Récit d’une fermeture

Le producteur de bêton Trilco aplatit ses employés

Il y a trois ans, les directeurs du groupe Echo déclaraient dans un article du Trends/Tendance : “La crise, c’est agréable.” À l’époque, un travailleur avait lancé un avertissement quant aux conséquences de cette phrase sur notre site www.socialisme.be. Il a malheureusement eu raison. Trilco, entreprise du groupe Echo spécialisée dans le secteur du bêton et implantée à Hemiksem (Anvers), a été déclarée en faillite le 2 mai dernier. Le personnel restant – 45 ouvriers et 8 employés – est sacrifié.

Par Wilfried Mons, ancien délégué syndical chez Trilco

Depuis 2001 le taux d’écoulement (le mètre carré de produit écoulé par mètre carré livré) était en chute libre. La firme faisait alors partie depuis quelques années du groupe Echo (bêton également). Le taux d’écoulement record de 1.143.000 m² atteint en 2000 chuta à 380.000 m² en 2008, essentiellement en raison d’un manque total d’investissement et d’innovation. La politique de l’entreprise fut marquée par la prétention et l’arrogance. “Le client est roi, mais Echo est empereur” semblait être devenu la devise officielle. Mais l’empire Echo commençait à tomber en ruine, y compris chez Trilco. La chute du taux d’écoulement eut également comme conséquence une réduction de l’embauche. Des plus de 100 ouvriers et employés chez Trilco en 2000, il n’en restait que 45 ouvriers et 8 employés en 2013.

L’arrogance du groupe Echo s’était pleinement exprimée dans l’article “La crise, c’est agréable” (Trends/Tendance, 11 mars 2010) où Marc et Bob Cuyvers (à la tête du groupe) s’en sont pris au personnel (“les salariés pensent qu’ils doivent recevoir le plus possible pour le minimum de travail possible”), aux jeunes (“ton diplôme tu le reçois tout de même, peu importe ce que tu fais”) ou encore au gouvernement (“pour le gouvernement peu importe un milliard de plus ou de moins. Apparemment cela ne les intéresse pas”).

Le journaliste ne leur aura sans doute pas laissé relire l’interview, ce qui eu comme résultat que ces déclarations sans détour firent leur apparition dans la revue. Quelques années après, dans le contexte de ce qui arrive maintenant, ces lignes paraissent particulièrement cyniques. Mais on ne trouvera pas la suite de cette histoire dans les pages du magazine patronal, nous livrons le dénouement ici.

Mauvaise gestion avant la ruine

Lors de la publication de l’article du Trends, une usine flambant neuve était supposée entrer en production dans la région de Genk. Elle aurait dû devenir l’usine de piliers en béton préfabriqués la plus moderne en Europe, où toute livraison aurait été prête à partir dans les 48 heures après commande définitive. Elle aurait dû car, après une année et demi d’essais infructueux, le logiciel onéreux a dû être abandonné. On n’avait jamais pensé écouter les remarques du personnel qui s’y connaissait pourtant bien et maîtrisaient la pratique. Beaucoup de salariés avaient le pressentiment que cela allait mal finir, surtout quand le responsable du projet est parti de l’usine sur la pointe des pieds. Le comité d’entreprise s’est retrouvé impuissant.

De la part du comité d’entreprise – ou du soi-disant “infoteam” à Trilco (lequel remplaça le comité d’entreprise à partir de janvier 2009) – pas la moindre critique ne fut tolérée. Dans le rapport de 2010 cela est présenté comme suit : “De Trilco nous attendons une coopération active.”

Les problèmes à Genk furent alors délégués à un nouveau “Operations Director Floor Solutions” (les titres ronflants n’ont jamais manqué…). De plus, à ce moment-là, la majeure partie des actifs d’Echo group était hypothéqués. Toutes les entreprises du groupe se portaient garantes l’une pour l’autre. Toutes réponses aux questions syndicales sur l’enchevêtrement d’engagements et d’emprunts mutuels entre les sociétés sœurs furent sans cesse évitées.

A côté de toutes ces péripéties, il y a aussi eu la crise de 2008. La débâcle s’est accélérée. Le directeur financier a rendu son tablier le 11 avril 2012. Le 23 avril la “loi relative à la continuité des entreprises” (LCE) fut amorcée pour Trilco, entre autres. Nerva, une branche du groupe installée à Harelbeke a échappé à cette procédure étant donné qu’il y avait un actionnaire minoritaire.

Du personnel engagé pour en finir

Avant l’aboutissement de la procédure LCE Christel Gijsbrechts est devenue CEO. Le 10 septembre 2012, l’intention de fermer Trilco a été annoncée afin d’amorcer la procédure Renault. Le 23 octobre 2012, la procédure LCE a été prolongée de six mois. Finalement, le 23 avril 2013, Trilco a officiellement été en faillite.

Normalement, dans une procédure LCE, un plan de relance est convenu avec les créanciers. Ce ne fut jamais le cas pour Trilco. Malgré cela, le tribunal ne vit aucun problème à prolonger la procédure LCE de six mois en octobre 2012. L’espoir que la Société de Reconversion Limbourgeoise (Limburgse Reconversie Maatschappij – LRM) pourrait subvenir aux besoins financiers de l’entreprise comme investisseur complémentaire fut vite déçu. Le montant dont Echo avait besoin était en effet trop important. En conséquence, l’idée vint de laisser Trilco faire faillite.

Mais il s’ensuivit un second échec: la vente du terrain n’aboutissait pas. Après l’espoir déçu dans LRM, on avait compté sur le fait qu’une partie de l’argent de la vente du terrain pourrait être utilisée pour un plan social. Le terrain devait être vendu à Umicore, une entreprise qui avait, après tout, des droits de préemption. Mais la dépollution revenait trop chère. Au milieu du terrain, la firme Revos avait été active durant des années pour récupérer l’huile usagée. Le propriétaire de cette entreprise avait pris la poudre d’escampette, mais l’huile était bien restée dans le sol. Cette pollution devint la responsabilité d’Ovam (la société publique responsable de l’assainissement des sols en Flandre), mais celle-ci ne sembla jamais pressée de trouver une solution. Ainsi, la vente a abouti à l’impasse.

Le temps pressait. Les acheteurs potentiels de l’entreprise Nerva commencèrent à s’agiter et l’argent de cette vente pouvait être utilisé pour alléger l’hypothèque de Trilco. Les entreprises du groupe se portaient, après tout, garantes l’une l’autre et, pour chaque vente d’une partie du groupe Echo, un accord avec les banques était nécessaire.

Quand Ovam arriva enfin avec des bonnes nouvelles le 20 mars 2013, la vente de Nerva s’ensuivit presque aussitôt. Que s’était-il réellement passé ? Il y a eu un accord sur la vente du terrain de Trilco pour 6,4 millions d’euros, exactement le montant de l’hypothèque qui reposait sur Trilco. Les banques étaient donc satisfaites, l’hypothèque de Trilco pouvait être remboursée. D’autre part, la vente de Nerva pouvait être effectuée et l’argent utilisé. La famille Cuyvers paru surtout se concentrer, avec la coopération de Christel Gijsbrechts, sur deux parties du groupe Echo (Vaheja-nv à Neerpelt et Frederickx bvba à Messelbroek).

L’argent de la vente de Nerva ne fut pas utilisé pour l’hypothèque de Trilco, les caisses vides restèrent vides et il n’y avait pas le moindre cent pour le plan social. Si Nerva avait été vendue en premier, l’argent aurait été utilisé pour l’hypothèque de Trilco et l’argent de la vente du terrain se serait retrouvé dans le dossier de faillite.

Mais rien de cela: le compromis de vente du terrain a servi à rembourser l’hypothèque et les banques sont parties avec l’argent. Que reste-t-il ? une partie du stock invendu mais en grande partie invendable, encore quelques livraisons prêtes à partir, un hall de production pour piliers en béton préfabriqués rugueux et une installation de découpage. Tout se qui pourra rapporter un peu d’argent ira aux fournisseurs et aux créanciers. Le personnel est envoyé au ‘Fonds de fermeture d’entreprises’ (où les employés qui peuvent normalement compter sur une meilleure indemnité de licenciement sont les plus grand perdants).

Dire que Madame Gijsbrechts ait inventé ce système serait lui faire trop d’honneurs. D’autres l’ont précédée en laissant une ou plusieurs firmes d’un même groupe faire faillite en faisant faux bond au personnel. Mais ici, deux procédures furent abusées: la procédure LCE donna l’IMPRESSION qu’un rétablissement était possible (le Tribunal de Commerce joua le jeu même APRÈS la fermeture annoncée!), et puis la loi Renault qui dans la seconde phase avait comme OBJECTIF un accord sur le plan social qui n’est jamais arrivé. Les secrétaires syndicaux ne pouvaient-ils pas se rendre compte (plus tôt) de se qui se tramait ? Les responsables des dégâts s’en tirent bien, les innocents payent le prix fort.

Durant toute la procédure LCE, les syndicats ont entièrement été mis hors jeu. Aurait-on pu lancer un appel à la grève et/ou au blocage du site à l’annonce de la fermeture le 10 septembre 2010? Le résultat n’aurait probablement pas été différent. Mais la direction n’aurait assurément pas manqué de nous désigner comme responsables de la faillite en ressortant l’habituel discours : “Ce sont encore les syndicats qui avec leur actions détruisent les entreprises…” La réalité est, on le voit, clairement différente !

Comme nous le prévoyions dans un mail le 3 avril : “Nous (Trilco) sommes depuis longtemps ‘’l’arrière-garde’’ qui est sacrifiée comme à la guerre.” L’expertise de Christel Gijsbrechts a gagné en valeur dans les milieux patronaux et des banques. La famille Cuyvers peut pousser un soupir de soulagement dans son appartement à Monaco… et nous (encore 45 ouvriers et 8 employés) ? Nous, on nous a SACRIFIÉS !

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