Industrie automobile européenne : Une autre crise est en cours…

Il faut une stratégie syndicale européenne et internationale pour défendre les usines, les emplois et les conditions de travail

‘‘C’est un bain de sang’’, a déclaré Sergio Marchione, le patron de Fiat (une entreprise aujourd’hui en difficulté) et également président du comité des constructeurs européens d’automobiles, en se lamentant de l’état du marché européen. De son côté, le New York Times a titré:  »L’industrie automobile européenne a atteint le jour du jugement dernier ».

Stephan Kimmerle, Comité pour une Internationale Ouvrière

Avec le ralentissement de la croissance en Chine, l’industrie automobile internationale est confrontée à des temps difficiles. Mais en Europe, c’est un véritable désastre. Les ventes en Europe ont baissé d’un nombre total de plus de 15 millions en 2007 à environ 12,4 millions en 2012. Un nouvelle diminution des exportations vers les marchés chinois va noyer les usines européennes dans la surcapacité.

Étant donné le fait que d’énormes surcapacités existaient déjà avant même le déclenchement de la crise, le coût constant de maintenir les usines instaure une énorme pression pour la fermeture d’environ 8 à 10 sites, aux dires des commentateurs capitalistes. Cela implique de se débarrasser de la capacité à produire au moins 3 millions de véhicules en Europe – l’équivalent de près de 250.000 emplois. Selon les analystes, les usines doivent fonctionner à 75% de leurs capacités de production au moins pour rester rentables.

La destruction de cette capacité de production – et pas automatiquement une production automobile – et la mise à la porte d’une main-d’œuvre très qualifiée venant ainsi grossir les rangs des chômeurs, voilà la  »solution » capitaliste pour ce problème. Cependant, jusqu’à présent, au cours de cette crise, seuls quelques très rares sites ont été fermés en Europe (Opel à Anvers et Fiat en Sicile par exemple) et, en même temps, de nouvelles entreprises ont été installées en Europe de l’Est et à l’étranger.

Gagnants et Perdants

La crise automobile actuelle est en train de frapper les divers producteurs de masse de manières très différentes. Alors que Volkswagen semble avoir augmenté sa part de marché (en dépit de quelques problèmes avec sa filiale Seat), les groupes Peugeot (PSA) et General Motors en Europe (Opel, Vauxhall) semblent avoir le plus souffert. Opel accuse des pertes de l’ordre de 938€ par voiture vendue, Peugeot-Citroën, de 789€. Opel parle de fermer des usines, soit à Eisenach (Est de l’Allemagne) ou à Bochum (Ouest de l’Allemagne). Ford envisage la fermeture de son usine de Genk, en Belgique. Peugeot a annoncé une réduction de 8.000 travailleurs de sa main-d’œuvre en France (100.000 au total), la fermeture de son usine d’Aulnay-sous-Bois près de Paris comprise (au total, 14.000 emplois seront perdus sur 210.000 de la main-d’œuvre mondiale selon ce plan).

Alors que les travailleurs d’Aulnay sont descendus dans les rues pour protester et exiger que leurs emplois soient protégés, un soi-disant expert, au nom du gouvernement français, a proposé de fermer l’usine de Peugeot de Madrid à la place et de licencier les travailleurs là-bas.

L’annonce de licencier les travailleurs dans les usines Peugeot de France en Juin a immédiatement déclenché de vives actions de protestation dans tout le pays. Le 9 octobre, la CGT a appelé à une manifestation des travailleurs de l’automobile à Paris, en affrontant les patrons présentant les nouveaux modèles le même jour. La réunion de délégués originaires de différentes usines de Peugeot, les dirigeants syndicaux a forcé d’organiser cette action ainsi que d’autres, plus décisives, mais aucune stratégie n’existe pour utiliser pleinement la puissance de l’effectif total à Aulnay et dans les autres sites. Alors que les ouvriers d’Aulnay se sont mis en grève, d’autres n’ont pas été appelés à les rejoindre.

Les différences entre sociétés reflètent également les effets inégaux de la crise économique en Europe et les effets dévastateurs des mesures d’austérité imposées à l’Europe du Sud. Alors que les ventes de voitures allemandes stagnent, la France a connu une baisse de 14%, l’Italie de 20%, tandis que le nombre d’achats a baissé de plus de 40% en Grèce et au Portugal. La baisse des ventes en Europe du Sud a eu un effet beaucoup plus important sur ​​les achats de Peugeot et Ford compte tenu de leur parc automobile et de leurs marchés traditionnels. Ford a réduit le temps de travail, par exemple, dans son usine de Cologne, en Allemagne, qui produit pour ces marchés.

Dans le même temps, les travailleurs sont soumis à un chantage qui les force à accepter la dégradation des conditions de travail. Les problèmes actuels de Bochum reflètent la décision de GM en mai en faveur de leur usine Vauxhall d’Ellesmere Port, en Grande-Bretagne. Ils ont forcé les travailleurs à accepter de plus longues heures, des pertes de salaire net et une plus grande flexibilité, avec des temps de travail même le week-end afin que la production ne discontinue pas. Avec cela, la concurrence interne entre les usines Opel en Allemagne (Rüsselsheim, Bochum) et Vauxhall à Ellesmere Port a été à nouveau utilisée avec succès par les patrons contre les travailleurs.

Toute une série d’accords impliquant des travailleurs donnant des concessions pour sauver leurs emplois ont été mises en œuvre dans le passé. Or, malgré les  »garanties » accordées aux travailleurs concernant la sauvegarde de leurs emplois jusqu’en 2016, l’usine de Bochum fait face au danger d’une fermeture, et Rüsselsheim verra une énorme surcapacité dès que les prochains changements de modèles seront entièrement mis en place.

Malheureusement, au lieu de développer une riposte commune, les dirigeants syndicaux en Grande-Bretagne et en Allemagne ont toujours justifié les concessions, partageant une vision très étroite de la défense de l’emploi, dans le seul cadre de leur État-nation ou même en cherchant à sauver un site et pas l’autre.

Une stratégie patronale calquée sur l’exemple américain?

Les tentatives patronales visant à faire payer la crise aux travailleurs sont évidentes. Mais quel est leur plan pour organiser une sortie ? Des milliards d’euros ont été dépensés après la crise de 2009 pour renflouer l’industrie automobile en Europe. A partir d’un point de vue très américain, le New York Times a commenté : >"Mais au lieu d’avoir utiliser cet argent pour faciliter la douloureuse réduction des effectifs des sites et des fiches de paie, les gouvernements ont fourni des subsides pour que les gens échangent leur ancien modèle pour un nouveau, ont subsidié les salaires des travailleurs afin de dissuader les entreprises d’effectuer des coupes dans les emplois." (New York Times, 26 Juillet)

C’est aussi ce qui s’est passé aux États-Unis. L’administration Obama a pris le contrôle effectif de GM et Chrysler, deux des trois grandes entreprises automobiles américaines, et a organisé une restructuration massive dans le but de restaurer la rentabilité pour les actionnaires. Cette restructuration a impliqué la fermeture de dizaines d’usines à travers tout le Midwest, la perte de milliers d’emplois et la disparition de gains historiques pour les travailleurs en termes de salaires, de pensions et de soins de santé. Les salaires des nouvelles recrues représentent désormais la moitié de ceux des plus anciens! Cette  »restructuration », faite au détriment des travailleurs du secteur automobile, n’a été possible qu’avec la coopération active de la direction de l’United Auto Workers (UAW), le syndicat autrefois puissant des travailleurs automobiles américains.

Une partie de la bureaucratie syndicale participe à la gestion des entreprises par l’intermédiaire des actions contrôlées par l’UAW à GM et Chrysler. Elle doit aussi gérer leur  »fonds de grève » d’1 milliard de dollars placé à Wall Street et le plan de santé pour les retraités contrôlé par l’UAW.

Dans le cadre du processus de réorganisation des modalités d’exploitation, une forte baisse des salaires des travailleurs de l’automobile aux États-Unis a été mise en œuvre. Les bases industrielles traditionnelles au nord des États-Unis, où existe un niveau élevé d’organisation et de traditions syndicales, ont été défavorisées et la production a été déplacée au sud des États-Unis, là où les syndicats sont peu présents dans l’industrie automobile.  Plusieurs sociétés japonaises et allemandes ont maintenant des usines de fabrication automobile à bas salaires aux États-Unis, un pays constamment plus considéré comme un centre de fabrication à bas salaires.

Voilà le plan de restructuration sous l’administration Obama : un coup dévastateur pour le niveau de vie et les conditions de travail des travailleurs américains de l’automobile sous prétexte de  »sauver des emplois ». Mais l’objectif principal est en réalité de réduire les coûts afin de restaurer les profits des actionnaires.

Compte tenu de l’énorme surcapacité du secteur en Europe, Sergio Marchione, patron de Fiat et actuel président de l’association des constructeurs automobiles européens, a appelé à l’application de cette méthode à l’américaine à l’échelle de l’Union Européenne.  »[L’Europe] doit fournir un système unifié, une feuille de route concertée pour y parvenir", a-t-il dit .  »Regardez ce qui s’est passé avec les aciéries dans les années ’90, il faut copier cet exemple. » Cela signifie fermetures d’usines, licenciements et détérioration des conditions de travail pour ceux qui conservent leur emploi, tout cela organisé par les gouvernements européens.

Les capitalistes européens vont-ils mettre en œuvre un plan à l’américaine ?

Incapables de résoudre la crise fondamentale de l’industrie automobile, les patrons européens seront-ils en mesure de suivre la voie américaine ? Les différents États-nations vont essayer d’agir comme en 2009. Mais il est plus qu’improbable que les capitalistes européens parviennent à trouver une approche commune. En 2009, les différents États-nations ont avancé des mesures comme les  »prime à la casse » pour pousser à acheter de nouvelles voitures. Formellement, ils ont traité avec les différents producteurs de manière neutre, mais la conception des différentes mesures est basée sur des intérêts nationaux concurrents.

Si Fiat et Peugeot sont les grands perdants de cette crise, l’Etat allemand, d’un point de vue capitaliste, ne doit pas s’inquiéter de trop. De nouvelles opportunités pourraient même apparaître pour Volkswagen. Dans la logique du capitalisme, les tensions et les différences entre les Etats-nations et les entreprises basées sur ces Etats-nations augmentent. Cela n’exclut toutefois pas que des actions communes puissent voir le jour sous la pression de l’intérêt commun de stabiliser l’économie ou pour empêcher une remontée des luttes et des protestations. Mais, comme le montre la crise de la zone euro, les Etats-nations européens sont les instruments des différentes classes capitalistes. Les diverses bourgeoisies nationales sont capables de coopérer tant que cela sert leurs intérêts, mais les contradictions se multiplient aujourd’hui.

L’utilisation de leur État-nation est une voie à sens unique pour les capitalistes, qui ne les oblige pas à faire quoi que ce soit. Deux ans et demi plus tôt, le patron de Fiat, Marchione, a plaidé en faveur de ce qu’il appelle un  »plan d’investissements » dans les usines italiennes de Fiat sous le nom de  »Fabbrica Italia » (Usine Italie). (A l’origine,  »Fiat » signifie Fabbrica Italiana Automobili – Torino). En jouant la carte italienne, il a plaidé pour une aide de l’État et des concessions massives de la part des travailleurs au niveau de leurs conditions de travail et de leurs salaires. Les travailleurs des usines italiennes ont déjà été forcés d’adopter une diminution de leur temps de travail avec perte de salaire. Il s’agit parfois même de moins de 4 jours de travail par mois.

Perspectives

Cependant, il est loin d’être certain que les gagnants actuels, les constructeurs automobiles allemands par exemple, puissent tout simplement continuer à l’emporter. Après la crise de 2009, ce sont surtout les marchés chinois qui ont aidé les constructeurs automobiles européens à surmonter leurs problèmes. Compte tenu de ces ventes opérées en Asie, les voitures de gamme supérieure – les allemands Daimler, BMW et Audi – n’ont toujours pas été blessées par une nouvelle crise, mais un ralentissement est bel et bien présent.

Même en plein essor, Volkswagen a annoncé à ses fournisseurs en Allemagne la possibilité d’une baisse de 10% de la production. Daimler a annoncé de nouveaux programmes pour réduire les coûts. Les tentatives de renforcement de la coopération entre les entreprises ont augmenté (par exemple Opel avec PSA, Daimler avec Nissan). L’échec de la fusion Daimler-Chrysler constitue toujours un bon avertissement. Mais la pression sur les entreprises est immense, des fusions supplémentaires ainsi que l’effondrement de sociétés entières sont envisageables.

L’option espérée par les diverses entreprises est que le déclin de l’Europe puisse être amorti par le reste du marché mondial. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ce scénario se concrétisera. Même dans ce cas, cela ne pourrait se faire qu’avec de nouvelles réductions de sites et du nombre d’emplois. Une situation bien plus sévère encore ne peut pas être exclue du fait d’un ralentissement brutal de l’économie chinoise (un taux de croissance tombant à 5%) et d’autres marchés émergents touchés par le ralentissement économique mondial.

Quelle stratégie syndicale?

Durant les premières journées d’horreur qui ont accueilli la crise automobile en 2009, la crainte de perdre des emplois et des usines a renforcé le débat sur une reconversion de l’ensemble de l’industrie vers des voitures électriques et la  »mobilité verte ». Cela a très vite été oublié dès lors que les ventes en Chine ont augmenté, et c’est le schéma des primes à la casse qui a été favorisé.

Les syndicats, tel le puissant syndicat allemand IG Metall, ont signé des accords stipulant que les travailleurs acceptent un travail de durée moindre ainsi que de graves pertes de salaire. Les travailleurs contractuels ont perdu leur emploi et l’effectif de base a payé un lourd tribut. Les dirigeants syndicaux ont accepté le  »système à deux vitesses » où les travailleurs les plus récents sont employés à des salaires beaucoup plus bas et des conditions de travail bien plus mauvaises. Les bureaucraties syndicales allemandes du secteur ont joué un rôle identique à celui de leurs homologues à l’époque du déclin de la sidérurgie et des charbonnages en Allemagne : organiser la fin de l’emploi et des entreprises avec quelques concessions mineures, en évitant ainsi de grands bouleversements sociaux.

La crise est en train de mordre à nouveau les travailleurs des usines automobiles. Il est urgent d’éviter une répétition de ces événements sur une base économique encore pire qu’en 2009. Il nous faut une véritable stratégie syndicale capable de coordonner la résistance des travailleurs à travers toute l’Europe et ailleurs pour défendre l’emploi et les usines, et mettre fin au jeu qui consiste à monter les travailleurs d’une usine contre ceux d’une autre, ou ceux d’un pays donné contre ceux d’un autre.

Une lutte unifiée est nécessaire pour lutter contre toutes les attaques antisociales, contre toutes les concessions, toutes les pertes d’emplois et toutes les fermetures. Toutes les usines où les travailleurs sont menacés de licenciements doivent être collectivisées par les autorités et fonctionner sous le contrôle et la gestion des travailleurs. Mais, étant donné les liens existants entre les diverses usines, les différentes interdépendances et la surcapacité de production dans l’industrie en général, la lutte pour la nationalisation ne peut se limiter aux usines dont les patrons n’ont plus besoin. L’ensemble de l’industrie a besoin d’être placée sous la propriété de l’Etat et sous la gestion démocratique des travailleurs, des syndicats et de l’Etat.

Il nous faut un plan de réorganisation de l’industrie automobile afin d’utiliser cette main-d’œuvre instruite et qualifiée en fonction de la satisfaction des intérêts des travailleurs en Europe et dans le monde. Si nécessaire, cela pourrait nécessiter de convertir cette production en d’autres produits socialement nécessaires. Une telle gestion permettrait de diminuer le temps de travail sans perte de salaire dans le cadre d’un plan de relance socialiste destiner à vaincre la crise économique capitaliste, non avec le développement du chômage et de la pauvreté, mais en réorganisant la production en fonction des besoins des travailleurs.

Marchione appelle à une  »feuille de route unifiée et concertée » en vue d’abattre l’emploi et les sites, la réponse des travailleurs et des syndicats doit elle aussi être unifiée et concertée. Pour ouvrir ce chemin, les syndicats doivent devenir de réelles organisations de combat, basées sur la démocratie interne, en construisant des liens étroits entre les travailleurs à l’échelle européenne et internationale. Il nous faut un mouvement militant sur les lieux de travail et dans les syndicats afin de lutter pour ces changements, en développant ainsi des liens directs entre les représentants des travailleurs de différentes usines et de différents pays, pour surmonter les obstacles qui se présentent sur la voie d’une lutte menée de concert.

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