Comment vaincre la machine d’austérité européenne ?

Depuis le début de la crise de la zone euro, les mobilisations de masse n’ont pas manqué contre la politique d’austérité, avec toute une série de manifestations et de grèves mais aussi de grèves générales. Mais même si ces explosions de colère et de rage ne peuvent plus tout simplement être passées sous silence – malgré le contrôle des médias dominants et de l’information par la classe dominante – le bulldozer de la casse sociale n’en a pas moins poursuivi sa course, une course d’ailleurs destinée à devenir plus meurtrière encore avec l’adoption du ‘‘Traité européen d’austérité’’ (le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, TSCG). Quelle contre-attaque organiser et comment (re)mobiliser les découragés de la lutte sociale ?

Par Nicolas Croes

A faux diagnostique, faux remède

La logique austéritaire ne fonctionne tout simplement pas. Tout y est faux, du début à la fin. Cette politique de bain de sang social est basée sur une explication totalement erronée : la crise de la zone euro proviendrait non pas de la faillite du secteur bancaire et de la collectivisation des pertes du privé – elles-mêmes conséquences des contradictions du système capitaliste – mais des dépenses publiques ‘‘impayables’’. Banquiers et spéculateurs ont en fait bénéficié de la complicité active et enthousiaste des politiciens capitalistes et des médias dominants pour se cacher, eux et leurs responsabilités, derrière les fonctionnaires ‘‘fainéants’’, les travailleurs ‘‘privilégiés’’, les chômeurs ‘‘parasites’’ et les pensionnés ‘‘destructeurs de sécurité sociale’’. A cette liste se sont rajoutés – au gré des besoins – les immigrés, les homosexuels, les femmes, les syndicats,… et l’extrême-droite est loin d’être la seule à avoir tenu la plume.

Il a toujours été clair que cette politique n’allait rien arranger pour les masses, que nous serrer la ceinture n’allait pas nous préparer des jours meilleurs et qu’il nous faudrait au contraire percer de nouveaux trous. La maîtrise relative de la dette publique avant 2008 n’avait d’ailleurs pas empêché les divers pays européens de sombrer profondément dans la crise. S’il en était encore besoin, un bref coup d’œil porté aujourd’hui sur cette Union Européenne dévastée suffit à illustrer la faillite totale de l’austérité.

En Espagne, après des années de coupes dans les budgets des autorités, d’augmentations de taxes (pour l’homme de la rue, pas pour ceux qui nous regardent du haut de leur tour d’ivoire) et de destruction des conditions de travail et des salaires, l’avenir du pays reste plombé par la récession. Le taux de chômage vient d’y franchir un seuil historique lors du premier trimestre de cette année en atteignant les 27,16%. Derrière ce chiffre, il y a 6.202.700 personnes plongées dans la misère (pas moins de 237.400 de plus qu’au trimestre précédent). Dans cette course macabre, l’Espagne ne cède la place qu’à la Grèce (27,2% de chômage officiel en janvier). Quant à cette fameuse dette publique dont la réduction justifie tous les sacrifices (pour autant qu’ils ne touchent pas l’élite de la société), elle a elle aussi atteint un nouveau record au premier trimestre de 2013 : 923,31 milliards d’euros, soit 87,8% de la totalité des richesses produites en un an dans le pays (le PIB, Produit Intérieur Brut). La Banque centrale prévoit qu’elle poursuivra son ascension vers les 91,4% du PIB en 2013 et les 99,8% en 2016. Et quand ça ne marche pas on fait quoi ? Et bien on continue !

La saignée est inefficace, allons-y à la hache !

En Grèce, l’austérité massive n’a pas empêché la dette publique d’atteindre les 159,9% de son PIB fin 2012 (une croissance de 8,6% entre 2010 et 2012). Ce taux aurait d’ailleurs largement dépassé les 190% si le tiers de la dette grecque (100 milliards d’euros) n’avait pas été annulé en mars 2012. Fin 2012 toujours, la dette souveraine de l’Irlande représentait 117,6% de son PIB (+ 25,5% entre 2010 et 2012) et celle du Portugal 123,6% (+ 29,6% entre 2010 et 2012).

Ces trois pays sont ceux à avoir subi le plus directement la dictature des marchés, par l’intermédiaire de l’action dévastatrice de la troïka européenne (qui réunit la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fonds Monétaire International). Afin de bénéficier de ‘‘l’assistance’’ du Fonds Européen de Stabilité Financière, puis du Mécanisme Européen de Stabilité, les gouvernements de ces pays se sont engagés à appliquer une politique antisociale extrêmement brutale. Le résultat de cette politique (explosion du chômage, des suicides, des expulsions de logements, de malades incapables de payer leurs soins,…) ne peut que faire froid dans le dos, notamment à la population chypriote dont le pays vient de rejoindre le club des Etats mis en coupe réglée par la troïka européenne. Il est pourtant question de mettre toute la population européenne au même régime à l’aide du TSCG, le ‘‘traité d’austérité’’ européen. Ce texte a été signé le 2 mars 2012 par 25 pays de l’Union Européenne (tous sauf le Royaume-Uni et la République tchèque) et prévoit de ‘‘renforcer le pilier économique de l’Union économique et monétaire en adoptant un ensemble de règles destinées à favoriser la discipline budgétaire au moyen d’un pacte budgétaire, à renforcer la coordination de leurs politiques économiques et à améliorer la gouvernance de la zone euro.’’ En gros, il condamne l’Union Européenne à une austérité permanente.

TSCG : une dictature des marchés de plus en plus ouverte

L’article 3 du Traité interdit de dépasser un ‘‘déficit structurel’’ de 0,5% pour le budget d’un gouvernement (doublé dans le cas où la dette publique se situe sous les 60% du PIB). Respecter cette règle signifiera d’opérer des coupes encore plus profondes dans les dépenses publiques à un moment où les investissements de l’Etat dans l’économie sont plus que jamais nécessaires. De plus, cette notion de ‘‘déficit structurel’’ est absolument arbitraire. En 2006, le Fonds Monétaire International avait par exemple estimé le déficit structurel irlandais à 5,4% du PIB, tandis que la Commission Européenne l’avait estimé à 2,2%. Et c’est la Commission Européenne – le quartier général européen de l’offensive antisociale – qui décidera du chiffre à garder, de même que des moyens à mettre en œuvre pour rester dans le cadre de la discipline budgétaire !

Il ne s’agit là que d’un exemple, tout le reste du texte est du même acabit, uniquement basé sur une vision à court terme de l’économie capitaliste et sur la recherche du profit maximal le plus rapidement possible. L’élite européenne est tellement idéologiquement liée au néolibéralisme qu’elle est incapable de voir l’impact dévastateur qu’aura ce traité, même en considérant les intérêts des capitalistes à plus long terme.

Ce traité est aussi une attaque anti-démocratique de taille. L’Union Européenne est déjà une institution anti-démocratique, ce n’est même pas une ‘‘démocratie parlementaire’’. Le pouvoir y est concentré dans la Commission Européenne et le Conseil Européen. Fin 2011, 6 mesures ont été adoptées (le ‘‘six-pack’’) pour transférer d’importants pouvoirs de décision des gouvernements élus vers la Commission Européenne non-élue, tandis que la prise de décision a été modifiée au sein du Conseil Européen afin de rendre les sanctions punitives quasiment automatiques en cas de non-respect des dictats néolibéraux.

Le texte du Traité prévoit de considérer le néolibéralisme comme une obligation et non plus comme un choix économique. L’article 5 prévoit ainsi de placer un pays directement sous administration des autorités européennes. Actuellement, plus de vingt pays sur les 27 que comprend l’Union Européenne sont exposés à cette tutelle !

Quel type de résistance ?

Pourquoi l’austérité ?

Comme expliqué ci-contre, l’austérité ne vise pas à ‘‘rééquilibrer les budgets des autorités’’. Dans le cadre de la crise de surproduction dans laquelle est plongée la totalité du système capitaliste (et pas uniquement l’Europe), il s’agit pour ‘‘nos’’ élites de restaurer par la manière forte le taux de profits des capitalistes, les détenteurs des moyens de production. A la manière dont Naomi Klein l’avait développé dans son livre ‘‘La stratégie du choc’’ (également disponible gratuitement sous forme film-documentaire sur internet), le choc de la crise a servi de prétexte pour accroitre l’offensive contre les acquis sociaux que le mouvement des travailleurs avait pu obtenir par le passé grâce à sa lutte.

Il s’agit de l’accentuation de la politique néolibérale de transfert de richesses de la collectivité vers le privé, initiée en leur temps par Pinochet au Chili, Reagan aux Etats-Unis et Thatcher au Royaume-Uni. Cette politique économique était devenue nécessaire suite à la crise économique des années ‘70 et a pris son plein essor suite à l’effondrement du stalinisme au début des années ’90. Depuis lors, les privatisations d’entreprises publiques, les réductions de moyens pour les budgets sociaux et les diminutions de taxes pour les grosses entreprises se sont suivies au pas de charge. Mais cela n’a pas pu empêcher la crise d’éclater.

Quel programme contre l’austérité ?

  • Non à l’austérité ! Pour la défense des services publics et des pensions ! C’est aux patrons de payer pour leur crise !
  • Pour des syndicats combatifs et démocratiques et des partis larges de travailleurs combatifs !
  • Dans chaque pays : pour un plan d’action combatif, démocratiquement discuté à la base, afin de construire le meilleur rapport de force contre l’offensive antisociale et d’élever la conscience des masses par la discussion et l’action collective !
  • Pour un plan d’action vers une grève générale de 24 heures à l’échelle européenne !
  • Non à la dictature des marchés ! À bas les agences internationales de notation de crédit et le FMI ! Stop au paiement des dettes de l’État aux capitalistes ! Arrachons la richesse des mains des spéculateurs super riches !
  • Nationalisation des secteurs-clés de l’économie (finance, énergie, sidérurgie…) sous le contrôle démocratique et la gestion des travailleurs !
  • Non au chômage de masse ! Pour la réduction du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires !
  • Pour des programmes massifs de travaux publics afin de créer des emplois socialement utiles et de répondre aux besoins de la population
  • Non à l’Europe des patrons et des marchés ! Pour une Europe socialiste démocratique !

Les pétitions, cartes blanches, déclarations,… n’ont pas manqué pour dénoncer ce traité. Les positions défendues dans ces critiques étaient souvent très bonnes, mais les moyens exposés pour vaincre le TSCG n’ont pas été à la hauteur de l’attaque. Le TSCG n’a été soumis au référendum qu’en Irlande, avec une offensive patronale et un chantage extraordinaire qui ont réussi à faire passer le ‘‘oui’’ de justesse. Dans les autres pays, ce sont les parlements nationaux qui étaient responsables de l’acceptation du texte ou de son rejet. En Belgique, cela signifie de passer devant le Parlement flamand et le Sénat (où le traité a déjà été approuvé), à la Chambre du Parlement fédéral, au Parlement wallon, au Parlement bruxellois, au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et au Parlement germanophone. Hélas, l’opposition à l’austérité européenne s’est limitée à un lobbying à destination de parlementaires qui appliquent quotidiennement la casse sociale…

Ainsi, la centrale des employés de la CSC (CNE), malgré des prises de positions combatives ces derniers temps (notamment concernant la nécessité d’organiser une grève générale contre la politique des autorités belges ou face à la nécessité de construire un nouveau relais politique large pour les travailleurs aux côtés de la FGTB Charleroi & Sud-Hainaut), a appelé ‘‘tous les parlementaires belges à un sursaut de courage pour défendre notre démocratie. Ratifier ce traité serait comme choisir, en pleine mer, la ceinture de plomb plutôt que la bouée.’’ De même, le CEPAG (Centre d’Education Populaire André Genot, une ASBL d’éducation permanente liée à la FGTB et dont l’actuel administrateur général est Thierry Bodson, le président de la FGTB wallonne) a lancé une pétition déclarant notamment : ‘‘Nous devons agir pour que nos représentants élus ouvrent les yeux, refusent d’obéir à l’Europe de l’austérité et rejettent la Traité budgétaire. Mettons la pression sur les parlementaires afin qu’ils ne signent pas un texte en totale contradiction avec les intérêts de la population !’’ Ce lobbying est insuffisant, on ne peut convaincre les politiciens capitalistes d’agir dans nos intérêts que par la force. En ce sens, la manifestation appelée par la FGTB wallonne devant le Parlement Wallon le 29 mai dernier était un premier pas – tardif – dans la bonne direction, qui ne doit pas rester un acte isolé, doit être amplifié et être considéré dans le cadre de la lutte plus large contre l’austérité et les licenciements. Qu’attendre encore pour un vrai plan d’action avec grève(s) générale(s) ?

Pas mal de gens se demandent comment combattre cette Union Européenne antisociale qui parait être si lointaine. De nombreux politiciens traditionnels se servent d’ailleurs de ce sentiment d’impuissance pour justifier leurs attaques, sur le mode ‘‘c’est pas nous, c’est l’Europe’’. Cette question est loin d’être neuve. Karl Marx répondait déjà à son époque que ‘‘la lutte de classes est internationale dans son contenu mais nationale dans sa forme’’. Il n’en va pas différemment aujourd’hui. La majeure partie des problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs oppose directement ces derniers à la classe dominante de leur pays. Hélas, partout en Europe, nous sommes forcés de constater que les sommets syndicaux manquent d’audace et évitent soigneusement toute stratégie d’affrontement direct avec l’Etat capitaliste et les diverses bourgeoisies nationales.

L’exemple de la Grèce est à ce titre des plus édifiants. Ces dernières années, les grèves générales se sont succédées comme nulle part ailleurs en Europe, mais décidées et stoppées d’en haut, sans aucun plan d’action, bien plus destinées à laisser échapper la pression de la base qu’à sérieusement bloquer l’économie pour aller chercher les moyens là où ils se trouvent : dans les caisses des grandes entreprises et des banques. Dans chaque pays, le mouvement des travailleurs doit lutter pour récupérer ses instruments de lutte de masse, ce qui signifie de lutter résolument pour une démocratie syndicale (entre autres parce qu’une lutte déclenchée par la base est plus difficile à stopper par le sommet syndical), pour la fin du syndicalisme de négociation et de concertation et pour le retour d’un syndicalisme de lutte.

Pour nous, cette timidité dans la contre-offensive provient directement de l’absence d’idée concernant l’alternative à défendre contre la société capitaliste. ‘‘Nos’’ dirigeants syndicaux ont été tellement impliqués dans le ‘‘moindre mal’’ et dans la concertation avec les institutions capitalistes qu’ils refusent de sérieusement considérer qu’une voie de sortie existe en dehors du capitalisme. Revenir à un syndicalisme de lutte signifie donc aussi de s’armer d’un programme anticrise anticapitaliste basé sur la collectivisation des moyens de production et leur contrôle et gestion démocratiques. C’est la seule manière d’obtenir un plan de relance basé sur les nécessités sociales et écologiques et non pas sur la recherche de profit. Réclamer tout simplement une ‘‘fiscalité plus juste’’ est largement insuffisant, en plus de nier la possibilité de l’évasion de capitaux qu’il faut résolument saisir et donc exproprier. Cela nécessite aussi de disposer d’un prolongement politique large pour porter les exigences des travailleurs sur l’arène politique tout en étant un parti de lutte, qui ne se cantonne pas à l’activité électorale. Les PS, Partis Travaillistes, Pasok et autres sont totalement passés dans l’autre camp depuis belle lurette.

Pour une grève générale européenne

De même que la lutte internationale ne doit pas servir de prétexte à laisser sa propre classe dirigeante nationale tranquille, une coordination des luttes par-delà les frontières – et particulièrement au niveau européen – est absolument cruciale. A ce niveau aussi, la faiblesse de la direction du mouvement des travailleurs est criante : la Confédération Européenne des Syndicats (CES) reçoit ainsi une partie de ses subsides de la Commission Européenne, et a toujours considéré son action dans le cadre de la construction loyale d’une Union Européenne capitaliste ‘‘sociale’’. On en voit le résultat.

Le mot d’ordre d’une grève générale européenne est aujourd’hui d’une extrême importance, et la journée d’action européenne du 14 novembre dernier en a illustré le potentiel. Cette action coordonnée de plus grande ampleur que par le passé était un reflet de la pression grandissante de la base syndicale sur les divers syndicats européens et sur la CES elle-même. En Espagne et au Portugal, des grèves générales de 24 heures ont eu lieu (ce fut la plus massive et militante depuis 1974 au Portugal tandis qu’un million de personnes avaient manifesté à Barcelone et à Madrid). Des actions de grève avaient aussi eu lieu en Italie, en Grèce, à Malte, à Chypre et en Belgique. Comme nous le disions à l’époque : ‘‘Le génie des actions de grèves internationales est sorti de sa lampe.’’

La combativité nécessaire à la victoire est bel et bien présente. Mais toute cette énergie ne peut être que dilapidée si elle n’est pas canalisée au travers d’un plan d’action combatif, avec un échéancier clair capable de peu à peu (re)mobiliser tous ceux qui veulent se battre mais se rendent bien compte que nombre de responsables syndicaux ne sont eux-mêmes pas convaincus qu’il est possible d’inverser la tendance antisociale actuelle. Laisser cette situation perdurer équivaut à ouvrir grand la voie à la droite la plus réactionnaire et à l’extrême-droite. Avec les conséquences que cela implique.

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