La grève, couronnée de succès, des mineurs de Marikana a changé la donne en Afrique du Sud et a suscité une intensification de la lutte des travailleurs. Elle s’est répandue très rapidement vers d’autres mines et a énormément augmenté le niveau de confiance des travailleurs en Afrique du Sud, initiant une nouvelle étape dans le mouvement révolutionnaire sud-africain.
Par April Ashley, article tiré de l’édition de décembre/janvier de Lutte Socialiste
Ce jeudi 13 décembre : Meeting sur la situation en Afrique du Sud, en présence d’un orateur de notre parti-frère sud-africain (plus d’infos)
Le massacre de plus de 40 mineurs dans ‘‘une violence rappelant les pires moments de l’apartheid’’ (Business Day du 17/08/2012) a choqué la société sud-africaine toute entière, propulsé l’Afrique du Sud comme fer de lance de la lutte internationale des travailleurs et suscité soutien et solidarité dans le monde entier. Cette lutte a fait ressurgir le souvenir des anciens combats contre le régime de l’apartheid chez les plus anciens des travailleurs et a fait se développer un grand intérêt pour les luttes sociales parmi les plus jeunes.
C’est en 1994 que la majorité noire du pays a mis en avant un candidat et a mis fin à l’apartheid en élisant le premier gouvernement noir (de l’ANC – Congrès National Africain). Le 11 février 1990, le jour où Nelson Mandela a enfin été libéré après 27 ans de prison, le monde a retenu son souffle. Les espoirs et les rêves de la majorité du peuple sudafricain reposaient sur ses épaules : une nouvelle Afrique du Sud, libérée du joug de l’oppression et de l’exploitation par la minorité blanche. Sa libération st survenue après des décennies de luttes intenses durant lesquelles le régime de l’apartheid a tenté de noyer la révolution dans le sang. Le massacre de Sharpeville en 1960 et les héroïques émeutes des jeunes de Soweto en 1976 (une centaine de jeunes avaient été tués par la police) avaient clairement montré quelle était la détermination des masses pour renverser le régime de l’apartheid.
L’adoption de la ‘‘Freedom Charter’’, la Charte de la Liberté, par l’ANC en 1955 fut l’expression de l’aspiration à un changement révolutionnaire dans la société de la part des travailleurs. Cette charte appelait à la nationalisation des secteurs-clés de l’économie : ‘‘La richesse nationale de notre pays, l’héritage des sud-africains, sera rendu au peuple. Les ressources de notre terre, les banques et les industries seront désormais la propriété d’un peuple uni.’’
Les luttes ouvrières
Entre 1961 et 1974, le nombre de travailleurs noirs employés dans l’industrie d’Afrique du Sud a doublé. La classe ouvrière s’est organisée et a pris les devants de la lutte, comme en a témoigné la grève des dockers de 1973 qui a ébranlé le pays entier et entraîné des progrès qualitatifs en termes d’organisation de la lutte et de niveau de vie.
Ces grèves massives ont enflammé l’imagination des travailleurs du monde entier. Il y eut partout des marches de soutien, du lobbying et du boycott, tout cela conduisant nombre de travailleurs à devenir politiquement actifs en soutenant leurs camarades d’Afrique du Sud. Les mouvements ouvriers des années 1980 a par la suite conduit à la création du Cosatu (‘‘Congress of South African Trade Unions’’, en français ‘‘Congrès des Syndicats sud-africains’’) en 1985. Le Cosatu a adopté la Freedom Charter en 1987 sous le slogan de ‘‘Socialism means freedom’’ (‘‘le socialisme signifie la liberté’’ en français).
Sa composante la plus importante, l’Union Nationale des Mineurs (NUM), dirigée à l’époque par le militant Cyril Ramaphosa, était le fer de lance des luttes de masse et le Cosatu a lancé une série de grèves générales qui ont rendu le pays ingouvernable et ont précipité la fin du régime d’apartheid. Mais, 20 ans après la fin de l’apartheid, qu’estil advenu des espoirs et des rêves des travailleurs englués dans la Freedom Charter ?
Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, parti révolutionnaire mondial dont le PSL est la section belge) a expliqué que, suite à l’effondrement du stalinisme, le régime de De Clerck a reconnu la possibilité de conclure un accord qui laisserait une part de pouvoir à l’ANC. Les intérêts économiques fondamentaux du capitalisme ne furent pas vraiment menacés avec cet accord en conséquence du virage à droite opéré par l’ANC, trahissant ainsi les efforts fournis dans la douleur des luttes passées.
L’échec de l’ANC
L’Afrique du Sud est actuellement le pays le plus inégalitaire au monde, les 10% les plus riches détenant 60% des richesses du pays alors que la moitié la plus pauvre de la population n’en détient que 8%. Près d’un quart des foyers sud-africains subit quotidiennement la faim. Un travailleur perçoit en moyenne 18 Rands (1,57€) par jour mais 44% des travailleurs, c’est-à-dire 6 millions de personnes, vivent avec moins de 10 Rands (0,87€) par jour. Le chômage atteint 25% (50% chez les jeunes).
En clair, cela signifie que les travailleurs vivent dans un état de pauvreté effarant. En plus de conditions de travail infernales, en témoigne cet article du Guardian : ‘‘Un mineur détaille ses conditions de travail : ‘’Nous passons huit heures sous terre. Il y fait très chaud et on ne peut pas voir la lumière du jour. Parfois, il n’y a même pas d’air et nous devons en drainer à travers des tuyaux jusque tout en bas.’’ Son abri de fortune n’a ni eau courante, ni électricité et les toilettes, situées à l’extérieur, sont partagées avec deux autres familles.’’ (The Guardian du 7/9/2012)
A part quelques plans de reconstruction et de développement à court terme lancés les premières années de son arrivée au pouvoir (et dont l’apport réel aux classes laborieuses noires fut assez limité), l’ANC a poursuivi l’application d’un programme néolibéral agressif en privatisant massivement des services publics tels que l’électricité et l’eau courante, ce qui a encore plus paupérisé la classe des travailleurs.
Ces pratiques ont suscité une intensification des luttes pour faciliter l’accès au logement et aux services de base. La fin des subsides pour l’acheminement de l’eau au Kwa Zulu Natal en 2000 a par exemple provoqué la plus importante épidémie de choléra de l’histoire du pays, les habitants ayant dû aller s’abreuver à même les fleuves et barrages puisqu’ils ne pouvaient plus payer leurs factures d’eau.
Les grèves massives contre la privatisation en 2007 et 2010 ont ébranlé le gouvernement de l’ANC, dirigeant le pays avec le Cosatu et le SACP (Parti communiste sud-africain), alors que des divergences faisaient leurs apparitions dans cette alliance au fur et à mesure des trahisons successives de l’ANC vis-à-vis des classes laborieuses. L’ANC est consciemment devenue l’agent du patronat.
Certains cadres du Cosatu ont également été assimilé à l’élite et ont abandonné toute lutte effective. Cyril Ramaphosa a en effet été payé 75.371 € net l’année dernière pour son mandat de directeur honoraire de Lonmin (géant anglais de l’exploitation minière), devenant le symbole du fossé séparant les nouvelles élites noires et la majorité précaire.
Une alternative socialiste
Suite au massacre de Marikana, la crédibilité de l’ANC a été sérieusement entamée. Les évènements récents ont prouvé que le Congrès National Africain partage avec la classe capitaliste la même peur, le même rejet de la classe ouvrière. ‘‘L’ANC, c’était l’âme noire, l’esprit noir, cela avait quelque chose de quasimystique. Mais à l’heure actuelle, toute foi en eux est perdue. Le lien est brisé et cela a eu lieu à la télévision.’’ (The Guardian du 7/9/2012)
Au fil de l’aggravation de la récession économique, les patrons, épaulés par le gouvernement de l’ANC, vont continuer d’alourdir le fardeau pesant sur les épaules des travailleurs. Le contexte est donc propice non seulement à des grèves de plus en plus explosives mais aussi à une scission au sein de l’alliance tripartite voire au sein même de l’ANC.
L e Mouvement Socialiste Démocratique (section sud-africaine du CIO) appelle à la grève générale à Rustenburg, suivie d’une grève et d’une manifestation à l’échelle nationale. La pression des travailleurs et des militants à l’échelle internationale doit également s’amplifier. La réponse enthousiaste des travailleurs aux idées du MSD prouve qu’il y a un potentiel conséquent pour le développement d’un nouveau parti des travailleurs avec un programme socialiste, défendant coûte que coûte les intérêts de la classe ouvrière en Afrique du Sud.