La faillite de la Sabena avait provoqué un choc important au sein du monde du travail: beaucoup de travailleurs y ont vu (avec raison) la conséquence de la privatisation et de la course au profit. Mais une partie plus large de la population avait été touchée et avait perçu la faillite de la Sabena comme la disparition d’un symbole national. Les travailleurs de la Sabena, et en particulier le personnel de cabine, avaient fait preuve d’une combativité résolue.
Guy Van Sinoy
Mais les directions syndicales n’étaient pas à la hauteur car elles n’avaient pas l’intention de mener une lutte de grande envergure pour sauvegarder l’emploi des travailleurs de la Sabena et des entreprises de sous-traitance. La manifestation nationale de solidarité organisée à Zaventem par les directions syndicales n’avait d’ailleurs pas eu pour but de lancer un mouvement de grèves allant en s’élargissant, mais seulement de montrer que les syndicats avaient «montré leur solidarité».
Aujourd’hui les travailleurs de Sobelair sont bien seuls. D’abord parce que la Sobelair n’avait pas le prestige de la S-bena et qu’une large partie de la population n’accorde pas beaucoup d’importance à cette faillite. Ensuite parce qu’une partie des travailleurs de Sobelair sont des anciens de la Sabena et ont dû accepter une baisse de salaire de 25% pour être repris par Sobelair. Enfin parce qu’ils ont retenu de l’expérience de la Sabena que les directions syndicales ne sont capables de les soutenir qu’en organisant une manifestation symbolique au lieu de lancer une bataille pour le maintien de l’emploi avec une mobilisation d’autres secteurs.
Le désarroi des travailleurs licenciés chez Sobelair fait peine à voir. A la fois ils dénoncent les manoeuvres de leur patron, l’affairiste Bruno Vastapane, tout en s’accrochant désespérément aux belles paroles des curateurs. Voir les travailleurs de la Sobelair applaudir les curateurs au lendemain de la faillite donne la mesure de leur désarroi. Nous ne sommes pas les apôtres de la violence. Mais il suffit de se rappeler la manière dont quelques travailleurs des Forges de Clabecq, poussés à bout par les huissiers qui les harcelaient, avaient traité les curateurs des Forges pour voir le gouffre qui sépare les travailleurs de la Sobelair de ceux de Clabecq. A Clabecq l’incident avec les curateurs n’avait rien arrangé: au contraire car les médias s’étaient jetés sur cet incident pour criminaliser les travailleurs des Forges et en particulier leurs délégués FGTB qui menaient le combat sur tous les fronts: contre les patrons, le gouvernement wallon et la bureaucratie syndicale. Les travailleurs des Forges de Clabecq avaient cependant compris que les curateurs ne sont pas là ni pour défendre l’emploi ni le sort des travailleurs mais pour solder l’entreprise et payer les créanciers. Dans le camp patronal, les vautours se pressent autour de la Sobelair pour la dépecer et acquérir à vil prix l’un ou l’autre bon morceau. Dans le camp syndical, les dirigeants syndicaux se font discrets.
Partout dans le monde les travailleurs de l’aviation civile sont soumis à une dégradation brutale de leurs conditions de travail et de rémunération. Ainsi chez Ryanair le personnel de cabine doit nettoyer l’habitacle lors des escales. Dans son livre «Mike contre-attaque» (Stupid White Man), Michael Moore dénonce le fait que les pilotes d’American Eagle, une filiale d’American Airlines, ne gagnent que 16.800$ par an (soit l’équivalant 1.12O euros par mois!). La bourgeoisie, les gouvernements, le Fonds Monétaire International ne cessent d’invoquer le respect d’une logique: la rentabilité économique (le profit) des en-treprises. Mais les travailleurs ont une autre logique économi-que à respecter: celui de faire vivre leur famille! Dans cette bataille il n’y a pas d’espace pour une position intermédiaire entre les deux camps: soit on accepte avec résignation la logique capitaliste qui vous broie, soit on mène avec l’ensemble des travailleurs une résistance acharnée contre l’exploitation. Mais cette résistance ne peut être menée à bien qu’à deux conditions: renforcer le mouvement syndical à la base et y mener une lutte sans merci contre les dirigeants syndicaux qui acceptent la logique capitaliste.