La marche de la zone euro : un pas en avant, cinq pas en arrière
Sur une échelle de 0 à 10, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso donne actuellement un 5 à la zone euro. ‘‘Nous nous trouvons à un point critique’’, explique-t-il. ‘‘A partir de là, tout peut devenir bien pire ou bien mieux.’’ Pendant ce temps, de nouvelles actions de masse prennent place en Espagne et au Portugal. Là-bas, pour la majorité de la population, la situation est déjà ‘‘bien pire’’.
Dossier de Tanja Niemeier, collaboratrice de la fraction de la Gauche Unitaire Européenne (GUE-NGL) au Parlement Européen
Un bazooka pour sauver l’euro
Fin septembre 2012, la crise financière et économique mondiale était tel un amoncellement de nuages d’orage au-dessus de l’Europe et plus particulièrement de la zone euro. Cette crise dure maintenant depuis 4 ans déjà. L’Irlande, le Portugal, Chypre et la Grèce sont littéralement pris dans les tenailles de la troïka (Fonds Monétaire International, Commission Européenne et Banque Centrale Européenne). Les gouvernements font toujours plus de projets d’assainissement avec en résultat un chômage continuellement croissant – surtout parmi les jeunes, malgré l’émigration – le retour de la faim à une échelle de masse, un nombre de suicides en plein développement,… La fuite de capitaux hors des pays en crise assure qu’une croissance économique est hors de question. Même le moteur de l’économie allemande commence à avoir des ratés.
Mais du point de vue de l’élite européenne, Barroso a raison : un scénario encore pire est de l’ordre du possible. Les élections aux Pays-Bas n’ont pas conduit à la victoire du parti de gauche SP, la Cour Constitutionnelle allemande ne s’est pas opposée au fonds d’urgence MSE (Mécanisme de Stabilité Européen) et la Grèce va probablement avoir un peu plus de temps pour appliquer ses mesures d’austérité, et peut donc temporairement rester au sein de la zone euro.
Le président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé que, malgré le vote allemand qui s’y oppose, la BCE va passer à l’achat illimité d’obligations d’Etats européennes sur les marchés secondaires afin de contrôler le taux d’intérêt et de rassurer les marchés. D’après ‘super Mario’ ce ‘bazooka’ peut sauver l’euro et ne laisse planer aucun doute : ‘‘L’euro est irréversible’’. On voit même apparaître un optimisme prudent dans les médias dominants.
Entre plus d’intégration et moins d’Europe
Barroso n’était pas moins grandiloquent dans son ‘State of the Union’ (‘Etat de l’union’). Ce discours prononcé dans l’enceinte du Parlement Européen le 12 septembre dernier affirmait qu’après le ‘pacte fiscal’ et le ‘pacte de croissance’, l’Europe a besoin d’un ‘pacte décisif’ qui, selon lui, ne peut laisser ‘‘aucun doute sur l’intégrité de l’Union et l’irréversibilité de l’euro.’’ Le temps des demi-mesures est fini, a-t-il dit. Barroso a de suite appelé à une union politique : ‘‘Aujourd’hui, j’en appelle à une fédération des nations.’’ Il a encore déclaré qu’il y a des pas à poser en direction d’une union bancaire.
Ces déclarations sont-elles de nature à résoudre les contradictions européennes et l’absence d’une union fiscale et politique ? Le combat entre les tenants de plus d’intégration et leurs opposants défendant la primauté des intérêts nationaux est-il fini ? Barroso ne vit-il pas plutôt au Pays des Merveilles ?
Les propositions de la Commission Européenne expriment une tendance à l’œuvre en Europe. La Commission veut se présenter comme le représentant idéal de tous les capitalistes européens et veut renforcer la position de concurrence de l’Europe avec un marché unique plus fort et un euro capable de rivaliser avec le dollar ou le renminbi Chinois.
Mais, parallèlement, continuent d’exister les forces historiques centrifuges composées des 27 élites nationales et des 27 gouvernements. Malgré toutes les attaques lancées contre les principes démocratiques, ces gouvernements doivent tout de même être réélus et doivent donc tenir un petit peu compte de leur population. Ces élites et les divers intérêts nationaux sont en concurrence les uns avec les autres, tant dans l’Union Européenne qu’à l’extérieur de l’Union.
Ces forces centrifuges ont trouvé une réponse avec les nombreuses critiques du groupe de réflexion ‘Future for Europe Group’ (Groupe pour l’avenir de l’Europe). Ce groupe est dirigé par le ministre des Affaires étrangères allemand, le libéral Guido Westerwelle, qui plaide pour plus d’intégration européenne, mais même des ministres ayant contribué à ce projet n’étaient pas d’accord avec tous les éléments. En France, par exemple, on trouve peu d’enthousiasme pour une modification des traités. Quant au ministre des Affaires étrangères britannique, il a de suite déclaré : ‘‘Nous ne sommes pas prêts à donner plus de pouvoir à l’Europe.’’
Laquelle de ces deux tendances rivales va-t-elle l’emporter ? Cela dépend partiellement de la volonté politique. Mais cette volonté politique n’existe pas dans le vide ou dans la tour d’ivoire des institutions européennes. Plusieurs facteurs jouent un rôle, et le développement économique n’est pas le moindre de ces facteurs. La position des dirigeants politiques en Europe est largement déterminée par les acteurs économiques nationaux. Leur position est largement décidée par une analyse des coûts et des avantages.
Efficace, le bazooka ?
L’annonce de la BCE a déjà conduit à une baisse des taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat espagnols et italiens. Le gouvernement espagnol, sous une pression croissante dans son propre pays, pourrait ainsi gagner du temps et retarder la demande d’aide auprès des fonds européens ESM ou FESF. Les faibles taux d’intérêt permettront aux pays d’émettre de nouvelles obligations et d’utiliser cet argent pour rembourser les créanciers.
Les propositions allant dans la direction d’une union bancaire où la BCE exercerait une surveillance sur l’ensemble du système bancaire européen sont principalement destinées à permettre aux banques d’être directement refinancées par l’ESM de sorte que la dette nationale n’exagère pas trop. Mais il s’agit là avant tout d’une construction théorique qui doit encore être concrétisée.
Une question reste en suspend : qui se passera-t-il si les marchés financiers commencent à s’en prendre à la BCE ? Et plus fondamentalement : qui va prendre en charge de garantir les fonds nécessaires à cette ‘‘solution’’ ? La Cour constitutionnelle allemande a approuvé l’ESM, mais il n’est pas certain que le Parlement accepte de céder les fonds nécessaires (190 milliards d’euros). Avec des élections fédérales à l’horizon, c’est vraiment loin d’être assuré.
Autre question cruciale : jusqu’où le taux de croissance doit-il arriver pour assurer une fin durable de la crise. Les pays qui revendiquent qu’il soit possible à la BCE de directement acheter des obligations d’Etat doivent demander le ‘‘soutien’’ de l’ESM, ce qui implique des conditions drastiques en termes de ‘‘discipline budgétaire’’. Concrètement, cela signifie encore plus de casse sociale : des attaques contre tous les acquis sociaux, une croissance de la pauvreté et du chômage ainsi qu’une sévère dégradation des conditions de vie de la population.
Dans l’actuel contexte de crise économique mondiale, cela ne signifie qu’une nouvelle explosion de la dette publique. Dans le magasine ‘‘New Europe’’, la journaliste Cate Long a comparé ces mesures à ‘‘un réarrangement des chaises sur le Titanic’’. L’option d’un Grexit (une sortie de la Grèce de la zone euro) ou même de la désintégration pure et simple de la zone euro reste un scénario probable.
Résistance contre la politique de casse sociale !
Un autre facteur attire bien moins l’attention des médias dominant tout en constituant toutefois un élément décisif pour l’avenir de l’Europe : la réaction des victimes de la crise. Que vont faire les travailleurs, les chômeurs, les retraités et les jeunes en Europe ? Pour l’establishment, ce n’est là qu’un ‘‘électorat’’ qui doit être protégé des ‘‘populistes’’ et des ‘‘eurosceptiques’’.
Cette approche purement parlementaire ignore volontairement la puissance potentielle de la classe ouvrière. Ces dernières années, les exemples de résistance active contre l’austérité n’ont pas manqué avec plusieurs grèves générales et des manifestations massives. Il est important de structurer la force potentielle du mouvement ouvrier et de la rendre plus efficace à travers l’organisation d’une lutte coordonnée – comme avec une grève générale européenne – et la construction de relais politiques.
Pour une fédération socialiste et volontaire des Etats Européens !
Trouver une véritable solution nécessite de lutter contre les véritables causes de la crise. C’est là que le bât blesse. Pour le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, les causes de la crise résident ‘‘dans les pratiques irresponsables du secteur financier, dans la dette publique insoutenable des pays et dans le manque de compétitivité de tout un nombre de pays.’’ C’est bien faible comme explication. Par exemple, d’où proviennent ces ‘‘pratiques irresponsables’’ ? >p> Pour nous, il s’agit du résultat logique du fonctionnement du capitalisme. Notre système économique est basé sur la concurrence et la maximalisation du profit. Le capital est investi sur base d’une perspective de profit à court terme et non sur base de la satisfaction des besoins. La propriété privée des moyens de production et l’existence des Etats nationaux assurent que les intérêts du capital d’un pays sont opposés aux intérêts du capital des autres pays. La croissance du secteur financier et ses ‘‘pratiques irresponsables’’ proviennent du fait que les investissements dans l’économie réelle produisent des profits insuffisants pour les détenteurs de capitaux. Le capital se concentre ainsi dans le secteur financier, où il peut réaliser de monumentaux profits à court terme, entre autres par la spéculation.
Toutes les mesures prises ou proposées par le Conseil européen et la Commission européenne n’ont jusqu’ici réussi qu’à limiter la souveraineté nationale des Etats-membres en introduisent plus d’intégration européenne, de manière anti-démocratique. Mais nous opposer à cette politique n’implique pas automatiquement que nous sommes en faveur de plus de ‘‘souveraineté nationale’’.
Nous voulons nous en prendre aux fondements capitalistes de l’Union Européenne et construire à la place une fédération socialiste et volontaire des Etats Européens. Une politique socialiste utiliserait les 2.000 milliards d’euros des grandes entreprises européennes qui dorment sur des comptes en banque pour investir dans la création d’emplois utiles et décents, dans des services publics comme les soins de santé, l’enseignement, la recherche et dans la protection de l’environnement. Une politique socialiste mettrait fin à l’évasion fiscale légale et illégale qui existe aujourd’hui dans les milieux des grandes entreprises et des super-riches.
M. Barroso a déclaré que les citoyens européens doivent participer au ‘‘débat sur l’avenir de l’Europe’’. Notre contribution à ce débat sera probablement peu appréciée par Barroso. Mais il est vrai que le mouvement ouvrier et les syndicats doivent discuter de leurs propres solutions et de nos alternatives afin de renforcer notre lutte pour une autre Europe, une Europe qui fonctionnerait dans l’intérêt de la majorité de la population.