‘‘Pussy Riot’’, les bouc-émissaires de Poutine

Personne ne les a vu venir ces ‘‘rockeuses punks féministes de la troisième génération’’ qui se surnomment les ‘‘Pussy Riot’’ et se vêtissent de Balaklavas aux couleurs éclatantes et de bas collants de laine. Il aurait en effet été difficile de prévoir, il y a un an, qu’elles deviendraient non seulement un symbole de l’opposition grandissante au régime de Poutine mais aussi le sujet de ses colères vindicatives. Trois membres de ce groupe ont été arrêtées en février pour avoir participé à une ‘‘prière punk’’ à l’autel de la cathédrale orthodoxe principale de Moscou. Elles ont été accusées ‘‘d’hooliganisme’’ et retenues en prison depuis six mois alors que deux d’entre elles sont mères de jeunes enfants. Elles n’ont pas pu voir leurs compagnons, leurs familles ou leurs amis jusqu’à aujourd’hui.

Par Rob Jones, Moscou

Désormais, les ‘‘Pussy Riot’’ représentent plus un mouvement politique qu’un groupe musical. Elles ont de nombreux membres qui agissent sous les pseudonymes de Blondie, Terminator, Garage, Séraphin, Le chat, Schumacher et qui échangent leurs noms dès que nécessaire afin de conserver l’anonymat. Des dizaines de personnes soutiennent leurs actions multiples qui peuvent aller de la simple satyre à la pure provocation. Au départ, des membres ont pris part à des actions organisées par le groupe ‘‘Voina’’. Par exemple, ils ont peint un organe génital masculin sur l’un des ponts tournants de Saint-Pétersbourg. Quand le pont était levé la nuit, ceux qui travaillaient dans les bureaux de la police politique (FSB) en face, se sont retrouvés à contempler ce commentaire pictural représentant ce que de nombreuses personnes pensent de leurs activités. Mais les actions sont devenues de plus en plus politiquement explicites au fur et à mesure que l’opposition au régime de Poutine grandissait dans les manifestations de masse. Les termes utilisés dans leurs ‘‘prières punks’’ sont clairement anti-Poutine et contre la hiérarchie cléricale.

Leur participation à la ‘‘prière punk’’ dans la ‘‘Cathédrale du Christ-Sauveur’’ à Moscou a enragé l’élite au pouvoir. Ils ont pratiquement unanimement demandé à ce que des actions fermes soient prises à l’encontre de ces femmes. La cathédrale symbolise à elle seule toute la pourriture de la nouvelle Russie capitaliste, construite (ou plutôt reconstruite sur le site de l’ancienne cathédrale commémorative de la victoire russe face à Napoléon) dans la moitié des années ’90, elle est minée par des scandales de corruption. Pendant le pic de la dépression économique qui a suivi l’effondrement de l’Union Soviétique, le régime d’Eltsine a dépensé des millions de roubles afin de construire cette église. Ses dômes ont été plaqués avec 50 kilogrammes d’or, offert par un nouveau banquier oligarque à la réputation criminelle. Aujourd’hui, seulement 7% de la cathédrale est utilisée pour les services religieux, le reste accueille toute sorte d’activités commerciales. Mais tout cela importe peu aux yeux de l’Eglise Orthodoxe Russe, l’une des Eglises les plus réactionnaires au monde. Au contraire, les portes paroles de l’Eglise Orthodoxe russe ont défilé les uns après les autres pour littéralement diaboliser les ‘‘Pussy Riot’’. Selon l’avocat de l’Eglise, les ‘‘Pussy Riot’’ représentent une forme de ‘‘pouvoir supérieur tentant détruire l’Eglise Orthodoxe Russe. Il s’agit de la même force qui est à l’origine des actes terroristes du 11 septembre aux Etats-Unis : Satan !’’

Vsevolod Chaplin, le porte-parole officiel de l’Eglise blâme en premier lieu le ‘‘groupe diabolique’’ et en second lieu le ‘‘gouvernement mondial’’ (dans l’histoire de la Russie, il s’agit d’un synonyme pour parler d’une conspiration juive). Il a expliqué que ces groupes étaient étroitement liés à Satan. Il croit que les rockeuses-punks sont des pêcheuses qui devraient être sévèrement punies. Quand on lui demande de justifier cela, il dit que c’est ‘‘Dieu’’ qui le lui a dit !

Chaplin est connu pour ses croyances réactionnaires et violentes. Plus tôt cette année, il a exigé que les travaux de Lénine et de Trotsky soient jugés ‘‘extrémistes’’ et retirés de circulation. Il a continué en déclarant qu’il croyait qu’il s’agissait d’un devoir moral pour tous les chrétiens du monde de tuer autant de bolchéviques que possible. Ce n’est pas étonnant de voir que l’Eglise orthodoxe soit souvent vue aux côtés des fascistes lors des manifestations contre le droit à l’avortement, contre les droits des femmes ou encore contre la communauté LGBT.

Aucun des partis officiels parlementaire ne s’est opposé à la campagne vicieuse menée à l’encontre des ‘‘Pussy Riot’’. Au début du dernier procès, Genaddy Zyuganov, le leader du parti ‘‘communiste’’ russe a publié un communiqué de presse dans lequel il ‘‘rejette fermement la dernière provocation anti orthodoxe’’. Lors d’une interview à la radio, il a même été plus loin. Il s’est plaint de l’influence grandissante de l’Occident et de l’OTAN et a prévenu que le ‘‘Printemps Arabe aurait des conséquences tragiques sur les Chrétiens’’. Il a expliqué que le Parti Communiste ‘‘est à une large échelle le représentant de l’Eglise Orthodoxe en politique. J’ai toujours défendu et défendrai toujours les intérêts des croyants… Nous sommes prêts à utiliser toute notre influence pour défendre la réputation et l’autorité des prêcheurs qui ont souffert du ridicule, des calomnies et de la diffamation.’’

Les ‘‘Pussy Riot n’ont pas bénéficié d’un procès équitable. Le juge n’a pas arrêté de faire des commentaires contre elles, l’avocat général des chefs d’accusation a soumis plus de 200 pages de preuves sans laisser le temps aux avocats de la défense de les lire. De plus, les témoins qui désirent parler en faveur du groupe sont rejetés par le juge.

Il est assez perturbant de voir que le juge a demandé l’avis d’un expert-psychiatre, tout comme Staline utilisait les hôpitaux psychiatriques afin de punir les dissidents. Cet expert a déclaré que les trois femmes souffraient de troubles de la personnalité, qu’il a décrit dans un cas comme ‘‘voulant une position sociale active et un désir d’autoréalisation’’ et pour les autres comme ‘‘une tendance aux activités d’opposition’’ ! Apparemment entendre la ‘‘voix de Dieu’’ et appeler ‘‘au meurtre d’autant de Bolchéviques que possible’’ n’est pas considéré comme un trouble de la personnalité !

Néanmoins l’affaire des ‘‘Pussy Riot’’ n’est pas un cas isolé. Elle s’est accompagnée d’une vague d’autres arrestations associées à une croissance du mouvement de l’opposition. Le bureau du procureur se confronte à de nombreux leaders connus tel que le blogger de droite Aleksei Navalniy. Les accusations les plus récentes datent du temps où il agissait en tant que conseiller du gouverneur régional de Kirov, quand il a préconisé un contrat de vente sur le bois de construction de la région, ce qui a conduit à des pertes financières significatives, si pas, comme le procureur le dit, à la mauvaise utilisation de fortes sommes d’argent. Cette accusation est particulièrement ironique compte tenu du fait que Navalny a mené une campagne contre la corruption nommée ‘‘Pilrus’’ basée sur le mot commun utilisé pour désigner la corruption ‘‘scier l’argent’’. Il risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour ces accusations.

Cependant, parallèlement à ces cas célèbres, 16 autres activistes ont été arrêtés et attendent leurs procès pour des accusations qui pourraient bien en laisser certains en prison pour plusieurs années.

Mais le régime se trouve dans l’impasse avec ces arrestations. Les arrestations des ‘‘Pussy Riot’’ ont conduit à d’énormes contestations à l’échelle internationale. Peter Gabriel, Sting, Steven Fry, Danny de Vito, Terry Gilliam et Pete Townsend font partie de ceux qui soutiennent publiquement le groupe. Des groupes internationaux qui jouent des concerts en Russie montrent de plus en plus de solidarité envers les ‘‘Pussy Riot’’ en portant des tee-shirts ou en donnant aux autres membres du groupe du temps pour jouer. C’est le cas par exemple de Franz Ferdinand, des Beastie Boys, de Patti Smith, de Faith No More et des Red Hot Chilli Peppers. Même si de nombreux artistes russes continuent à soutenir le régime en place, en sachant bien que s’ils s’y opposent, ils perdront leur temps d’antenne, il est significatif de voir que plus de 100 artistes en vogue, nombres d’entre eux étaient encore récemment pro-Poutine, se soient exprimés contre le régime.

Mais ce qui est bien plus inquiétant pour le régime, c’est que la population toute entière commence à changer de point de vue brusquement. Dans les semaines qui ont suivi l’action, la vaste majorité de la société russe soutenait les actions du gouvernement contre le groupe, vu la condamnation sans appel de tous les officiels ainsi que des hauts responsables de toutes les croyances russes confondues. Néanmoins, les dernières enquêtes d’opinion montrent que plus de 20% des Russes (cela représente environ 30 millions de personnes) sont prêts à protester activement contre le gouvernement.

Le Comité pour une Internationale Ouvrière en Russie appelle à la libération immédiate des ‘‘Pussy Riot’’ mais aussi de tous les autres opposants arrêtés lors des récentes manifestations d’opposition. Toutes ces accusations doivent être levées. Il doit y avoir une séparation immédiate entre l’Eglise Orthodoxe Russe et l’Etat à tous les niveaux. Une réelle liberté d’expression – avec le droit de critiquer l’Etat, le Président et l’Eglise – doit être instaurée à tous les niveaux. Le régime de Poutine doit se diriger vers la création d’une assemblée constituante démocratique formée par des représentants des lieux de travail, des institutions de l’éducation et des zones résidentielles afin de décider quelles sont les meilleures formes de gouvernement pour la Russie. Un parti de masse des travailleurs avec un programme socialiste prêt à se battre pour le pouvoir politique doit être construit et il est impératif de construire une nouvelle société socialiste libre du capitalisme, des bureaucrates et des prêtres.

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