CELUI QUI lit "Mike contre-attaque" de Michael Moore trouve au cinquième chapitre un aperçu peu flatteur des situations intolérables dans l’enseignement américain.
Kristof Bruylandt
Infrastructures dangereuses, surpopulation, assujettissement du contenu des cours à la commercialisation sous l’effet du sponsoring, endoctrinement, personnel mal rémunéré et élèves démotivés. Celui qui pense que cela ne se passe qu’aux USA se trompe. Car chez nous ces situations sont aussi de plus en plus fréquentes.
Un tas d’écoles belges ne sont pas à la hauteur des réglementations de sécurité, mais elles ne sont pas fermées car on manque de bâtiments. Dans certaines écoles, le nettoyage est même effectué par les enseignants. Ces derniers ne sont pas dédaigneux vis-à-vis de ce type de travail, mais le nettoyage ne fait pas partie de leurs tâches et en outre le personnel de nettoyage voit disparaître ses emplois.
Entre-temps, différents groupes d’écoles proposent maintenant, après la privatisation des cantines, la sous-traitance du nettoyage aux firmes qui embauchent des nettoyeuses intérimaires qui "ne sont jamais malades". Les syndicats ont des arguments valables contre cette dégradation des conditions de travail, mais n’ont aucune stratégie pour s’opposer à cela. Dans beaucoup d’écoles ils donnent même leur aval "parce que il n’y a pas suffisamment d’argent pour continuer à payer une équipe de nettoyage avec une enveloppe beaucoup trop limitée."
Sous prétexte d’autonomie locale, l’enseignement est impitoyablement mis sur la voie de la privatisation. Les enseignants syndiqués qui invoquent les conventions collectives pour s’opposer à la surcharge des tâches supplémentaires (ex: une colle le mercredi après-midi) doivent faire face au discours de la direction qui invoque la position concurrentielle de l’école. Les stagiaires qui ne plaisent pas au directeur qui n’ont pas suffisamment "l’esprit maison" sont écartés sous prétexte qu’ils nuisent à la réputation de leur établissement.
Des profs de travaux pratiques sont mis sous pression par la direction pour qu’ils produisent pour des clients (par exemple des imprimés) au lieu d’apprendre aux élèves de nouvelles techniques. Et bien que la Constitution proclame que l’enseignement est gratuit jusqu’à l’âge de 18 ans, les parents doivent supporter chaque année des frais scolaires de plus en plus lourds. Dans certains établissements, les élèves doivent même payer pour l’accès à Internet.
En Communauté française, le ministre de l’Enseignement secondaire, Pierre Hazette (MR) a lancé l’idée d’imposer aux professeurs du libre qui voudraient passer dans l’officiel subventionné une formation de 20h à la *neutralité+, ce qui, d’après Pierre Hazette, *ne serait pas un cours mais une formation à l’esprit de tolérance et à certaines valeurs qui feraient outre des conceptions idéologiques ou religieuses des enseignants, dans un but de neutralité indispensable à l’école publique+. En clair, cela signifie dépenser de l’argent pour former la main-d’oeuvre à la non-critique tout en maintenant par une autre voie les barrières liées à l’origine des diplômes, et ce alors que la pénurie d’enseignants est plus que jamais d’actualité.
Le projet a finalement été revu, et ces cours de neutralité seront insérés dans la formation initiale de tous les futurs profs. On constate un réel refus de remédier aux vrais problèmes, tout en continuant d’appliquer les mesures d’austérité par la petite porte. Ainsi le même Pierre Hazette veut *apporter du renfort aux directeurs d’école+ par le système des titres-services, via les ASBL liées aux écoles. Autrement dit augmenter la flexibilité en favorisant une filière qui créerait de nouveaux sous-statuts dans l’enseignement. Les négociations salariales, quant à elles, sont en cours. Les syndicats exigent une augmentation des salaires de 10% en 7 ans. Mais ces revalorisations salariales ont une fâcheuse tendance à être écartées par la politique, qui préfère miser sur une nouvelle attaque sur les fins de carrière en instaurant un système de départ régressif à la retraite exprimé en 1/5 temps (au lieu de mi-temps ou temps plein), ceci afin de dissuader les vétérans de décamper.