Malgré les efforts des médias dominants destinés à minimiser l’importance de la grève générale du 14 novembre, ce fut le plus grand mouvement de grève nationale et le plus réussi au Portugal depuis la révolution des Œillets de 1974. Même la violence étatique brutale à la fin de la journée n’a pas pu diminuer l’ampleur et l’impact de l’action.
Anne Engelhardt, Gonçalo Romeiro et Francisco d’Oliveira Raposo, Lisbonne
L’action anti-austérité du 14 novembre (‘N14’) au Portugal a illustré à quel point sont grandes la colère et la détermination des travailleurs et des jeunes pour faire tomber le gouvernement et lutter pour de véritables alternatives face aux politiques d’austérité du gouvernement. Mais elle a aussi montré que, pour atteindre ces objectifs, le mouvement devra élaborer une nouvelle stratégie militante et des politiques alternatives claires.
Un esprit militant
Parmi les pompiers, les éboueurs, les travailleurs du métro et d’autres groupes de travailleurs, la grève a été suivie à 100%. Au principal centre de tri postal de Lisbonne, le piquet de grève était une véritable célébration de la grève, étudiants et travailleurs discutant et chantant ensemble des heures durant.
Dès 8h, les étudiants, parfois rejoints par des agents de sécurité, ont bloqué les entrées des universités et ont discuté avec ceux qui voulaient pénétrer à l’intérieur de l’université. De nombreux magasins, pharmacies et stations-service étaient fermés, le secteur privé et les petites entreprises avait également rejoint la grève.
Malheureusement, la seconde et plus petite confédération syndicale (l’UGT – Union générale des travailleurs), n’a pas appelé à la grève générale, alléguant que l’appel de la Confédération générale des travailleurs portugais (CGTP – la plus grande fédération syndicale) était »ouvertement politique » et »sectaire ». Beaucoup de travailleurs affiliés à l’UGT ont toutefois ignoré leurs »dirigeants » et ont rejoint l’action. Même le secrétaire général de l’UGT – qui est également membre du comité exécutif de la Confédération Européenne des Syndicats (CES), à l’initiative de la journée d’action du 14N – a finalement pris part à la grève!
A partir de midi, les étudiants ont organisé leur propre manifestation, vers Rossio, la place centrale de Lisbonne, pour rejoindre une manifestation du syndicat des dockers, des membres de la CGTP et des mouvements sociaux.
Durant la manifestation étudiante, la police a essayé de provoquer des affrontements, mais cette tentative a échoué grâce aux agents de sécurité des universités. À 13 heures, les dockers ont commencé leur manifestation à partir du port, avec chants et slogans. Ils ont été rejoints par des membres de mouvements sociaux, tels que le MSE – un mouvement de chômeurs où sont actifs des membres de Socialismo Revolutionário (section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Portugal) et d’autres militants de gauche et qui organise les chômeurs en solidarité avec d’autres, comme les dockers dans le cas présent. Ici aussi, la police a essayé de provoquer des affrontements, mais les agents provocateurs ont été identifiés par des manifestants qui les ont repoussés de la manifestation.
Absence de direction
La manifestation des syndicalistes, des étudiants, des travailleurs précaires, des dockers, des chômeurs et des retraités a été caractérisée par un militantisme sans précédent depuis la révolution de 1974.
Malheureusement, ni le Parti communiste portugais, ni le Bloc de gauche ni la direction de la CGTP n’ont fait face à leurs responsabilités pour développer la lutte. Malgré la colère réellement massive qui était présente dans les les rues, les dirigeants syndicaux ont refusé d’appeler à une escalade de la lutte lors des prises de parole à la fin de la manifestation. Il n’a ainsi pas été appeler à une grève générale de 48 heures avant la fin de l’année, en tant que prochaine étape dans le cadre d’un solide plan d’action visant à faire tomber le gouvernement.
Une grève générale de 48 heures pourrait radicalement modifier la situation avec l’organisation de réunions démocratiques destinées à discuter de la meilleure manière de mobiliser à cette fin, à préparer d’autres actions comme l’occupation des lieux de travail et des ministères, et à répandre la lutte dans les quartiers, éléments qui avaient été observés durant les protestations de mars et octobre 2011, des manifestations qui avaient été organisées de la base.
En comparaison d’une grève d’une journée, une grève générale de 48 heures nécessite de nouvelles idées quant à la façon d’organiser les piquets de grève, les occupations, la résistance contre la répression policière, l’alimentation, les transports, etc.
La direction de la CGTP a dirigé l’initiative du 14 novembre, reflétant ainsi le tournant à gauche relatif qui s’est opéré ces derniers mois ainsi que la forte pression de la base pour une action coordonnée. Elle a appelé les syndicats espagnols à se joindre à l’action. Finalement, la Confédération Européenne des Syndicats a repris cette initiative, et a appelé à une journée d’actions et de grèves contre l’austérité à l’échelle européenne. Malheureusement, la direction de la CGTP n’a pas à canaliser la colère du peuple contre les diktats de la troïka (UE, FMI et BCE) en appelant à la démission immédiate du gouvernement.
La direction de la CGTP aurait pu, encore une fois, jouer un rôle déterminant. Arménio Carlos, le secrétaire général de la CGTP, lors de son discours à la manifestation, a remercié les mouvements sociaux pour leur contribution positive et militant dans cette grève du 14 novembre. Il aurait cependant pu aller plus loin en demandant aux personnes présentes de se préparer pour la prochaine grève générale et d’en discuter.
Cela aurait clarifié pour tous les participants que la CGTP défendait un plan d’action unifié pour diriger la lutte vers la chute du gouvernement et l’expulsion de la Troïka. Cela aurait clairement indiqué que la CGTP avait une perspective et un plan de lutte en escalade pour réaliser les principales revendications du syndicat et des mouvements sociaux.
Comme la lutte des classes est devenue plus forte au Portugal, la classe dirigeante et ses ministres ont déclenché une campagne d’intimidation contre les syndicalistes et les travailleurs. Même si nous avons assisté à plusieurs affrontements mineurs entre les piquets de grève et la police, l’état d’esprit général de la police était »neutre » ce 14 novembre. Mais les événements de la soirée avaient démontré la tentative évidente de l’Etat et la police d’intimider et de criminaliser les manifestants.
Des policiers stationnés devant le Parlement ont violemment empêché plusieurs tentatives des manifestants de gravir les marches de l’Assemblée nationale. La police a filmé les manifestants. Après une heure, ils ont soudainement attaqué les manifestants en lançant des pétards et des fusées parmi eux afin de les disperser, provoquant une panique de masse immédiate. Les gens couraient dans tous les sens, pourchassé par la police qui a battu tous les manifestants attrapés.
Des dizaines de personnes, y compris de jeunes adolescents, ont été arrêtés par la police et n’ont pas été autorisés à téléphoner ou à parler à un avocat. Plusieurs d’entre eux ont été battus. Pour obtenir leur libération, ils ont été contraints de signer une feuille blanche que la police devait remplir plus tard !
L’alerte rouge de la grève générale
Arménio Carlos a correctement dénoncé le gouvernement et les attaques brutales de la police contre les travailleurs. Il a déclaré que la grève générale est une alerte rouge pour le gouvernement, qui doit modifier sa politique. Lors d’une conférence de presse, les membres de plusieurs mouvements sociaux ont appelé à la nécessité d’organiser une manifestation contre la violence policière et les attaques contre les droits démocratiques.
La CGTP a appelé une autre manifestation, le 27 novembre prochain, à nouveau devant l’Assemblée nationale, le jour où le vote final sur le budget du gouvernement aura lieu. Cette démonstration doit devenir un événement majeur. Il s’agit d’une bonne occasion d’appeler à une grève générale de 48 heures et de défendre d’autres mesures pour intensifier le mouvement.
Si un tel plan d’action est mis en avant, avec une alternative politique claire – à partir d’un front uni des partis de gauche (le Parti Communiste et le Bloc de Gauche) et du mouvement social et des travailleurs – pour un gouvernement qui mettrait en œuvre des politiques socialistes révolutionnaires, cela pourrait changer de façon décisive l’équilibre des forces dans la société et ouvrir une nouvelle ère pour la lutte des classes portugaise et européenne.
Cela initierait à l’échelle européenne des discussions sur les nouveaux pas à poser en avant pour la résistance internationale contre l’austérité et le capitalisme.