Nous n’avons pas encore de texte de loi sous les yeux, tout juste le rapport d’une proposition de compromis imposée par le gouvernement aux partenaires sociaux afin de respecter la date limite du 8 juillet. A cette date, il fallait, selon la Cour Constitutionnelle, mettre fin à la discrimination entre les statuts ouvrier et employé. Le plus surprenant concernant ce compromis, c’est la manière dont le gouvernement est parvenu à le faire passer.
Par un militant de la FGTB
Le Premier ministre a souligné la ‘‘touche féminine qui a fait la différence’’ et a permis de parvenir à ce compromis, grâce à la présence de Monica De Coninck, sa chef de cabinet et celle du cabinet Di Rupo. Nous n’avons aucun doute quant au fait que les femmes sont les égales des hommes en politique, mais nous ne remarquons pas grand chose de la prétendue ‘‘préoccupation féminine’’ concernant l’aspect humain. Au final, seuls les patrons sont gagnants, les employés les mieux payés perdent beaucoup, les employés les moins payés perdent un peu et même les ouvriers sont en partie perdants. Et comme cerise sur le gâteau, la plupart des coûts de cet accord seront supportés par la collectivité alors que tout le monde sait pertinemment bien que ce sont les travailleurs et certainement pas les entreprises ou les détenteurs de capitaux qui paient le plus d’impôts. Nous sommes dans de la revue, par deux fois.
Les délais de préavis
La base existante pour les délais de préavis, c’était jusqu’ici la loi relative aux contrats de travail du 3 juillet 1978. Cette loi stipule que les ouvriers disposent de courtes périodes de préavis en cas de licenciement, tandis que les employés les moins payés avaient un plus long délai et les employés les mieux payés un délai encore plus long. Dans de nombreux cas toutefois, ce délai de préavis n’est pas effectivement presté mais le patron paie le salaire du préavis, ce qu’on appelle l’indemnité de préavis. Depuis le 1er janvier 2012, les délais de préavis pour les employés supérieurs étaient déjà assimilés aux employés inférieurs dans le cas des contrats conclus après cette date.
Le délai de préavis pour les employés inférieurs était de trois mois par période entamée de cinq ans. Pour les employés les mieux payés – le seuil pour 2013 avait été fixé à un salaire annuel minimum de 32.254 € bruts – et dont le contrat avait été conclu avant le 1er janvier 2012, la règle était que la période de préavis était décidée par un accord entre l’employé et le patron au moment où le licenciement était signifié. Généralement, la ‘‘formule-Claeys’’ était appliquée (une formule tenant compte de la rémunération, de l’ancienneté et de l’âge de l’employé), cette formule étant régulièrement adaptée en fonction des nouvelles lois, mais il s’agissait de toute façon d’une combinaison plus favorable que pour les employés inférieurs.
Le compromis actuel prévoit que les délais de préavis seront égaux pour tous les employés et les ouvriers. Les employés perdent leur délai de préavis de trois mois par période de travail entamée de cinq ans. Le nouveau système prévoit que les deux premières années, le nombre de semaines de préavis augmente à chaque trimestre. Après trois années d’ancienneté, une ou deux semaines sont ajoutées et, après cinq ans, trois semaines sont ajoutée par année de travail jusqu’à un maximum de 62 semaines. Après vingt ans d’ancienneté, seule une semaine est ajoutée par année de travail prestée. Contrairement à la loi de 2012, ce système serait appliqué aux contrats déjà en cours avec la nuance que les délais de préavis en cours seraient cassés, mais en raison de l’absence de législation, la manière dont cela sera fait n’est pas encore claire. Conclusion : tous les employés y perdent.
Mais c’est aussi le cas des ouvriers. Selon la loi actuelle, la période de préavis est de quatre semaines pour les deux premiers trimestres. Avec ce compromis, cela est réduit à deux semaines avant d’ensuite commencer à augmenter. Dans certains secteurs, les ouvriers avaient obtenu au cours de ces dernières années un contrat d’employé ou équivalent concernant la période de préavis, et ces avantages seront dorénavant perdus. Pour le dire autrement: les patrons nostalgiques de la discrimination de statut récupèrent à nouveau les vieilles conditions.
Les autres discriminations
Avec cet accord, les syndicats s’engagent volontairement à ne pas entamer de procédure juridique contre les autres discriminations telles que, entre autres, les motifs de licenciement ou les régimes de retraite. Jusqu’ici, il n’existait qu’une obligation limitée de motivation de licenciement, uniquement pour les ouvriers. Le fameux article 63 interdit tout licenciement abusif d’un ouvrier. Ce n’est pas que cela disparait, mais il y a en tout cas, une inversion de la charge dans la mesure où c’était précédemment l’employeur qui devait prouver que le licenciement était justifié et non le travailleur qui devait prouver qu’il n’était pas justifiée. L’accord stipule que cela doit se régler devant le Conseil National du Travail (CNT). Mais le risque est que, sous le couvert de l’égalité, même cette obligation de motivation limitée soit abolie et que les ouvriers se retrouvent les dindons de la farce.
L’une des principales discriminations dont on entend étrangement à peine parler, est le refus de la pension complémentaire des ouvriers. Dans de nombreuses entreprises, les employés disposent d’une pension complémentaire. Il s’agit d’une violation flagrante du principe européen de non-discrimination et la probabilité qu’un ouvrier remporte son procès à ce sujet est très grande. Avec le compromis, les syndicats s’engagent maintenant à poursuivre les négociations à ce sujet. Mais c’est à long terme, et le risque est grand que les employés en fassent les frais. Après tout, si le coût de la pension extra-légale ne doit pas augmenter et que le gâteau doit être réparti entre plus de gens, ceux qui en bénéficient aujourd’hui devront céder une partie.
Nous payons deux fois
Les coûts associés au compromis seront à la charge des salariés ou de la collectivité, ce qui revient au même. Il est prévu qu’une partie de la prime de licenciement soit convertie en reclassement professionnel (en aide à la recherche d’un autre emploi). Alors que précédemment l’on pouvait utiliser son indemnité de licenciement pour, par exemple, repayer sa maison, il faudra désormais en livrer une partie aux entreprises spécialisées dans le reclassement professionnel. Auparavant, ces coûts, dans le cas d’une fermeture d’entreprises ou du licenciement d’un travailleur plus âgé, étaient payés par la collectivité. Qui profite le plus de la nouvelle situation ? Très certainement les entreprises impliquées dans le reclassement et qui considèrent ce terrain comme un nouveau marché émergeant. De plus, la plupart des travailleurs qui retrouvent un emploi par ce biais sont moins rémunérés ou n’ont que des contrats temporaires. Ainsi, les travailleurs devront eux-mêmes payer la précarisation accrue du travail.
Concernant tous les aspects coûteux du compromis, les patrons recevront des moyens de la part de la collectivité, notamment compris au travers des budgets de l’ONEM. Comme les travailleurs paient la plupart des impôts, ils payent aussi de ce côté.
Le pire est-il encore à venir?
Enfin, il est à remarquer que certains secteurs restent des exceptions où les travailleurs disposeront de préavis moindres. C’est le cas des ouvriers de l’industrie de la construction et cela le restera avec le nouveau système, il reste encore à voir comment de telles anomalies sectorielles concernant des périodes de préavis plus courtes pourront être coulées dans la loi. De toute façon, les patrons d’autres secteurs tels que le textile exigerons d’obtenir également une exception sous prétexte qu’ils seraient incapables de pouvoir rivaliser. Si nous acceptons cette logique, il n’y a aucune raison de penser que le même argument ne servira pas dans la chimie ou encore dans le métal. Toutes les entreprises sont sous la pression de la concurrence et demandent à diminuer leurs coûts salariaux. En tant que syndicats, accepter cela signifie d’obtenir effectivement l’égalité des salaires et des conditions de licenciements à long terme, mais alors à un niveau chinois ! Il est grand temps que les syndicats élaborent une stratégie pour empêcher cela. Les concessions faites par les syndicats sous la pression des patrons pour être compétitifs n’ont pas permis à des entreprises performantes telles qu’Opel à Anvers ou Ford à Genk de tenir.
Au lieu de s’asseoir à la même table que le gouvernement et les patrons pour négocier la réduction des salaires et la dégradation des conditions de travail, les syndicats devraient plutôt utiliser leur temps et leur énergie pour construire la solidarité au-delà des limites des entreprises et des secteurs, au-delà des frontières linguistiques et nationales et lutter avec les ouvriers et les employés des autres pays pour de meilleures conditions de travail pour tous.