A Chypre, la Troïka veut étrangler la population pour éponger les pertes du capitalisme-casino

En cette période de l’année, à Chypre, il fait chaud, avec une brise rafraichissante soufflant sur l’île. Ce plaisant décor n’est pas d’application au niveau économique, car là, c’est la crise. En mars dernier, le gouvernement chypriote dirigé par le président Nicos Anastasiades a accepté un plan de sauvetage de 10 milliards d’euros de la part de la Troika (le Fonds Monétaire International, la Banque Centrale Européenne et l’Union Européenne). En échange, Chypre est obligé de trouver 5,8 milliards d’euros.

Par Niall Mulholland, de retour de Chypre

L’accord prévoit que les dépôts bancaires de plus de 100.000 euros pourraient être soumis à des prélèvements importants, ce qui touche beaucoup de petites entreprises. La deuxième plus grande banque du pays, Laiki Bank, a été fermée et ses dettes (d’une valeur de 9 milliards d’euros) reprises par la Banque de Chypre. Après une fermeture de deux semaines, les banques ont réouvert le 28 mars, mais avec des contrôles stricts sur la somme quotidienne que peuvent retirer les gens.

Comme si cela ne suffisait pas, il fut annoncé aux Chypriotes grecs déjà stupéfaits que le plan de sauvetage était passé de 17 milliards à 23 milliards d’euros. Chypre doit maintenant trouver 6 milliards d’euros de plus que les 7 milliards prévus lors de l’accord préliminaire conclu le 25 mars!

Le gouvernement de droite du président Anastasiades avait déjà décidé d’imposer des mesures drastiques d’austérité, la fermeture de banques, des impôts fonciers, la privatisation des trois plus grosses entreprises semi-étatiques les plus rentables (l’électricité, les télécommunications et les ports) et des pertes d’emplois dans beaucoup de secteurs. Il envisage même de vendre une partie de l’approvisionnement en or de la Banque centrale, d’une valeur de 400 millions d’euros.

Le scandale politique pèse sur le gouvernement. Anastasiades a été obligé de nier avec vigueur le fait de savoir qu’un projet de loi était en préparation en vue de la très impopulaire mesure sur les dépôts bancaires avant la réunion du Groupe Européen en mars. La colère populaire est attisée par le fait que des fuites en interne ont permis aux riches de retirer des millions de leurs dépôts bancaires avant le 15 mars.

Officiellement, l’économie chypriote devrait chuter de 8,7% cette année et de 3,9% en 2014. Mais beaucoup d’économistes pensent que cette chute tournera plutôt autour de 10% en 2013, et prévoient une chute libre d’entre 15 et 25% pour la fin de l’année prochaine.

Le gouvernement tente de contrer l’opposition populaire à l’austérité en déclarant que les mesures ne seront pas aussi rudes que prévues parce que certaines privatisations seront repoussées à 2018, qu’il y aura moins de coupes budgétaires dans l’éducation et que le remboursement des prêts de renflouement ne commenceront qu’après 10 ans et s’étendront sur 12 ans (au total, Chypre sera sous le contrôle effectif de la Troïka pour les 22 prochaines années).

Pour la classe ouvrière et la classe moyenne, cela équivaut à des années d’austérité, de pertes d’emploi et d’émigration. Le chômage est déjà chiffré à 14%. Des “marchés sociaux” (version moderne des soupes populaires) fleurissent un peu partout. Les travailleurs s’attendent aussi à ce que, comme en Grèce, la Troïka s’installe tous les mois à Nicosie, la capitale, en demandant de nouvelles coupes en échange de nouvelles conditions de renflouement. Les journaux sont remplis de désespoir. Il est communément ressenti que la crise est la pire depuis l’invasion armée turque de 1974.

Les syndicats et la gauche doivent s’assurer de mener des luttes de masse contre l’austérité, sinon le danger est que les forces nationalistes et même l’extrême droite ne puissent saisir cette opportunité. Ce combat ne doit pas faire l’économie d’un approfondissement des relations avec les travailleurs du nord de l’île (la partie turque) qui ont souffert de leurs propres coupes d’austérité depuis des années. De manière plus large, il est crucial d’unir les travailleurs des autres pays de l’Europe du sud dans une lutte commune, car tous sont frappés par la politique d’austérité de la Troïka.

Jusqu’ici, à part l’organisation de manifestations durant la crise de mars, les syndicats n’ont pas donné de réelle direction. Les syndicats de droite sont en discussion avec le gouvernement à propos de la gestion de la crise. Les syndicats de gauche, lié à l’AKEL (Le Parti Communiste Grec Chypriote) s’opposent aux coupes budgétaires dans leurs discours, mais ils ne mobilisent concrètement pour aucune action.

Les membres de la Nouvelle Gauche Internationale (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Chypre et organisation soeur du PSL) participent à une large campagne contre l’austérité principalement initiée par les forces affiliées à l’AKEL, le “Mouvement contre la privatisation et l’austérité”, mais critiquent le manque de combativité du programme.

La crise économique est profonde et ne fera qu’empirer. Une alternative radicale doit, par conséquent, être posée. Si les syndicats et la gauche échouent à résister de manière effective, d’autres campagnes, populistes, nationalistes, “anti-austérité” pourront progresser.

Contrairement à la Grèce qui a, dans les faits, souffert de 28 années d’austérité, beaucoup de chypriotes n’étaient pas préparés à l’atterrissage brutal après des années de croissance économique. Mais la lutte de classe qui se profile radicalisera de plus en plus les Chypriotes dans les mois et les années à venir.

Dans l’anticipation des luttes à venir, la Nouvelle Gauche Internationale défend une alternative socialiste contre la société capitaliste, au travers de revendications telles que le refus de payer la dette, la nationalisation des banques sous contrôle public et gestion démocratique, le refus des privatisations, la rupture avec les patrons européens et la propriété publique des principales industries et services, afin de permettre à l’économie d’être démocratiquement planifiée. De cette manière, il serait possible de répondre aux besoins de la majorité et non pas seulement aux profits des banquiers et de la minorité de spéculateurs.

Une nouvelle gauche puissante doit être construite à Chypre, avec pour but de constituer un gouvernement basé sur les besoins des travailleurs. La situation à laquelle fait face la société chypriote est désespérante. Seul un audacieux programme socialiste et internationaliste peut résoudre la crise dans l’intérêt de la majorité.

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Première page de Lutte Socialiste