Une politique scientifique qui n’entraîne aucun progrès social

Les moyens publics pour la recherche et l’innovation sont surtout orientés vers un groupe très select d’entreprises qui encaissent les subsides et suppriment pourtant des emplois. Une réponse de la Ministre flamande de l’Innovation, des Investissements publics, des Médias et de la Lutte contre la Pauvreté Ingrid Lieten (SP.a) à une question posée au parlement flamand a démontré que 59% des subsides attribués entre 2002 en 2011 sont arrivés dans les caisses de dix grandes entreprises qui, dans la même période, ont supprimé 6.600 emplois. Il s’agit entre autres de Janssen Pharmaceutica, Alcatel-Lucent, Philips, Umicore, Bekaert, ON Semiconductors et Agfa. Du côté francophone, nous ne disposons pas de chiffres, mais, là aussi, Jean Claude Marcourt, Demotte & Co accentuent le développement du soutien au secteur de l’innovation. Pour stimuler l’emploi bien sûr…

Par Tim (Bruxelles)

“Ecosystèmes et emplois indirects”

La ministre Lieten a bien été forcée d’admettre que ces données étaient spectaculaires, en rajoutant toutefois très vite que les subsides pour l’innovation et la recherche ‘‘ne servent pas seulement à créer l’emploi chez les entreprises soutenues’’, que les ‘‘écosystèmes et les emplois indirects’’ sont également importants. Il faut autrement dit tenir également en compte les activités économiques des fournisseurs et des clients de l’entreprise en question. Le revers de la médaille, c’est bien sûr le fait qu’avec la fermeture d’une grande entreprise, c’est tout son ‘écosystème’ qui est menacé. Les fermetures et les licenciements chez Ford, ArcelorMittal ou Catterpillar entraînent déjà une importante dislocation économique dans des régions entières.

Les dossiers introduits par les entreprises pour recevoir des subsides pour la recherche et le développement sont tenus secrets. Nous ne disposons donc d’aucune donnée publique sur la manière dont ces entreprises calculent les retombées économiques et sociales de leurs investissements. C’est bien dommage. Tout ce que nous savons avec certitude, c’est que l’agence flamande pour ‘‘l’Innovation par la Science et la Technologie’’ (IWT) distribue chaque année environ 110 millions d’euros de subsides à des entreprises qui organisent des bains de sang sociaux. Un certain contrôle serait peut-être le bienvenu…

“Valeur ajoutée”

L’IWT soutient en principe des projets dont la valeur ajoutée est au moins 25 fois plus grande que le subside attribué. Pour chaque euro de subside, l’agence s’attend donc au moins à 25 euros de valeur ajoutée. Dans certains cas, cet objectif peut être réduit à 10. ‘‘Valeur ajoutée’’ étant une description assez vague, l’IWT ne prend en compte que les frais salariaux prouvés et les amortissements sur investissements. On ne regarde pas seulement à l’emploi supplémentaire, mais aussi aux jobs qui seraient délocalisés ou rayés de la carte faute de subside ainsi qu’aux investissements et aux emplois chez les fournisseurs, les institutions de recherche et les clients.

Puisque cette description de ‘‘valeur ajouté’’ reste floue, comment calculer si plus d’emplois seraient perdus sans subsides ? De plus, si une ‘‘valeur ajoutée’’ est réalisée au sein de l’Espace économique européen, les subsides ne peuvent légalement pas être récupérés. Si, par exemple, une entreprise comme Bekaert reçoit des subsides des autorités pour, par après, délocaliser sa production en Slovaquie, on ne peut légalement rien y faire…

VOKA : le problème est la recherche publique

Avec ces chiffres qui donnent à réfléchir, on pourrait s’attendre à un minimum de modestie de la part du patronat. Ce n’est pas leur point fort. La fédération patronale flamande VOKA a lancé la contre-attaque en dénonçant le fait que la plupart des investissements publics dans la recherche tombaient dans les caisses d’organisations publiques de recherche (comme les universités) sans qu’il n’existe de ‘‘retombée positive à long terme.’’

Au lieu d’accorder des budgets aux universités, hautes-écoles et autres institutions publiques de recherche, les petits patrons flamands veulent que le gouvernement n’investisse que dans la recherche qui a un impact économique immédiat. Une telle politique aurait signifié de ne jamais connaître bon nombre d’inventions qui font aujourd’hui notre quotidien. De plus, les institutions publiques de recherche créent directement des emplois et des investissements dans l’infrastructure. Les institutions publiques de recherche ne connaissent en effet pas le phénomène des énormes profits à verser en dividendes aux actionnaires…

De plus, il est faux de dire que la majorité des moyens sont alloués aux institutions publiques. En 2011, l’IWT a distribué 232 millions de subsides pour la recherche et l’innovation, dont 144 millions au privé et 88 millions pour les institutions publiques ! Une partie des subsides au privé revient toutefois aux universités et aux hautes-écoles qui mettent à disposition des entreprises leur infrastructure ou leur capacité de recherche, en tant que ‘‘partenaire de recherche’’. Ainsi, 48,4% des moyens versées par l’IWT vont vers les institutions publiques. Avec ces moyens, ces institutions ont créé plus de 1.500 emplois ! C’est tout le contraire des entreprises privées.

La problématique plus large

Le manque d’investissements dans la recherche et développement est général. En 2002, l’Union Européenne s’était fixée pour objectif d’atteindre la ‘‘norme de 3%’’ en 2010 : les investissements publics dans la recherche et le développement devaient atteindre 1% du PIB, les investissements privés 2% du PIB. En Flandre, seulement 2,12% ont été atteint – du côté francophone, la situation est pire encore – et le secteur privé est davantage en retard que le secteur public. Parmi les pays voisins, seuls les Pays-Bas font pires que nous.

Cela n’est pas une coïncidence. Sous le capitalisme, les entreprises n’investissent que lorsqu’elles peuvent réaliser des profits à relativement court terme. Une technologie socialement utile mais qui ne rapporte pas suffisamment de plus-value économique ne présente pas d’intérêt suivant cette approche. C’est la conséquence logique de la propriété privée des moyens de production : les capitalistes sont mutuellement en compétition, et essaient d’obtenir un rendement maximal avec leurs investissements privés. En période de crise, la spéculation et les transactions financières sont plus rentables que la recherche et le développement de la production et des activités économiques réelles. Le capitalisme se heurte à ses propres contradictions : la propriété privée des moyens de productions a atteint ses limites.

Pour une vision socialiste

Un véritable programme socialiste doit se fixer pour objectif de libérer la recherche et l’innovation du carcan de la propriété privé. La nationalisation des 500 plus grandes entreprises de ce pays, et leur mise sous contrôle démocratique de la collectivité, amènerait une énorme richesse qui pourrait être utilisée dans la recherche et le développement. Nous pourrions ainsi fournir de véritables moyens au développement de technologies socialement utiles. Nous pourrions investir dans des bus, des trains et des voitures de qualité et écologiques, dans des maisons passives pour combler la manque de maisons sociales,… Il serait aussi possible de rassembler toutes les recherches sur le cancer et le SIDA au lieu de la fragmentation qui existe actuellement dans des dizaines d’entreprises.


Nationaliser pour le progrès social et technologique

En 2011, le projet de recherche “COMPLEX” a commencé, un projet de l’Université de Gand et de 7 partenaires industriels. Le projet examine la possibilité de transformer les entreprises d’assemblages de voitures en usines où l’on peut produire tant des voitures à combustion classique que des engins hybrides et électriques.

Les possibilités des voitures électriques sont énormes. L’Université de Gand utilise déjà plusieurs voitures aux performances très similaires à celles d’une voiture avec combustion fossile. Mais aucune entreprise n’est prête à réserver un hall de production dans ses usines pour la fabrication de voitures électriques : le risque commercial est trop grand dans une situation de surproduction. Le projet COMPLEX apporterait une solution. Mais un des cas pratiques à l’étude est le hall de production de… Ford à Genk. La fermeture de Ford menace dès lors la poursuite de cette recherche…

Pourquoi alors ne pas nationaliser l’usine et la faire redémarrer sous contrôle public ? L’entreprise pourrait ainsi être transformée en une unité de production et de recherche publique pour la mobilité. Les lignes de production pourraient être adaptées pour pouvoir également produire des bus et des trains. Sur base des résultats du projet COMPLEX, nous pourrions commencer assez vite la production de voitures électriques. L’acier nécessaire à cette fin pourrait être trouvé à Liège, et transporté par la Meuse et le Canal Albert, pour ne pas engorger les routes.

Pour construire de nouvelles lignes de métro ou de tram, pour élargir la jonction Nord-Midi à Bruxelles, ou pour construire des pôles de recharge pour les voitures et bus électriques, des machines de construction pourraient être fabriquées à Gosselies, où Caterpillar vient d’annoncer 1.400 licenciements. Les machines de construction et l’acier pourraient également être utilisées pour la construction de maisons sociales passives, d’écoles et de crèches modernes. En nationalisant le secteur bancaire, et en le transformant en un véhicule d’investissements publics avec des garanties par le gouvernement, et sous contrôle public, les travailleurs et leurs familles recevraient un bon taux d’intérêt garanti sur leurs épargnes, et il y aurait des crédits à bon marché pour les maison particulières et pour les PME.

Dans le cadre du système actuel, tout ceci est impossible. Mais les moyens pour une telle politique existent. Pensons seulement aux 30-35 milliards d’euros que des Belges ont illégalement planqués en Suisse, ou aux 92 milliards d’euros de profits des entreprises belges (2009). Aujourd’hui, ceci pourrait paraitre irréaliste, mais n’est-il pas plus irréaliste de continuer à assainir et de supprimer des emplois et des services publics quand des alternatives existent ?

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