Dans l’article ci-dessous, Aïda, une sympathisante du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Tunisie, revient sur la situation des droits des femmes en Tunisie, dans le contexte particulier de révolution et de contre-révolution qui y prend place. La lutte pour les droits des femmes est intégralement liée à celle du mouvement des travailleurs et de la jeunesse pour la défense et la poursuite de la révolution, afin d’en finir avec le pouvoir actuel, ses visées intégristes et le capital qui le nourrit.
Prêches et propagande Wahhabite
La Tunisie du gouvernement Ennhadha accueille à bras ouverts les Imams et les Cheikhs wahhabites. Le prédicateur égyptien Wajdi Ghonim, défenseur de l’excision, a donné plusieurs conférences dans de nombreuses régions en Tunisie en février 2012. D’autres imams et prêcheurs wahhabites (tel que Amr Khaled, Safwet Hejazy, ou récemment Nabil Al Aouadhi) se relaient en Tunisie afin de propager leurs prêches. Interrogée sur l’accueil de Nabil Al Aouadhi à Zarzis par des petites filles à l’âge des fleurs, toutes en Hijab (portant le voile), la ministre des affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi (du parti CPR, allié d’Ennahda dans le gouvernement de la Troïka tunisienne) répond : ‘‘Au lieu de le rapatrier, il faudrait laisser les idées s’affronter, c’est l’essence même de la démocratie que nous sommes en train d’instituer. L’invitation du prédicateur koweïti s’inscrit dans ce cadre.’’
Pas un mot sur l’instrumentalisation de fillettes âgées de 4 à 7 ans, qui ont de plus eu droit à l’appellation de ‘‘princesses de Zarziz’’ par le site islamiste ‘Zitouna Tv’. Ce site est dirigé par Oussama Ben Salem, fils de Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur, cofondateur de l’association ‘‘Liberté et Equité’’, et actuel membre du comité de la Choura d’Ennahdha (le Conseil de direction du parti). Ce dernier point ne fait d’ailleurs que confirmer la relation étroite entre Ennahdha et le Wahhabisme, version ultraréactionnaire de l’Islam sunnite, et ossature idéologique du régime théocratique et capitaliste saoudien.
Tandis que le gouvernement d’Ennahdha refuse d’octroyer le visa d’entrée en Tunisie à certains militants ou personnalités de gauche, on ne compte plus le nombre de prédicateurs wahhabites ayant visité le pays et prêché dans des mosquées et espaces culturels, propageant l’extrémisme religieux et servant de porte-paroles aux ennemis de la révolution, notamment aux fortunés du Golfe. La récente ‘‘tournée’’ fort médiatisée et chaleureusement accueillie par les dirigeants du mouvement Ennahdha du prédicateur Béchir Ben Hassen, met encore en évidence la nécessité de s’organiser partout dans le pays pour prévenir le danger de ces prêches.
Jeunes filles envoyées en Syrie
La ministre des Affaires de la femme Sihem Badi observe sa confortable posture de garder le silence face au nouveau phénomène de ‘‘Djihad du Nikah’’ : une vingtaine, peut-être plus, de jeunes filles se trouvent ainsi en Syrie afin d’assouvir les désirs sexuels des djihadistes combattant le régime de Bachar Al Assad. Face au désarroi des parents et des familles qui ont signalé la disparition de leurs jeunes filles adolescentes, après des suppositions qu’elles partiraient en Syrie, le ministère des affaires de la femme et de la famille appelle à l’encadrement familial et dénonce le manque d’éducation religieuse !
Vague de viols sur tout le territoire
Un nombre croissant et sans précédent d’agressions et de viols sont aussi constatées à travers plusieurs régions du territoire. Au mois de février, une femme enceinte accompagnée de son mari a été violée à Ben Arous par deux malfrats sous les yeux de son mari qui n’a rien pu faire. Le 23 mars 2013, une jeune fille handicapée âgée de 11 ans a été violée à Boumhel, dans la banlieue sud de Tunis. Le 26 mars deux adolescentes de 14 ans, sortant du domicile de leur professeur qui leur donnait des cours particuliers, ont été violées par deux délinquants au Kef. À Béjà au nord-ouest du pays, une jeune fille handicapée âgée de 20 ans a été kidnappée et violée par un groupe de personnes ; le viol a malheureusement provoqué la grossesse de la victime. Une autre femme a été violée à Kairouan par un policier et deux de ses amis sur la route, ainsi qu’une mère de famille et sa sœur, victime d’un cambriolage et d’un viol par deux énergumènes aux casiers judiciaires garnis, à l’intérieur même de leur maison. Il ne s’agit là que de cas déclarés et médiatisés, mais on ne compte plus les tentatives de viols, agressions physiques et viols non déclarés.
Le viol de la petite fille de trois ans dans un jardin d’enfant à la Marsa a bouleversé le pays. La forte médiatisation autour de cette affaire a contribué à raviver la lutte des Tunisiennes pour leurs droits et leurs libertés. L’affaire de la jeune femme de 27 ans violée en septembre 2012 par trois policiers -qui ont également extorqué l’argent du fiancé de la victime- avait déjà suscité la colère et les mobilisations de rue, le ministère de la justice ayant même fait passer la victime de la barre des témoins au banc des accusés. Cette culpabilisation de la victime s’inscrit dans la banalisation du viol, une des conséquences d’un système capitaliste inégalitaire et expression ultime de la domination d’un être humain sur un autre.
Réactions scandaleuses de la ministre Sihem Badi, à l’image d’un gouvernement de réactionnaires
Les représentants des autorités et du gouvernement tunisien ont une manière bien particulière de répondre à l’indignation de la société face à ces crimes, ou à la peine et à la souffrance des victimes et de leurs familles, ou encore aux luttes et aux revendications de l’opposition et des militants féministes. Si Khaled Tarrouche, porte-parole du ministère de l’intérieur, avait déclaré que la jeune fille violée par trois policiers en septembre 2012 était ‘ ‘‘dans une mauvaise posture avec son fiancé’’, Sihem Badi a implicitement pris la défense du violeur de la petite fille de trois ans en déclarant que celui-ci faisait partie de la famille de la victime -remettant ainsi en question les déclarations des parents et de l’enfant elle-même- et déresponsabilisant la direction du jardin d’enfants qui n’avait pas de licence, comme des milliers de jardins d’enfants clandestins en Tunisie.
Face au viol de la femme enceinte en présence de son mari, même indifférence et aucune mesure d’encadrement ou de protection, surtout que la famille du mari qui logeait le couple a mis la victime et son mari à la porte après le « scandale » que cette affaire a provoqué à la famille.
Sihem Badi n’a cependant pas hésité à descendre victorieusement et fièrement à l’Avenue Bourguiba (l’avenue centrale de la capitale) pour participer à la manifestation du 9 février 2013 en soutien au gouvernement Ennahdha et à la ‘‘légitimité des élus’’. Cette manifestation ne fut qu’une ‘‘démonstration de force’’ contre la vraie légitimité, celle du peuple et de la rue, et une réponse à la grève générale de l’UGTT et de l’enterrement du militant du Front Populaire, Cholri Belaid, le 8 février, lorsque des millions de gens ont répondu présents dans la capitale comme dans l’ensemble du pays. (voir notre article à ce sujet)
Sous ce gouvernement, la lutte pour les droits des femmes est plus que jamais d’actualité
La ministre des affaires de la femme n’est qu’une bonne élève du clan nahdhaoui et n’a qu’une réponse à la bouche : ‘‘Je ne démissionnerai pas’’. Face à un régime clairement contre-révolutionnaire et capitaliste, l’inquiétude sur la situation des femmes en Tunisie grandit.
Les acquis des femmes marquent de ce fait plusieurs pas en arrière. D’un combat sous le régime de Ben Ali concentré sur les énormes sommes d’argents volées au pays afin de financer des associations féminines détenues par des corrompus du système, des responsables du RCD et la femme du président elle-même, ainsi que des questions fondamentales telles que l’égalité dans l’héritage ou le droit au mariage à un non musulman sans que celui-ci ne soit obligé de changer de religion, on passe à une étape où on doit se battre pour préserver les droits anciennement acquis et protéger l’intégrité physique de la femme.
Tandis que la situation de la femme rurale, des ouvrières à l’usine et des femmes de ménage est des plus précaires, les députés nahdhaouis se préoccupent au sein même de l’Assemblée Constituante de retour à la polygamie et d’une constituante qui se base sur la loi islamique, la ‘‘Châria’’. Aucun progrès n’est exprimé en ce qui concerne le statut de la femme dans la société tunisienne, qui reste inférieur à celui de l’homme, en raison entre autres de l’inégalité salariale et d’embauche, et à la double tâche qui reste propre à la femme. Cette dernière restera tiraillée entre son exploitation matérielle et sociale, et la charge majoritairement féminine des tâches ménagères et de l’éducation des enfants, tant qu’il n’y aura pas de réponses collectives claires se substituant aux « solutions » individuelles prônées par le système capitaliste. Pour cela, il faut des revendications qui trouvent pleinement leur place dans la lutte du mouvement ouvrier et de la jeunesse pour la défense et la poursuite de la révolution, afin d’en finir avec ce pouvoir, avec ses visées intégristes et avec le capital qui le nourrit. Ces revendications doivent comprendre des emplois décents rémunérés sans aucune discrimination de sexe – à travail égal, salaire égal ; de bons services publics et sociaux, incluant des crèches publiques gratuites en nombre suffisant et bien encadrées en termes de personnel, le financement public de centres de soutien pour les femmes abusées, victimes de viol etc.