“Nous voulons des emplois, des logements sociaux et des services publics de qualité’’

Interview de Bart Vandersteene et Anja Deschoemacker

Ces dernières années, les déficits dans le secteur du logement, de l’enseignement, des soins de santé, de la garde des enfants,… se sont fortement accrus. Les conseils communaux, de différentes manières, ne mènent plus qu’une politique néolibérale qui a plus d’attention pour le city-marketing que pour les besoins de la population. Nous avons discuté avec Bart Vandersteene, tête de liste pour Rood ! à Gand, et avec Anja Deschoemacker, tête de liste de l’alliance Gauches Communes à Saint-Gilles.

Toute une série de villes voient fleurir des projets de prestige, avec des budgets qui auraient sans doute pu trouver une meilleure affectation. Mais nos centres-villes sont tout de même plus jolis maintenant, non ?

Bart : L’objectif du city-marketing est en effet de donner l’impression d’une amélioration et, plus particulièrement, de rendre le centre-ville plus attractif. Le centre-ville n’est plus cette zone grise dans laquelle rien ne se passe, toute une série d’événements et d’attractions créent une certaine dynamique. Mais l’objectif n’est pas tellement de nous rendre la vie plus agréable, il est avant tout d’attirer des capitaux privés, entre autres concernant l’immobilier et le tourisme.

Les loyers et les prix deviennent dès lors complètement inaccessibles pour les simples travailleurs, souvent forcés de déménager en banlieue ou dans une commune proche. Et là, il ne se passe rien. Les prix de l’immobilier dans les centres-villes, à la location ou à l’achat, conduisent à une plus grande dualité entre cette élite pour laquelle la ville est encore accessible et le reste de la population. Ces prix élevés instaurent une pression sur l’ensemble du marché. Sans disposer de grands moyens, il faut actuellement s’endetter très fortement pour pouvoir acheter.

Les événements organisés sont orientés vers un public fortuné, avec des entrées fort chères ou des tarifs pas croyables pour manger ou boire quelque chose. L’argument que tout cela bénéficie au moins aux classes moyennes ne tient pas la route non plus. Combien de magasins, de restaurants et de cafés reste-t-il aujourd’hui dans la plupart des grandes villes sans faire partie d’un grand groupe ?

Anja : Les projets de rénovation urbains sont nécessaires. Il suffit de se balader un peu dans la plupart des quartiers de Bruxelles pour se rendre compte que beaucoup de rues et de maisons ont besoin d’une remise à neuf. Mais les projets de prestige ne profitent pas à la population. Au contraire, la rénovation du centre-ville telle qu’elle est appliquée aujourd’hui sert plutôt à chasser des quartiers une partie de la population – sa couche la plus pauvre – afin de faire de la place pour les projets des promoteurs immobiliers. Vu qu’il n’y a plus d’espace pour construire de nouveaux bâtiments, on ne peut attirer une “meilleure population” qu’en forçant la “moins bonne population” à déménager.

Les problèmes des communes bruxelloises sont bien connus : taux de chômage élevé, grande pauvreté, prix immobiliers exorbitants y compris pour des logements de piètre qualité. La croissance de la population met constamment sous pression le marché et les prix de l’immobilier. Ça fait vingt ans que les communes de la Région bruxelloise font passer d’autres priorités. Le résultat est absurde. D’un côté, on manque de logements à prix accessibles, de l’autre, il y a un énorme vide : 1,2 million de mètres carrés d’espaces de bureaux vides, soit près de 10 % de l’espace total. On compte aussi 12.000 appartements vides de plus de 100 m². Mais le manque de logements décents nous assure des loyers de 800 euros dans un proche avenir. Qu’attendent donc la Région et les communes pour s’attaquer à tous ces espaces vides ?

Les campagnes pour les communales se limitent généralement à des débats portant sur les pavés qui manquent ou sur le manque de places de parking. Quelle différence peut-on faire au niveau communal ?

Anja : Le niveau communal n’est pas différent des autres niveaux. Tout dépend des choix politiques, des priorités du budget et de l’endroit où on va chercher l’argent. Les communes ont de très larges compétences, qui incluent d’ailleurs la récolte d’impôts, les investissements publics (en Belgique, les communes sont responsables de 50 % des investissements publics), la création de services à la population,…

Certains disent que la politique communale n’a rien à voir avec l’idéologie. C’est faux. Les compétences communales sont bien évidemment limitées par les décisions politiques des niveaux supérieurs, mais nous retrouvons à ces niveaux les mêmes partis qu’aux communes. Une commune pourrait très bien prendre la tête de la lutte contre la politique d’austérité, il serait possible de mobiliser la population sur une telle base. Nous n’avons rien à attendre des partis établis ; nous devons construire une opposition active à l’austérité dans les communes comme ailleurs. Là aussi, l’austérité va frapper de plus en plus dans les années à venir.

Bart : Pour nous, les élections portent sur les besoins les plus urgents et les plus importants de la majorité de la population. L’emploi, le logement, les services publics tels que l’enseignement, l’accueil des enfants… Un conseil communal peut faire une différence à tous ces niveaux.

Prenez par exemple notre revendication d’un emploi stable et décent pour tous. Une ville ou une commune peut commencer à créer des emplois par ellemême, dans les services publics déjà existants ou de nouveaux services nouvellement créés. Une commune peut mener campagne pour une “ville sans intérim”, en supprimant les contrats précaires des services communaux et en menant campagne contre les emplois temporaires dans le secteur privé. Ce n’est tout de même pas normal qu’à Gand, des grosses entreprises telles que Volvo emploient plus d’intérimaires que de travailleurs sous contrat ! Et on ne parle même pas encore des soustraitants… Les contrats temporaires et intérims ne représentent aucune valeur ajoutée pour la société, ils n’en ont que pour les employeurs qui peuvent ainsi liguer un groupe de travailleurs contre un autre et licencier plus facilement leur personnel.

Une ville peut aussi jouer un rôle pionnier avec de nouveaux services publics. Les besoins sont nombreux : rien qu’à Gand, il manque 1000 places dans les crèches. Mais on pourrait aussi construire des cafétérias à prix modiques dans les quartiers, afin de pouvoir s’asseoir à une terrasse dans notre propre voisinage sans courir au centre-ville pour boire une bière ou un café à plus de 2 euros. Restos sociaux, centres de réparation de vélos,… les possibilités sont infinies.

Tout cela est-il réaliste ? Peut-on dépenser plus alors qu’il y aura encore moins de moyens pour les communes dans les années à venir ?

Bart : Nous partons des besoins, de ce qui est nécessaire à la majorité de la population, et non pas des exigences des élites qui deviennent de plus en plus marginales au sein de ce système. Ceux qui nous disent qu’il n’y a pas de moyens ou qu’une autre politique n’est pas possible “à cause de l’Europe”, sont ces mêmes politiciens qui siègent eux-mêmes à la tête de leur parti ou du gouvernement fédéral ou régional, mais qui n’ont par contre aucun problème à maintenir la déduction des intérêts notionnels. Se réfugier derrière la phrase ‘‘c’est un autre niveau de pouvoir qui est responsable’’ est ridicule. Les mêmes partis siègent à tous les niveaux et appliquent la même politique d’austérité.

Anja : Il est toujours plus facile d’aller chercher l’argent parmi la majorité de la population avec toutes sortes de taxes communales et d’amendes que de faire contribuer l’élite. Un éboueur ne peut pas déménager dans un paradis fiscal. D’immenses profits sont réalisés dans notre pays, mais les patrons et les grands actionnaires ne vont pas nous livrer cette richesse sur un plateau. Nous devons collectivement prendre le contrôle des richesses existantes. Les secteurs-clés de l’économie (énergie, sidérurgie, finance,…) doivent passer aux mains du public.

Quand, dans les années ′80, les camarades anglais du PSL sont parvenus au pouvoir à Liverpool, toute la ville a été transformée en un grand chantier. Une grande campagne médiatique a alors été lancée à contre ce conseil communal dominé par les marxistes. Mais un lecteur a alors écrit au journal local : ‘‘Je ne sais pas qui était Léon Trotsky, mais à en juger par le nombre de nouveaux logements qui sont en train d’être construits à Liverpool, il devait certainement être un fameux maçon.’’ Qu’en est il pour notre pays ?

Bart: “C’est également nécessaire. Rien qu’à Gand, il y a 7.500 personnes sur la liste d’attente des logements sociaux. Cela correspond environ au nombre de logements sociaux promis par tous les partis ces 18 dernières années – partis qui sont parvenus, au cours de la même période, à construire en tout et pour tout 750 logements.

Nous sommes pour une politique de construction et de rénovation urbaine axée sur les logements sociaux. Cela nécessite de reprendre le secteur du bâtiment entre nos propres mains, afin de rehausser la qualité des édifices, mais également d’assurer la qualité et la sécurité de l’emploi du secteur. Répondre à la demande de logements sociaux réduirait cette liste d’attente, certes, mais instaurerait également une grande pression à la baisse sur les prix de l’immobilier dans le privé.

La tendance à laquelle nous assistons aujourd’hui est exactement inverse. Quant aux subsides au loyer pour ceux qui ne s’en sortent pas, cela revient à subsidier les loyers élevés qui, grâce à ces subsides, deviennent tout d’un coup accessibles pour les ménages à bas revenu. Un programme massif de construction de logements sociaux aurait l’effet inverse de faire baisser tous les prix. La ville de Vienne, en Autriche, est aujourd’hui le plus grand propriétaire de logements de toute l’Europe, suite à la mise sur pied d’une compagnie publique de construction par les socialistes au pouvoir dans les années ′20.

Anja : À Liverpool, le conseil communal élu a tenu ses promesses. Ici, les campagnes se suivent avec les mêmes belles promesses, rarement suivies d’effets. L’accord de gouvernement de la Région bruxelloise prévoit de parvenir à 15 % de logements sociaux en ville d’ici 2020, contre 9 à 10 % à l’heure actuelle. Cela signifierait la construction de plus de 34.000 logements sociaux. À Saint-Gilles, avec ses 8,5 % de logements sociaux, il faudrait construire 1717 nouveaux logements d’ici 2020 ; à Ixelles ou Uccle, qui comptent 4 % de logements sociaux, il en faudrait 5000. Les communes sont en fin de mandat, et le conseil régional actuel n’a plus que deux ans jusqu’aux prochaines élections. Au rythme de construction actuel, ces 15 % resteront sur papier, alors que cela ne suffirait même pas. Cet objectif de 34.000 nouveaux logements (alors que la liste d’attente comprend 50.000 personnes) ne prend en compte ni les évolutions de ces huit prochaines années, ni toutes les familles qui ne se sont même pas inscrites sur liste d’attente, en sachant très bien que “ça ne sert à rien”.

Vous envisagez donc les choses dans un contexte plus global. Mais que dire de tous ces petits problèmes tels que la propreté, les pavés manquants ou les rues défoncées ?

Anja : Toutes ces rues mal entretenues dans des quartiers populaires dégueulasses ne sont jamais que le revers de la médaille des projets de prestige orientés uniquement vers le city-marketing, vers les attractions touristiques et toutes sortes de projets commerciaux (shopping-centers,…). À d’autres moments, le mauvais état de certains quartiers se voit tout à coup utilisé comme prétexte pour “rénover” ces mêmes quartiers, ce qui signifie bien souvent que les couches les plus pauvres devront céder la place à des ménages à plus hauts revenus. Le conseil communal de Liverpool des années ′80 avait construit des logements sociaux, mais a aussi amélioré les conditions de travail du personnel communal et en a engagé suffisamment que pour s’occuper de la propreté et de l’entretien de l’infrastructure publique.

Bart : La propreté à Gand ne s’est pas améliorée depuis la privatisation d’Ivago à la fin des années ′90. Les sacs poubelles sont devenus de plus en plus chers et, pour être sûr que les gens n’abandonnent pas leurs déchets dans la rue, on a diminué le nombre de poubelles publiques. On nous a ainsi encouragés à ramener tous nos déchets à la maison, pour utiliser les sacs payants. L’entreprise de collecte de déchets Ivago tire chaque année un revenu de 3,5 millions d’euros rien que de la vente des sacs poubelles jaunes (sans compter tout le reste). Cet argent est en grande partie redistribué en dividendes pour la ville et pour des actionnaires privés, tels que le groupe Suez. Il est possible de revenir à une collecte de déchets gratuite, sans que cela ne coute quoi que ce soit à la collectivité ; seuls les actionnaires privés ont à y perdre. Mais les actionnaires ont-ils vraiment besoin de tirer profit des déchets qu’ils nous ont déjà vendus auparavant ?

Une collecte gratuite des déchets, une poubelle à chaque coin de rue, un parc à containers dans chaque quartier: voilà comment lutter contre les ordures. Mais cela va à l’encontre de la politique communale libérale, où on ne se soucie que des profits des actionnaires privés tandis que la responsabilité pour les problèmes nés de cette politique est refourguée sur le dos des victimes de cette politique.

Quelle est l’objectif de la participation électorale de Rood ! à Gand ?

Bart : Rood ! a l’ambition de former une large force de gauche, nous voulons donc renforcer la gauche grâce à cette campagne. Cela aurait été plus facile si on avait obtenu une initiative unitaire également avec le PTB ; de véritables cartels de gauche pourraient nous donner plus d’élus. Une campagne enthousiaste avec laquelle nous pouvons positionner Rood ! en tant que véritable acteur peut renforcer la possibilité d’aller vers une campagne de gauche unie en 2014 (élections fédérales, régionales et européennes). Dans notre pays aussi, il y a une grande ouverture pour la gauche. Les frontières nationales ne me semblent pas être si étanches au point que nous ne pourrions pas connaitre la même situation qu’avec le SP aux Pays- Bas ou avec Mélenchon en France.

À Gand, on nous dit qu’après les élections communales, il y aura la coalition la plus à gauche possible, avec le cartel SP.a-Groen. Leur politique ne sera néanmoins pas différente des précédentes. La crise économique va conduire à des plans d’austérité, la politique du city-marketing va continuer à fleurir, mais une couche de plus en plus grande de la population va remettre en question cet emballage certes fort joli, mais vide. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la droite se présenter comme la seule opposition à cette politique ; il faut construire une forte opposition de gauche qui soit capable d’organiser la résistance. C’est le défi que Rood ! veut relever.

Et quel est l’objectif de Gauches Communes à Saint-Gilles, Jette, Ixelles et Anderlecht ?

Anja : Tout comme Rood ! en Flandre, les organisations et individus qui participent à l’alliance Gauches Communes ont surtout l’ambition de renforcer le camp de la gauche. La création d’une formation large, qui prenne réellement en compte les revendications du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux, et qui soit prête à se lancer dans la lutte pour défendre ces intérêts, sera une étape absolument nécessaire afin de rompre l’impasse que représente le capitalisme en crise, de quitter le cercle vicieux qui signifie toujours plus de pauvreté, toujours plus de désespoir pour de plus en plus larges groupes de la société.

Gauches Communes se présente dans quatre communes bruxelloises, dans l’idée de populariser une formation de gauche large, au fonctionnement démocratique, mais aussi de renforcer les forces de gauche existantes dans ces communes, afin de démarrer l’opposition à la politique d’austérité communale au cours de la période à venir. Une encore plus large collaboration aurait été encore mieux. Mais vu le manque d’enthousiasme et l’attitude attentiste de certains partenaires potentiels, nous n’avions pas la possibilité de patienter plus longtemps. Gauches Communes reste bien entendu ouvert à toute discussion en vue d’une encore plus large collaboration dans le cadre de campagnes contre la politique d’austérité ou d’autres formes de protestation.

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai