ACTA est mort, vive CISPA ?

Dans notre édition de mars dernier, nous vous expliquions à quel point ACTA était dangereux pour nos droits démocratiques et pour la société en général. Entretemps, de nombreuses mobilisations ont eu lieu et sont encore prévues tant que le projet ne sera pas définitivement retiré.

Par Jean (Luxembourg)

Pour rappel, il s’agit d’un traité international qui prétend défendre la propriété intellectuelle et les droits d’auteur. Partant du principe que la copie non autorisée d’une œuvre protégée constitue un délit (ce qui nous est rappelé d’une manière insistante chaque fois que nous regardons un DVD acheté légalement), ACTA permet aux autorités de surveiller toutes les communications internet et d’obtenir tous les renseignements voulus sur les utilisateurs.

Pirates… à bâbord ou tribord ?

Les partis Pirates ont fait de la lutte contre ACTA leur principal cheval de bataille. Ils ont dénoncé à juste titre les dangers de ce texte pour nos droits individuels et collectifs. Leur programme politique s’articule essentiellement autour des droits des citoyens dans le contexte de la société ‘‘numérique’’. Il s’agit d’un terrain limité, mais qui a pris une importance considérable ces dernières années. Par exemple, l’accès à la culture et le partage de la connaissance, sont des enjeux réels, à l’heure où le big business veut tout privatiser et cadenasser.

D’une certaine manière, les pirates dénoncent les dérives d’un capitalisme tentaculaire, mais ils naviguent sans aucune boussole idéologique. Même si l’on peut trouver des accents progressistes dans leur programme, certains d’entre eux ont un couteau antisocial entre les dents. Comme le fondateur du Piratpartiet suédois, Rickard Falkvinge : ‘‘Les conservateurs ne sont pas pour le capitalisme pur. Ils sont une espèce de poules mouillées sociales-libérales. (…) Je me définis comme ultracapitaliste (…) La bataille maintenant se joue sur les droits des citoyens, qui est le sujet majeur. Plus important que le système de santé, l’éducation, le nucléaire, la défense et toute cette merde dont on débat depuis 40 ans.’’ Bref, tous les pirates ne sont pas nos amis…

Licences libres : kesako ?

Les licences libres sont des alternatives au ‘‘copyright’’. Le traditionnel copyright est accompagné de la mention ‘‘tous droits réservés’’, ce qui indique qu’il faut une autorisation pour utiliser l’œuvre (musicale par exemple) d’une quelconque manière. Une œuvre sous licence libre mentionnera ‘‘certains droits réservés’’, c’est-à-dire que l’auteur ne tient à protéger que certains de ses droits. Par exemple, il pourra autoriser la copie à des fins non-commerciales ou commerciales, autoriser la modification de son œuvre ou pas, et bien sûr protéger ses droits moraux en exigeant d’être cité à chaque fois que l’on voudra réutiliser son œuvre.

Ces licences, proposées notamment par Creative Commons, sont déjà utilisées par des milliers d’artistes regroupés sur des plateformes de téléchargement légal. Ces artistes se font rétribuer par les dons de leurs fans et par les redevances payées pour leur diffusion commerciale. Bizarrement, ils ne passent jamais à la radio ni dans les émissions de variété télévisées. Il s’agit là d’une solution crédible à la crise actuelle du droit d’auteur, écartelé entre oubli et répression.

ACTA est en fait un HADOPI (système de répression contre les copies illicites en France) développé à l’échelle internationale. Les fournisseurs de services internet sont priés de communiquer toutes les données nécessaires à l’identification des ‘‘suspects’’ sur simple plainte d’un ayant droit (un interprète ou sa maison de disque par exemple).

Il y a de quoi s’interroger sur les motivations réelles d’ACTA tant le texte de ce traité est flou et sujet à interprétation. Quant à la lutte contre les téléchargements illicites, sans même parler de sa légitimité, il faut relever quelques points étonnants :

  • Les gens qui téléchargent de la musique ou des films illégalement dépensent en moyenne plus d’argent que les autres en produits culturels
  • Des offres commerciales commencent à se développer sous forme de ‘‘licence globale’’ ce qui rendra le téléchargement illégal de moins en moins intéressant
  • Les licences libres se développent largement et offrent des possibilités aux auteurs de vivre de leurs créations sans faire payer les particuliers (voir encadré).

Devant cette réalité, on comprend mal pourquoi l’industrie s’acharne à faire voter des dispositifs de plus en plus répressifs contre la copie illicite. Il semble qu’ils seront bientôt anachroniques et inutiles. Il s’agit donc probablement d’un combat d’arrière-garde d’une fraction de l’industrie du divertissement qui veut continuer à nous prendre sans relâche le beurre et l’argent du beurre (cf. le prix des places de concert par exemple). Et vu les profits qu’ils engrangent depuis des décennies, ils ont les moyens d’un lobbying intensif.

Les politiques, autrefois prompts à les écouter sans se poser trop de questions, hésitent face au vent de révolte que ce texte a soulevé. Suite aux nombreuses mobilisations contre ACTA, ceux qui avaient proposé et défendu le texte se sont ravisés, tel Karel De Gucht qui a proposé de soumettre le texte à la Cour de justice européenne, pour ne pas perdre la face.

Plusieurs pays ont déjà annoncé qu’ils ne signeraient pas le traité. Après le retrait de la Suisse, le Luxembourg est également en train de pencher dans le camp du NON. Le ministre de l’Economie Etienne Schneider avait pourtant assuré qu’ACTA ne changerait rien à la législation luxembourgeoise… (on se demande dans ce cas à quoi sert un nouveau traité). Mais le CSV (parti chrétien démocrate) estime que le texte est trop flou et ouvre la porte à des dérives.

Certains comme le CSV voudraient renégocier le texte. D’autres veulent attendre l’avis de la Cour de justice européenne. Au Parlement européen, il semblerait qu’on pencherait davantage vers un rejet pur et simple du texte.

C’est évidemment pour cette dernière option qu’il faut continuer à se battre, car la soumission du texte à la Cour de justice ressemblerait plutôt à une ‘‘mise au frigo’’ en attendant que les choses se calment. Et tout ce qui reste trop longtemps au frigo en ressort avec une drôle d’odeur…

Bref, ACTA est mourant. Il faut l’achever. Et ne pas baisser la garde, car de nouveaux projets hautement toxiques se profilent à l’horizon, tel CISPA (projet de loi américain de lutte contre les ‘‘cybermenaces’’). Après l’échec de PIPA et SOPA, une nouvelle tentative du flicage du web est sur la table aux Etats-Unis, cette fois avec le soutien des grandes firmes du secteur. Tout comme ACTA, le texte CISPA est flou et sujet à interprétations. Par ailleurs, il officialise et systématise les échanges d’information entre les fournisseurs de services internet et les autorités. La Chambre des représentants a déjà voté cette loi, qui doit encore passer au Sénat. La majorité démocrate qui y siège pourrait lui faire barrage. Mais la pression doit venir d’en bas si l’on veut s’assurer d’une victoire définitive contre tous ces projets néfastes pour nos droits et libertés.

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai