous un calme apparent et s’exprimer ensuite massivement à la suite d’une petite étincelle. Reste à organiser cette rage et l’orienter contre le système lui-même. Là-bas comme ici, nous avons besoin d’un plan d’action offensif – basé sur des mobilisations de masse et des grèves générales – qui pose ouvertement les jalons vers une société où l’économie serait débarrassée de la logique de profit, une société socialiste démocratique.
Notes
(1) Commissaire européenne en charge des Nouvelles Technologies, citation extraite de ‘‘Europe : les géants d’internet invités à ne plus contourner le fisc’’, RTBF.be, 17 juin 2013.
(2) Le ‘‘G8’’ ou ‘‘Groupe des 8’’ est un groupe de discussion et de partenariat économique qui réunit huit pays parmi les plus puissants au monde : les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, le Canada et la Russie.
(3) En 2010, le fisc belge a perdu plus de 5 milliards d’euros de recettes à cause du système de la Déduction des Intérêts Notionnels. (Marianne.net, La Belgique, un paradis pour les multinationales françaises, 15 juin 2013)
(4) LesEchos.fr, « Bad Banks » : une bombe de 1.000 milliards d’euros pour les contribuables européens, 17 juin 2013