Changement climatique : nous n’aurons aucun avenir sans changement de système

Deux ans après la première grève mondiale pour le climat du 19 mars 2019, malgré l’acuité de la situation, le Covid-19 a relégué la question au second plan. Pourtant, le coronavirus est en soi une lourde accusation contre le mode de production capitaliste qui détruit les écosystèmes et crée des dangers biologiques et environnementaux menaçant le développement de toute notre biosphère.

Par Jonas Brännberg, Rättvisepartiet Socialisterna (section suédoise d’Alternative Socialiste Internationale en Suède).

Les avertissements concernant la pression exercée par le mode de production capitaliste sur la capacité de la terre à gérer toutes les formes de stress se sont multipliés. Au cours de l’année écoulée, nous avons vu un nombre record de tempêtes tropicales en Amérique centrale et en Asie du Sud-Est, des chaleurs extrêmes en Sibérie et des incendies en Australie et en Amérique du Nord et du Sud. 2020 a été, malgré le phénomène météorologique de refroidissement, La Niña, l’année la plus chaude jamais enregistrée. Bien que cette température ait égalé celle de 2016, le phénomène de réchauffement El Niño a alors été important.

Le changement climatique est loin d’être le seul responsable de ces graves alertes. On peut également citer la disparition rapide d’espèces, la surfertilisation et l’explosion du plastique et d’autres polluants. Selon les climatologues, nous avons déjà quitté la zone de sécurité pour quatre des neuf « frontières planétaires » qui maintiennent la Terre dans l’état stable dans lequel elle se trouve depuis 11 700 ans, appelé Holocène.

Les frontières planétaires

Le concept de « frontières planétaires » est utilisé pour définir « l’espace de fonctionnement sûr pour l’humanité » – il faut y rester pour assurer le « développement durable ». Ces frontières sont le changement climatique, la perte de biodiversité, les changements biogéochimiques, l’acidification des océans, l’utilisation des terres, l’eau douce, l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’utilisation d’aérosols et la pollution chimique.

Lorsque Karl Marx et Friedrich Engels, les fondateurs du socialisme moderne, ont étudié le capitalisme, ils ont souligné la contradiction qui existe entre le système capitaliste et la nature. Marx l’a exprimée en disant que le capitalisme avait créé une faille métabolique entre les êtres humains et la nature. Il a donné l’exemple de la manière dont les nutriments contenus dans les aliments étaient transportés de la campagne vers les villes pour être ensuite rejetés dans la mer sous forme de déchets, avec pour conséquence l’épuisement des sols.

Marx et Engels ne pouvaient cependant qu’entrevoir les prémices de ce qui allait devenir une transformation complète de la relation de l’homme à la nature. Dans la quête de profits toujours plus importants, les écosystèmes et les ressources naturelles de la terre ont été traités comme des ressources gratuites, où les matières premières, les produits alimentaires et autres ressources ont été aspirés de la nature tandis que la pollution a été vomie dans le sol, la mer et l’air. Avec l’aide des combustibles fossiles, la barrière photosynthétique a été brisée – le capitalisme a tout simplement produit plus hors de la nature qu’il n’a pu lui en restituer afin d’accroître son expansion et de satisfaire sa course aux profits, sans prêter la moindre attention aux graves conséquences.

Il n’est pas toujours facile de voir quand des changements graduels transforment la quantité en qualité (en un état complètement neuf), surtout pendant que cela se produit. Ce n’est qu’au cours de ces dernières années que les chercheurs ont pu parvenir à la conclusion que la terre, au milieu des années 1900, avait déjà quitté ce que l’on appelle l’Holocène – une ère de 11.700 ans caractérisée par des conditions très stables dans les systèmes terrestres.

Nous vivons désormais dans ce que l’on appelle l’Anthropocène (l’ère de l’homme), même si « Capitalismocène » est une meilleure description. Cela signifie que nous vivons à une époque où l’humanité, sous le règne du capitalisme, est devenue la force la plus importante dans l’évolution de la vie sur terre. L’équilibre du système terrestre, qui a utilisé l’équilibre et la rétroaction d’une variété de formes de vie pour maintenir les températures entre -5 et +2 pendant 2,6 millions d’années, est maintenant, en raison de l’industrialisation, sérieusement menacé.

Tout au long de l’histoire de l’humanité, la terre (ou plutôt la partie de la terre où la vie peut exister) a probablement été perçue comme plus ou moins infinie. En fait, il s’agit d’un fragment extrêmement petit du monde dans lequel nous vivons. Dans l’univers, il y a au moins deux trillions de galaxies, et dans notre propre galaxie, la Voie lactée, il y a jusqu’à 400 milliards d’étoiles. Autour de l’une de ces étoiles, notre soleil, la Terre tourne, avec une fine couche de vie de seulement 20 km sur et au-dessus de sa surface.

Avec un système capitaliste passé en mode turbo ces dernières décennies, cette biosphère a été gravement endommagée. Ce ne sont pas seulement les changements de température qui menacent de modifier radicalement l’état dans lequel notre civilisation existe. La vie sur Terre est également façonnée par la circulation dans l’atmosphère (comme les courants-jets dont les changements récents ont provoqué la vague de froid extrême au Texas), par la circulation de l’eau à travers la vapeur d’eau, les précipitations et les courants océaniques, l’étendue des calottes glaciaires, le sol, l’étendue de la couche d’ozone, la circulation des nutriments, etc. Avec notre entrée dans l’Anthropocène, la société humaine affecte non seulement la dynamique de toute vie sur terre mais aussi l’ensemble du système terrestre : les océans, la glace, la terre, l’atmosphère et le climat.

Jamais dans l’histoire de la planète, depuis sa création il y a 5 milliards d’années, la diversité de la vie n’a été aussi grande qu’à l’époque géologique la plus récente. Ceci est dialectiquement lié aux conditions climatiques. Des conditions climatiques stables ont créé les conditions nécessaires au développement et à la diversification de la vie, mais la diversité de la vie a également stabilisé le système terrestre et créé une biosphère élastique, capable de gérer le changement et l’incertitude.

Avec le capitalisme, cette diversité a été rapidement érodée. Depuis 1970, le capitalisme a fait disparaître 60 % des populations de mammifères, d’oiseaux, de poissons et de reptiles, selon le Fonds mondial pour la nature (WWF). En moyenne, un animal et une plante sur quatre qui ont été étudiés sont menacés, ce qui signifie qu’environ un million d’espèces sont menacées d’extinction.

Cette perte de biodiversité nous menace directement, par exemple par la diminution des insectes pollinisateurs qui a entraîné une réduction de la production alimentaire. Mais c’est aussi une menace qui risque d’accélérer le changement climatique et de rendre plus difficile l’adaptation au changement. À cause de l’industrie agricole capitaliste, par exemple, 90 % des cultures locales, qui peuvent s’adapter au changement climatique, ont été perdues lorsque les grandes multinationales ont introduit leurs cultures à haut rendement.

La mondialisation capitaliste à laquelle nous avons assisté au cours des dernières décennies a donc non seulement créé des chaînes de production mondiales fragiles, mais a également rendu notre planète, plus imbriquée, plus fragile d’un point de vue biologique également.

Au cours des dernières décennies, 50 % des terres de la planète ont été converties en agriculture, en villes, en routes et en autres infrastructures. Aujourd’hui, le changement d’affectation des sols est à l’origine de 14 % des émissions de gaz à effet de serre. Un récent rapport de la « Rainforest Foundation Norway » a défendu que seul un tiers des forêts tropicales du monde est encore intact.

Pour illustrer l’importance de l’homme pour la biosphère et les écosystèmes, on peut mentionner, par exemple, que le poids de la population humaine actuelle est 10 fois supérieur à celui de tous les mammifères sauvages. Si l’on ajoute le poids du bétail destiné à la consommation humaine, les mammifères sauvages ne représentent que 4 % du poids total.

Cependant, c’est le capitalisme qui est le problème, pas les gens ou l’humanité. Les 1 % les plus riches sont responsables de plus de deux fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que la moitié la plus pauvre du monde au cours des 25 dernières années. La moitié la plus pauvre de la population mondiale n’a pratiquement pas augmenté ses émissions au cours de la même période, désormais connue sous le nom d’ère de l’inégalité carbone. Dans le même temps, quelques grandes entreprises exploitent les ressources de la nature. Par exemple, selon le rapport intitulé « Transnational Corporations as ‘Keystone Actors’ in Marine Ecosystems », seules 13 entreprises géantes sont responsables de 20 à 40 % de toutes les captures marines de poissons plus gros et plus précieux.

Ce qui est particulièrement menaçant dans le changement climatique, c’est qu’il ne s’agira probablement pas d’un changement progressif avec l’augmentation des niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Tout comme pour les protestations de masse ou les révolutions, nous verrons des points de basculement – où les écosystèmes, en raison de l’augmentation de la température, changent d’état rapidement et pour toujours.

La fonte des glaces de l’Arctique et des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, la transformation de l’Amazonie en savane, le dégel du pergélisol ou la réduction de la circulation dans les océans du monde en sont des exemples. Récemment, un rapport inquiétant a indiqué que le dégel du pergélisol se produisait plus rapidement que prévu, entraînant d’importantes émissions de méthane, un gaz à effet de serre. Si cela est vrai, cela signifie qu’un tiers du budget de gaz à effet de serre qui nous permet de rester en dessous d’un réchauffement de 1,5 degré a déjà disparu.

Ces points de basculement créent à leur tour des rétroactions auto-renforcées qui risquent de provoquer de nouveaux points de basculement, par exemple lorsque la fonte des calottes glaciaires cesse de réfléchir la chaleur du soleil ou lorsque les forêts en feu passent du statut de puits de carbone à celui de sources d’émissions. Il peut en résulter une cascade de points de basculement qui transforment notre terre en une « serre », même si les émissions de dioxyde de carbone sont réduites. Cela prendra bien sûr du temps – peut-être des centaines d’années – mais le problème est que lorsque nous atteignons un point de basculement, nous ne savons pas s’il est possible de revenir en arrière.

C’est pourquoi l’appel à rester en dessous d’une hausse de température de 1,5 degré est si important. De nouvelles recherches montrent que le risque de points de basculement est beaucoup plus proche qu’on ne le pensait auparavant. Certains sont probablement déjà passés, comme la fonte des glaces dans l’Arctique ou la mort d’au moins la moitié des récifs coralliens. Néanmoins, les niveaux d’émission actuels laissent présager une augmentation de plus de trois degrés de la température mondiale d’ici 2100.

La capacité et la volonté de l’élite dirigeante de coopérer et de changer sont limitées par un système en crise à tous les niveaux.

La crise climatique ne peut être considérée séparément des autres crises du capitalisme, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques. Elles renvoient toutes à un système dont les contradictions sont de plus en plus fortes et qui crée des crises qui interagissent les unes avec les autres.

Par exemple, le changement climatique alimente des conflits qui peuvent conduire à la guerre et aux réfugiés, tandis que le changement climatique lui-même crée des réfugiés climatiques. Selon Oxfam, 20 millions de personnes ont été contraintes de fuir chaque année au cours de la dernière décennie en raison du changement climatique. Si la société ne change pas de cap, l’avenir sera bien pire. En fonction de différents scénarios de croissance démographique et de réchauffement, on estime que dans 50 ans, 1 à 3 milliards de personnes pourraient connaître des conditions similaires à celles du Sahara – en dehors des conditions climatiques dans lesquelles les humains ont vécu jusqu’à présent. Aujourd’hui déjà, le changement climatique, tout comme la pandémie de Covid et d’autres crises, entraîne une augmentation des inégalités de classe et de genre.

L’explosion des injustices avec la privatisation, la dérégulation et l’austérité du néolibéralisme a sapé la position de l’élite bourgeoise dans la société, et avec la crise économique, les antagonismes entre les grandes puissances du monde, notamment entre les États-Unis et la Chine, se sont accrus. Cela signifie que la capacité et la volonté de l’élite dirigeante de coopérer et de changer sont limitées par un système qui est en crise à tous les niveaux.

Bien que les confinements résultant de la pandémie aient entraîné une réduction des émissions climatiques d’environ 7 % pour 2020, il y a très peu d’éléments indiquant qu’il s’agit du début d’un changement durable. Au contraire, le stimulus que les États ont déversé sur les capitalistes pour maintenir l’économie à flot est allé dans une bien plus large mesure à l’industrie des combustibles fossiles qu’aux énergies renouvelables. En novembre 2020, les gouvernements du G20 avaient versé 233 milliards de dollars pour soutenir les activités qui favorisent la production ou la consommation de combustibles fossiles, tandis que seulement 146 milliards de dollars étaient destinés aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique et aux alternatives à faibles émissions (Production Gap Report 2020). Au lieu de la nécessaire réduction de la production de combustibles fossiles de six pour cent par an, une augmentation de deux pour cent par an est prévue pour 2030.

La prise de conscience de la menace existentielle à laquelle nous sommes confrontés, la profondeur de la faille métabolique dont Marx n’avait vu que le début, permettent de comprendre que le problème ne peut pas être résolu en passant « simplement » aux voitures électriques, en installant des panneaux solaires ou en mangeant moins ou pas de viande. C’est loin d’être le changement qui s’impose.

Comme ils l’ont fait jusqu’à présent, les représentants du capitalisme agiront au mieux trop tard et trop peu. Un nouveau rapport intitulé « Fossil CO2 emissions in the post-COVID era » montre comment le taux de réduction des émissions doit être multiplié par dix par rapport à la période 2016-2019 pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. L’incapacité n’est pas liée à un manque de compétences ou de connaissances, mais au système capitaliste, où le profit et la croissance sont toujours prioritaires, ce qui signifie que la nature est traitée comme une ressource gratuite et infinie.

Nous avons besoin d’une transformation complète de la société pour rester dans les limites planétaires qui maintiennent le système terrestre et la biosphère dans un état sûr pour notre avenir. Cela signifie l’arrêt immédiat de toute nouvelle extraction de pétrole et de gaz et un plan démocratique pour réduire à zéro les émissions d’ici une ou deux décennies. Cela implique une transformation de l’agriculture, de la sylviculture, de l’exploitation minière, des transports, de la production d’énergie et d’autres activités afin de protéger la biodiversité et de convertir les sources d’émissions en puits de carbone. Il s’agit également d’utiliser un minimum de ressources naturelles et, parallèlement, de redistribuer les richesses et les ressources dans le cadre d’un plan d’investissement vert.

Tout cela n’est pas possible dans le cadre du capitalisme. L’humanité est intégrée et son avenir est lié à celui de la nature et de la biosphère qui nous entoure. Le capitalisme, en revanche, considère la nature comme une ressource externe, à consommer et à exploiter, tout comme les travailleurs. L’appât du gain qui pousse à ce développement ne peut être arrêté ni par des appels pieux ni par des lois insuffisantes de la part de politiciens qui défendent le même système. Pour un véritable changement, il faut un socialisme démocratique : que les intérêts privés de profit soient abolis par la nationalisation des grandes entreprises et des banques sous contrôle démocratique, afin de suspendre ou de réorganiser les activités nuisibles à l’environnement, tout en satisfaisant les autres besoins de la société.

Indépendamment de l’inévitable déclin que connaît actuellement le mouvement climatique, de plus en plus de personnes, en particulier les jeunes, concluront que la lutte contre le changement climatique doit nécessairement être anticapitaliste afin de parvenir à la victoire.

Tout comme les crises du capitalisme sont étroitement liées et interagissent les unes avec les autres, la lutte contre le système capitaliste et ses défenseurs doit être organisée et rassemblée au-delà de toutes les frontières. Le mouvement climatique doit défier le capitalisme en coopération internationale avec la lutte des travailleurs, la lutte féministe, la lutte contre le racisme et d’autres mouvements. Si le capitalisme n’est pas renversé, il menace de détruire les conditions de vie et de civilisation sur cette planète.

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Première page de Lutte Socialiste