La cellule de Verviers avait rendez-vous à huit heures à la gare centrale. Il ne faisait pas chaud, mais une délégation de la FGTB mettait déjà de l’ambiance en interrompant la valse des voitures non-grévistes, tandis qu’un peu partout dans la ville les délégations rouges et vertes s’apprêtaient à mettre en œuvre les points de pression et les piquets de grève volants.
François Barzin
Une fois réunis, nous nous sommes rendus au siège de la CSC de Verviers, où un premiers amas de délégués commençait à se former. Bardés de nos journaux « Alternative socialiste », de nos listes contact et de nos tracts encore tout chauds, nous avons quadrillés une bonne cinquantaine de militants CSC pour les sensibiliser à l’idée d’un nouveau parti des travailleurs.
L’Ambiance n’était pas à l’enthousiasme, mais aux habitudes trop bien ancrées de militer parce qu’il le faut bien. Comme souvent des personnalités ressortaient au milieu d’un océan de résignation., mais la suite de la matinée allait nous montrer que dans l’action les esprits se radicalisent et prennent un malin plaisir à perturber le bon ordre des choses. En effet après une marche dans la ville pour interpeller différents responsables politiques PS sur leur inacceptable compromission dans le pacte, vint le moment le plus intéressant de la journée : l’affrontement avec la gérante du Delhaize.
Nous étions auparavant passés devant ce magasin et des militants éplorés nous avaient demandé de revenir parce que la direction voulait ouvrir à dix heures. Chose promise, chose due, à dix heures nous débarquions avec des délégués FGTB pour nous planter tout net devant la gérante paniquée. Elle voulait ouvrir à dix heures parce que c’est ce qui avait été convenu avec les délégués syndicaux, feignant ignorer que c’est sous sa pression que ceux-ci avaient acceptés. Comme le disait quelqu’un, ce n’est pas facile d’être délégué. Elle accepta finalement de fermer ses volets, pensant peut-être au débarquement imminent de sa marchandise, bientôt prise en otage par les méchants grévistes. Bientôt donc, le camion de ravitaillement arriva dans les pattes des délégués, et la gérante prétexta l’argument patronal du droit au travail, du laisser passer-« laissez le camion se vider ».
En fait de droit au travail, on lui rétorqua que dans un pays où il y avait 500.000 chômeurs le droit au travail n’était pas respecté. On aurait pu aussi lui dire qu’allonger l’âge de la retraite, ça n’était pas non plus respecter le droit du travail, pas plus que forcer les travailleurs à réintégrer leur postes pour qu’ils ne puissent pas défendre leurs droits et ceux de leurs enfants. La délégation FGTB s’envola vers d’autres cieux, vite remplacée par un groupe CSC, le Delhaize restait porte close, la gérante renonçant temporairement, peut-être devant la promesse faite par certains d’offrir le champagne à tout le monde si jamais les volets se relevaient.
Après quelques péripéties ultérieures, nous nous sommes réunis pour faire le bilan de la matinée, de nos discussions avec les délégués. Notre impression était que la résignation était grande, la dépolitisation aussi. D’un autre côté, les syndicats n’avaient pas fait autant de remue ménage depuis longtemps à Verviers. Si les syndicalistes n’avaient pas l’air intéressés par la proposition d’un nouveau parti des travailleurs, ils paraissaient par ailleurs conscients qu’on ne pouvait pas en rester là, et qu’il faudra bien qu’un jour il se passe quelque chose. Beaucoup étaient d’accord sur la nécessité pour les travailleurs de s’organiser de façon durable à l’avenir pour ne plus aller de déconfiture en déconfiture.
Une idée s’est faite en notre sein : peut-être que les travailleurs et délégués sont tellement convaincus de l’inefficacité des mono organisations mono idéologique, que tout ce qui peut leur faire penser un tant soit peu à ça les découragent à l’avance. Les travailleurs sont loin dans la déception et le défaitisme, les organisations monolithiques dans lesquelles ils sont pris heurtent leur sensibilité et leur générosité, l’usure est patente. Les travailleurs n’attendent plus ce qu’ils espèrent: une véritable solidarité. Une solidarité immédiate, égalitaire, horizontale. Celle d’une fédération d’entités, associations, communautés, collectifs, partis, mais surtout de travailleurs coordonnés autour d’un même but. Le Nouveau Parti des Travailleurs peut-être le moyen de cette coordination, mais il faudra faire attention de ne pas décourager des travailleurs lassés par le « retard structurel et bureaucratique ».