Lors de l’édition 2012 de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière, un meeting a donné la parole à trois camarades de notre internationale (issus respectivement de Tunisie, du Brésil et du Sri Lanka). Ils ont ainsi abordé la situation des luttes sociales et des mouvements révolutionnaires dans leur pays de même que notre implication en tant que parti révolutionnaire mondial dans ces mouvements. Peter Taafe, président du Socialist Party (parti-frère du PSL en Angleterre et Pays de Galles), est lui aussi intervenu, notamment au sujet des 50 ans de l’indépendance de l’Algérie.
Rapport par Julien (Bruxelles)
Le premier intervenant a activement participé au mouvement et à la lutte contre le dictateur tunisien Ben Ali. Il a commencé par rappeler l’histoire populaire de la Tunisie qui, comme c’est le cas pour beaucoup de pays néocoloniaux, a connu l’imposition du capitalisme de manière dictatoriale sur base de la collaboration de l’impérialisme et des monarchies sur place. Cela s’est accompagné d’un processus d’endettement dû à l’industrialisation et aux réformes agraires inachevées.
La ‘‘singularité tunisienne’’ provient du fait que la réforme agraire a été accompagnée de révoltes contre le régime, ce qui a permis le remplacement de la monarchie par une république. La colonisation a, elle, forcé l’industrialisation. La cohabitation entre les deux systèmes a été dure, ce qui a impliqué une double rébellion : premièrement, un mouvement réactionnaire et conservateur, qui disparu assez vite, au profit du deuxième mouvement : le mouvement ouvrier progressiste. C’est ce dernier qui a combattu l’impérialisme français.
Il n’y a aucun doute sur le rôle du mouvement ouvrier dans ‘‘l’exception tunisienne’’ : c’est le premier pays de la région à s’être doté d’une organisation syndicale (qui refusa la collaboration avec les nazis, contrairement à d’autres mouvements nationalistes du monde arabe qui y voyaient un moyen de lutter contre la métropole). C’est la classe ouvrière qui a réellement brisé la colonisation. En 1943, les femmes avaient, entre autre, le droit de vote ainsi que le droit au travail. Les mouvements ouvrier et féministe sont totalement liés en Tunisie. Le camarade a insisté : ‘‘Ce que la bourgeoisie présente aujourd’hui comme la Tunisie Moderne ne sont que les acquis de la Tunisie Ouvrière’’.
En 1978 et 1984, suite à des réformes économiques néolibérales, des luttes syndicales se sont développées contre l’Etat bourgeois. En 1986, un mouvement similaire est né contre le Plan d’Ajustement Structurel du Fonds Monétaire International (FMI). Avec un mouvement ouvrier organisé et des syndicats combatifs, l’impérialisme a été conduit à soutenir des putschistes comme Ben Ali afin de maintenir son pouvoir sur la région.
Comment la bourgeoisie présente-t-elle la révolution actuelle ? De manière scolastique : ‘‘Les gens ne sont pas contents’’. C’est oublier son rôle dans la dictature. Depuis 2008, la classe ouvrière a repris le chemin de la lutte après une longue période de repos. Il s’agissait d’une sorte de revanche sur les années ’80, quand elle avait échoué à chasser Ben Ali. Elle s’est de mieux en mieux organisée et est devenue plus combative.
Actuellement, le pays vit une période de grèves générales. Que peuvent-elles apporter au mouvement ? Si on regarde l’histoire de la Tunisie, ce sont les grèves générales qui permettent de virer des dictateurs ! C’est un réel conflit de classe.
Une partie de l’extrême-gauche n’a pas compris cela et a abandonné l’idée des Comités Ouvriers, des Comités de Quartier,… et a préféré courir vers les institutions bourgeoises ! C’est pourtant une question importante qui fait le lien avec la nécessité d’un gouvernement ouvrier.
Notre camarade brésilienne est revenue sur la crise économique qui frappe ce pays. Le Brésil connait une crise similaire à celle qui touche l’Europe, un processus qui conduit à une augmentation des luttes. Des illusions restent toutefois encore présentes concernant l’avenir que réserve ce système (meilleur que celui de la génération précédente aux yeux de nombreuses personnes).
Après la crise des années ’90, il y a eu une croissance économique essentiellement basée sur les exportations à destination de la Chine. Jusqu’en 2010, le pays a connu une croissance de la consommation et des crédits. Mais cette croissance est forcément limitée par la dépendance du pays envers le reste du monde à cause de la désindustrialisation du pays et de la réorientation de sa production vers l’extraction de matières premières.
Le pays est, à la fois parmi les 6 plus grandes puissances économiques du monde et parmi les 12 pays qui comprennent le plus large fossé entre riches et pauvres. La majorité des richesses sont donc concentrées entre quelques mains seulement. Une baisse des conditions de travail a accompagné les progrès effectués dans la construction d’infrastructures.
Cela a impliqué une augmentation des luttes liées aux projets de prestiges industriels et sportifs et à l’expulsion de travailleurs qu’ils impliquaient. Beaucoup de luttes spontanées ont vu le jour, y compris au beau milieu de l’Amazonie. Toute une série de travailleurs qui se croyaient privilégiés dans la dernière période sont aujourd’hui convaincus qu’une grève générale est nécessaire. 90% des universités fédérales sont en grève (les projets de prestiges ont fait de l’ombre aux budgets pour l’enseignement, ce qui force certains enseignants à donner cours dans des églises, dans des restaurants abandonnés,… bref, là où il y a de la place). Le mouvement de grève dure depuis 2 mois avec des manifestations, des occupations,… partout dans le pays, tant dans le secteur public que privé.
Le défi aujourd’hui est de surmonter la fragmentation de la lutte. C’est ce que le PSOL (Partido Socialismo e libertad) tente de faire. Nos camarades de la LSR (section sœur du PSL au Brésil) travaillent au sein du PSOL et y sont considérés comme une référence de gauche au sein du PSOL et à l’extérieur car, depuis toujours, ils défendent la perspective d’une société socialiste et un programme de rupture fondamental avec le système d’exploitation capitaliste. La LSR a un candidat aux élections communales et il existe des possibilités d’élus du PSOL dans différentes villes. Ces élections seront un moment important afin de tester l’impact que peuvent avoir nos idées à notre échelle, qui reste encore limitée dans ce pays.
Au-delà de cette question électorale, un autre point de cristallisation des luttes existe autour du CSP-Conlutas (syndicat de gauche) qui a organisé 6000 personnes dans des occupations destinées à défendre le droit à la terre avec le MTST (le Mouvement des paysans sans-terre, la plus importante organisation de sans-domiciles). Il y a eu de nombreuses expulsions à cause des spéculations criminelles.
De plus en plus de gens commencent à véritablement voir les limites du capitalisme et se tournent dorénavant vers nous. En étant membre du PSOL tout en défendant des critiques constructives concernant ses méthodes, la nécessité d’intervenir dans les luttes et le besoin de clarifier les idées politiques de cette formation large, nous avons pu construire une certaine périphérie autour de notre organisation.
Le troisième intervenant était issu du Front Line Socialist Party (une organisation de gauche large avec laquelle travaillent nos camarades sri-lankais de l’United Socialist Party), au Sri-Lanka. Elle a commencé par expliquer que selon la constitution sri-lankaise, le pays est ‘‘socialiste’’ et est dirigé par des partis ‘‘socialistes’’ ! Mais la crise dévoile très clairement, et cruellement, qu’il ne s’agit que d’une rhétorique vide de sens. De plus en plus de gens sont jetés à la rue et doivent voler pour survivre. A côté de cette situation se développent de grandes illusions concernant l’Europe, qui est vue comme un paradis. Mais pour ceux qui y arrivent, c’est plutôt un enfer qui les attend, celui de l’univers des sans-papiers et de leur exploitation.
Enfin, notre camarade Peter Taafe a pris la parole, en commençant son intervention en expliquant que nous vivons la plus sérieuse crise du capitalisme depuis les années ’30. Cette idée est aujourd’hui largement comprise et acceptée dans les couches larges de la population. Aux dires du dirigeant de la principale banque anglaise, il s’agirait même de la plus grave crise jamais connue, et le pire serait encore à venir.
Mais le degré des luttes est lui aussi sans précédent, avec des mouvements de masses dans de nombreux pays. Après la guerre de 40-45, la lutte a été marquée par son impact dans le monde néocolonial (Asie, Afrique, Amérique-latine, tous y passaient). Au Sri-Lanka, un vrai parti de masse trotskyste des travailleurs et des paysans a joué un rôle clef à l’époque. Mais le LSSP (Lanka Sama Samaja Party) a fait de nombreux compromis avec la bourgeoisie et a brisé de lui-même sa position parmi la jeunesse et le mouvement des travailleurs, une leçon qui reste cruciale pour l’avenir.
Ce meeting était aussi une manière de célébrer le 50e anniversaire de la victoire du FLN (le Front de Libération National) en Algérie contre l’impérialisme français. Cette guerre a cause la mort d’un 1,5 million de civils et a duré de 1954 à 1962. Finalement, une guérilla de 40.000 combattants a vaincu 600.000 soldats français. Les Algériens qui vivaient en France avaient énormément sacrifié pour la victoire de cette lutte pour l’indépendance, il n’était pas rare que 50% de leurs revenus servent à financer le combat.
En dépit du fait qu’il s’agissait d’un mouvement nationaliste bourgeois, le FLN a été soutenu de façon critique par ce qui allait devenir par la suite le Comité pour une Internationale Ouvrière, dont les membres considéraient qu’une victoire allait affaiblir l’impérialisme français. Ce soutien n’a pas été uniquement verbal, mais a également eu une dimension pratique. Ainsi, des camarades ingénieurs se sont rendus en Algérie afin d’aider à divers actes de sabotage le long de la frontière avec le Maroc.
Ce soutien a contrasté avec celui d’autres prétendus “trotskistes” qui avaient refuse de soutenir le FLN a avaient soutenu le MNA (Mouvement National Algérien) dirigé par Messali Hadj. Ce dernier avait joué un role important dans le passé mais était devenu un véritable larbin de l’impérialisme français.
La révolution algérienne a eu un énorme impact en France, qui a notamment conduit à la révolte des officiers d’Alger (la capitale du pays) en 1961. Avant cela, Charles De Gaulle était arrivé au pouvoir en 1958 et avait instauré une sorte de bonapartisme parlementaire, sans que la direction de la classe ouvrière française – la Section française de l’internationale ouvrière (qui deviendra le Parti Socialiste en 1969) et le Parti Communiste – ne fassent rien.
Après la victoire de mouvements de guérilla dans des pays comme l’Algérie, certains ont commence à développer l’idée selon laquelle la paysannerie détenait le rôle clé à jouer dans la révolution mondiale plutôt que la classe ouvrière. Ce point de vue a notamment été développé par le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI, dont la LCR est la section en Belgique) et en particulier par son théoricien, Ernest Mandel.
Ainsi, début 1968, Ernest Mandel s’était adressé au public venu l’écouter lors d’un meeting à Londres organisé par les partisans du SUQI en déclarant que la classe ouvrière européenne ne partirait pas en action décisive contre le système pour au moins 20 années en raison de la force du dollar et de la croissance économique mondiale. Cette Remarque a été faite un mois à peine avant les évènements révolutionnaires de Mai 1968 en France !
Il existait pourtant de nombreux signes avant-coureurs du potentiel d’un tel développement, comme l’envoi de gardiens armés dans les entreprises et le blocage d’élèves dans des classes fermées à clefs pour les empêcher d’aller manifester ! Par après, la France a connu la plus grande grève générale de l’histoire, avec 10 millions de travailleurs en grève et d’innombrables piquets de grève partout dans le pays. De Gaulle était totalement désarmé. Le pouvoir aurait pu être pris par els travailleurs, mais les dirigeants du mouvement ouvrier ont préféré détourner la lutte vers le parlementarisme.
Il y a peu, le Financial Time expliquait que ‘‘l’Europe est en feu et Rajoy jette de l’huile sur le feu par l’augmentation des taxes alors que celles-ci devrait baisser pour atténuer le mouvement.’’ Il y a quelques années que le CIO s’attend et anticipait l’arrivée des luttes actuelles. L’impact des luttes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a été bien plus grand que prévu. La révolution égyptienne n’est pas morte, les masses ne font que digérer l’expérience nouvellement acquise. Les Frères Musulmans seront testés sur leur politique, et il en va de même pour le nouveau régime tunisien.
Peter a poursuivi en expliquant que nous entrons dans une ère qui pourra voir le développement de révolutions de type socialistes, où la question de la collectivisation des secteurs clés de l’économie et leur fonctionnement sur base d’une planification sera posée. Mais l’exemple de Cuba est là pour nous rappeler que la classe ouvrière doit avoir le contrôle démocratique de son Etat, sans quoi le développement du bureaucratisme est inévitable. La victoire de la classe ouvrière dans un pays résonnera à travers tout le globe.
Ce danger, la bourgeoisie en est bien consciente. Une des nombreuses illustrations de cet état de fait est la campagne médiatique menée en Irlande contre notre camarade Joe Higgins et notre parti-frère le Socialist Party. De tout temps, la presse s’est opposée à la révolution. Déjà en 1917, 124 journaux tentaient de semer la discordes en affirmant que Lénine avait tué Trotsky (ou inversement, tant qu’à faire…). Il en allait de même avec nos camarades anglais dans les années ’80, à Liverpool, lorsque nous avons eu une majorité communale sous Thatcher et où les médias ont attaqués de manière tout aussi honteuse les acquis que notre organisation a apportés aux travailleurs et à leurs familles.
Avec le Comité pour une Internationale Ouvrière, soyons à la hauteur de l’histoire, pour la lutte et la solidarité, pour le socialisme ! Préparons-nous à cet avenir tumultueux qui est devant nous en construisant un parti révolutionnaire international de masse !