Un Forum Social Mondial très politisé

Le Forum Social Mondial (FSM) s’est déroulé à Tunis du 26 au 30 mars dernier, et a rencontré un succès inattendu. Près de 70.000 militants issus du monde entier s’étaient réunis en Tunisie, un choix des plus approprié. Et force est de constater que le processus révolutionnaire que connait le pays a conduit à une forte politisation.

Rapport de Jeroen Demuynck, collaborateur de Paul Murphy au parlement Européen

Socialisme 2013. Dimanche prochain, à l’occasion du week-end "Socialisme 2013", un rapport de la situation actuelle en Tunisie sera livré par Nicolas Croes, rédacteur de socialisme.be et de notre mensuel, de retour de Tunisie.

Les militants tunisiens étaient bien entendu présents en masse, ce qui s’est ressenti au niveau des discussions politiques. Le processus révolutionnaire est toujours en cours en Tunisie. L’arrivée au pouvoir du parti islamiste conservateur Ennaha n’a conduit à la résolution d’aucun des problèmes qui furent à la base du soulèvement révolutionnaire. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL est la section belge) était présent avec des militants issus de six pays différents, et les idées marxistes révolutionnaires que nous défendons ont pu compter sur un large écho.

Les organisateurs du FSM ont longtemps douté de la faisabilité de cette édition. Les forums précédents, depuis Porto Alegre au Brésil, avaient connu une participation limitée. Cette crainte a été partiellement confirmée par la participation limitée provenant d’Asie et d’Amérique latine. D’autre part, de nombreuses inquiétudes ont été alimentées par l’instabilité politique du pays, très certainement depuis l’assassinat politique de Chokri Belaïd, le célèbre opposant de gauche (voir notre article à ce sujet).

La très forte participation au Forum, tout spécialement d’Afrique du Nord, est une indication que le processus révolutionnaire en Tunisie et dans la région se poursuit et continue à faire appel à l’imagination de nombreux militants de gauche, mais aussi bien au-delà. De nombreux militants de base tunisiens étaient là, l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) avait environ 1.000 de ses militants présents. Malheureusement, certaines décisions des organisateurs ont eu un effet néfaste qui a conduit à des tensions entre des militants tunisiens et les organisateurs du FSM. Ainsi, les étudiants du campus universitaires avaient dû céder leurs logements à des participants du FSM, sans qu’ils n’en aient été avertis au préalable !

Le processus révolutionnaire est loin d’être terminé

Le sentiment dominant parmi les militants tunisiens est que la révolution est encore à achever. Le processus révolutionnaire se développe et est visible au travers de la forte polarisation politique qui prend place dans le pays. D’une part, la grande majorité de la population s’identifie à la révolution. Mais, deux ans après la chute de Ben Ali, la vie quotidienne reste marquée par de très nombreux problèmes. Le taux de chômage est monumental et toute une génération de jeunes n’a pas de perspectives d’avenir. Quant à ceux qui ont un emploi, ils travaillent souvent dans des conditions très précaires pour des salaires de misère, souvent inférieurs au salaire minimum officiel de 200 dinars (100 euros) par mois.

D’autre part, il y a le gouvernement de coalition dirigé par les islamistes réactionnaires du parti Ennahda et les puissances capitalistes nationales et étrangères qui veulent défendre les intérêts de l’élite. Depuis son arrivée au pouvoir, Ennahda n’a fait qu’appliquer une politique similaire à celle qui prévalait sous le règne du dictateur déchu : encore et toujours la politique néolibérale. Le gouvernement a récemment signé un prêt d’environ 1,35 milliards d’euros avec le Fonds Monétaire International. En contrepartie, le gouvernement a promis d’abolir les subsides d’Etat pour la nourriture et l’essence alors que les prix des denrées alimentaires ont déjà fortement augmenté jusqu’à présent. Pendant ce temps, de nombreuses entreprises sont parties à l’offensive contre les salaires et les conditions de travail.

La façade ‘‘démocratique’’ du gouvernement s’effondre face à son incapacité de répondre aux aspirations sociales et aux revendications de la population. La lutte de classe se développe, et la riposte des autorités se limite à une répression de plus en plus brutale, y compris à l’aide des Ligues de Protection de la Révolution, des milices réactionnaires islamistes radicales qui agissent comme "mercenaires" pour Ennahda.

L’assassinat de Chrokri Belaid est à considérer dans ce cadre. Mais la réponse du mouvement des travailleurs, venus en masse assister à son enterrement, fut une grève générale de 24 heures dans tout le pays. Les revendications de la fédération syndicale UGTT ont malheureusement été limitées à la condamnation de la violence politique. Cette grève aurait pu être utilisée pour développer un plan d’action vers la chute du gouvernement.

Un tel plan disposerait d’un vaste soutien dans la société. Un jeune militant nous a ainsi exprimé sa détresse en déclarant que ‘‘nous n’allons tout de même pas nous laisser voler notre révolution.’’ Ce sentiment est largement partagé, et se reflète en partie dans le score élevé obtenu par le Front populaire, une alliance de partis et d’organisations de gauche qui a déjà obtenu dans les 20% dans plusieurs sondages. Mais en raison de l’absence d’une stratégie claire de la part de l’UGTT et du Front Populaire pour aller de l’avant, beaucoup de jeunes et de militants sont à la recherche de moyens pour accélérer le processus révolutionnaire.

La soif d’idées révolutionnaires

Cette quête d’idées pour renforcer et accélérer le processus révolutionnaire – jusqu’à la question du contrôle des moyens de production et du socialisme démocratique – a été illustrée par l’intérêt qu’ont pu susciter nos divers tracts et notre matériel politique. Dès le premier jour du FSM, la quasi-totalité de nos journaux, livres et brochures avaient disparu. Quant à nos tracts (l’un portant sur la situation en Tunisie, l’autre présentant le CIO, tous deux disponibles en arabe, en français et en anglais), ils ont été pris avec enthousiasme.

Le va-et-vient fut constant à notre stand tout au long du FSM. Souvent, des gens revenaient après avoir lu notre matériel politique afin d’en discuter avec nos militants. Ces discussions ont pu être très poussées politiquement, l’intérêt était grand pour l’idée de vagues de grèves de 24 heures successives jusqu’à la chute du gouvernement et son remplacement par un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. L’essentiel de nos discussions ont porté sur la stratégie à adopter pour rompre avec le système capitaliste et passer à l’instauration d’une société socialiste démocratique. Il n’était donc pas uniquement question de renverser ce gouvernement pourri, mais aussi de construire un système fondamentalement différent. Cela a créé une dynamique et une ambiance animées à notre stand, avec de petits meetings spontanés réunissant de petits groupes de passants autour de l’un de nos militants. Notre meeting consacré à la lutte internationale contre le capitalisme a pu compter sur une présence de 80 participants, malgré la difficulté de trouver la salle. Ce meeting a également été diffusé en direct sur le site du FSM, et 1.200 personnes y ont assisté virtuellement.

Le Comité pour une Internationale Ouvrière fera tout son possible pour accroître sa présence dans la région et pour aider à y construire un mouvement révolutionnaire conséquent armé d’un programme socialiste.

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