Depp contre Heard – Pour le droit de prendre la parole !


Le procès intenté par l’acteur Johnny Depp contre son ex-épouse Amber Heard a fait couler beaucoup d’encre. On ne va pas refaire le procès ici. 12 faits de violence domestique ont été avérés par la justice en 2020 à Londres lors d’un précédent procès pour diffamation intenté par Depp contre le journal The Sun. Le verdict de juin, lui, ne se positionne pas tant sur cette question ; il dit surtout qu’Amber Heard n’a pas le droit d’en parler parce que cela porte préjudice à Depp… Il est stupéfiant de voir qu’un sujet si grave devienne une source de spectacle et à quel point le harcèlement de meute est banalisé. Parler c’est prendre le risque de se faire poursuivre en justice et se faire lyncher sur les réseaux sociaux. Quels que puissent être les torts des protagonistes, c’est inacceptable.

Par Emily Burns

Justice spectacle, justice de classe

Dans la société capitaliste, tout devient marchandise, comme ce procès diffusé en direct, sans l’accord d’une des parties (Amber Heard). Ce procès ne s’est pas attardé sur les faits, mais sur la forme. La recherche de la vérité est devenue accessoire, à côté de la possibilité d’en faire un bon show de télé-réalité.

Il a généré une activité record sur les réseaux pour ce type de contenu. Sur tik-tok, les vidéos avec #JohnnyDeppIsInnoccent ont été vues 24 milliards de fois, 16 millions pour les # en faveur d’Amber Heard. Sur Twitter, ce sujet a été alimenté à 11 % par des bots (des faux comptes), soit 3 à 4 fois plus que la moyenne ; au même niveau que les élections ou les guerres. Un seul post d’un de ces bots a généré 20.000 partages en faveur de Depp. La justice spectacle est devenue une nouvelle manne d’argent pour les actionnaires derrière les réseaux sociaux ; leur but étant que l’on y passe le plus de temps possible pour augmenter leurs revenus publicitaires.

Idem avec Heard en pleurs sur Instagram ou les vidéos tik-tok avec ses sanglots en ont fait rire beaucoup, ça n’en reste pas moins du harcèlement de meute à un niveau inédit. Ne parlons même pas des commentaires… Inacceptable !

Victime imparfaite, victime jugée coupable

Bien qu’il s’agisse de 2 personnes extrêmement riches, comme souvent, elles n’agissent pas à armes égales. En plus de bénéficier d’une notoriété à toute épreuve, Depp a pu baser sa stratégie sur quelque chose auquel Heard, ni aucune femme, n’a accès : le sexisme ambiant dans la société. Combiné à une médiatisation extrême, ça s’est avéré particulièrement efficace. Au-delà du VictimBlaming, il s’agit de la stratégie DARVO (Deny, Attack, Reverse Victim & Offender : nier, attaquer, inverser victime et agresseur) employée pour changer l’opinion publique. Par exemple, Heard a été accusée sur les réseaux d’avoir attaqué Depp pour augmenter sa notoriété, or c’est Depp qui l’attaque pour diffamation.

De plus, Heard ne correspond pas à l’image de la victime que l’on se fait. De nombreux mythes entourent ce à quoi devrait ressembler une victime de violence et une personne autrice de celle-ci. La première doit être sympathique et s’exprimer sur ses malheurs en ne pleurant ni trop fort ni trop peu. Elle devrait aussi, en tout temps, avoir un comportement et une « moralité » irréprochable. Ainsi, 27 % des Européens considèrent les violences acceptables dans certaines circonstances…. Il serait dès lors normal de scruter, non pas les faits de violences supposés, mais bien qui est la victime, son comportement, dans les moindres recoins de son passé et de son intimité. De l’autre côté, l’auteur est imaginé avec une sale gueule et certainement pas comme un prince charmant.

Face à une victime imparfaite, un autre mythe voudrait que les violences commises et / ou la responsabilité de ces dernières soient partagées à parts égales. Cependant, les choses ne sont souvent pas aussi simples et les protagonistes n’agissent pas de manière égale.

Le droit de parler en question

Un procès pour diffamation s’attaque par définition à la personne qui se déclare victime. Depp VS Heard n’est pas d’un procès sur les violences domestiques, mais pour interdire d’en parler. Alors que le plus souvent on ne peut prouver les violences, un tel verdict pourrait empêcher les victimes de parler. Cinq ans après #MeToo, dénoncer le sexisme, c’est toujours s’y exposer… Malgré le déferlement de haine, si Heard a pu parler et tenter de se défendre, c’est grâce à ses moyens financiers. Une personne lambda victime de violence n’en aurait tout simplement pas eu la possibilité et risque d’hésiter avant de parler.

Sandra Muller qui avait lancé #BalanceTonPorc en 2017 en a aussi fait les frais. Elle a récemment gagné en cassation le droit de pouvoir dénoncer les violences sexistes dont elle a fait l’objet, après 5 ans de combat judiciaire. Lorsque les militantes de la Campagne ROSA ont qualifié les propos de Jeff Hoeyberghs de misogynes, elles ont également dû faire face à une plainte de ce dernier porté au parquet pour diffamation. Les 22 femmes qui accusent PPDA, l’ancien présentateur vedette de TF1, de viols et agressions sexuelles doivent également y faire face. Sans jugement qui établit une vérité judiciaire (et même avec, comme dans le cas de Depp VS Heard), on voudrait nous empêcher de parler. Face à PPDA, elles ne sont pas seules et ça fera une différence de taille. Certains essayent encore de qualifier cela d’hystérie collective; nous appelons ça la solidarité collective et elle fera une différence de taille !

Dénoncer le sexisme et les violences est crucial. Mais l’idée que cela seulement pourrait suffire est une erreur. Le procès Depp contre Heard a été l’occasion pour les réactionnaires de tous bords d’avancer et de propager leur haine de manière décomplexée. Il est impératif de s’organiser et de construire ensemble un programme social capable de faire face aux enjeux devant nous et de mettre enfin un terme aux violences sexistes.

Nous revendiquons :

• Pour des réseaux sociaux contrôlés et gérés par la collectivité. Ils sont de fabuleux outils de communication et d’information. Mais dans les mains du privé, ils construisent une vision caricaturale du monde qui se base sur et renforce les préjugés. Leur but au sein du capitalisme n’est pas la communication, l’information ou le divertissement, mais de générer des profits.
• Pour notre indépendance financière. La précarité double le risque de faire l’objet de violence sexuelle. Elle nous empêche de dénoncer et de nous extirper d’une situation violente.
• Pour un refinancement public massif de la justice et des soins de santé. L’immense majorité des magistrat.e.s (et policier.ère.s) ne sont pas formés aux particularités des violences sexistes. Il n’y a souvent pas de preuves et même lorsqu’il y en a, les analyses récoltées ne sont pas systématiquement réalisées faute de moyens. Ainsi, de nombreuses agressions par soumissions chimiques ne peuvent être prouvées faute d’avoir fait les analyses adéquates.
• Luttons pour une autre société, une société socialiste démocratique, qui permette à chaque personne de s’épanouir.

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