Les femmes gagnent 22% de moins que les hommes
Le 20 mars 2012 s’est tenu l’Equal Pay Day, la journée de l’égalité salariale (soit le jour jusqu’auquel une femme a dû travailler en moyenne afin de récupérer son retard de salaire vis-à-vis d’un homme en 2011). L’écart salarial s’est quelque peu réduit ces dernier temps, mais il s’élève toujours à 22% en Belgique. Nous en avons discuté avec Anja Deschoemacker, responsable de la commission femmes du PSL.
Début mars, une étude de l’OCDE a indiqué que l’écart salarial se serait réduit à 8,9% dans notre pays. D’où provient ce décalage entre ce chiffre et les données avancées par la campagne Equal Pay Day ?
Anja: “Cela dépend de la façon dont on considère les salaires. Chez les salariés à temps plein, dans le secteur privé, l’écart salarial est de 10% environ. Mais ce chiffre ne prend pas en considération le poids du travail à temps partiel, qui touche davantage les femmes. Il suffit de penser au manque de place dans les crèches,… Plus il y a de coupes d’austérité dans la sécurité sociale et les soins de santé, moins il devient évident pour les femmes de travailler à temps plein.
“Chez les jeunes femmes hautement qualifiées et sans enfants, l’écart salarial est devenu très limité. Mais il s’agit d’un groupe restreint où, par ailleurs, l’écart s’accroît au fur et à mesure des promotions. Qui plus est, une grossesse se vit au détriment des femmes. La société et l’emploi d’aujourd’hui ne sont pas organisés de façon à développer les talents de ceux qui ont une famille.’’
L’écart salarial se réduit aujourd’hui, et il était encore de 26% au début de ce siècle. Ce problème va-t-il disparaître de lui-même ?
“Il devient plus complexe. Le développement d’un large secteur à bas salaires assure que de plus en plus de personnes éprouvent de grandes difficultés, non seulement les femmes, mais aussi les salariés plus âgés, les jeunes sans qualification ou tous ceux qui ont une limitation quelconque pour le marché de l’emploi. Il suffit de penser à la maîtrise des langues : aucun employeur n’engagera quelqu’un qui a des lacunes, ni n’organisera une formation linguistique durant les heures de travail. Quant aux salariés plus âgés qui ne peuvent plus suivre le rythme de travail, ils sont rapidement éjectés. Pour les jeunes, enfin, les perspectives d’avenir sont la plupart du temps bloquées.
“C’est un problème général dû à une société asociale. Nous devons travailler pour survivre, mais nous ne trouvons de l’emploi que si un patron peut être assuré de réaliser suffisamment de profit sur notre dos. Les femmes sont particulièrement touchées, simplement parce qu’elles peuvent avoir des enfants et doivent en plus s’occuper de la majorité des tâches ménagères.
“Il est impossible de supprimer l’écart salarial sans supprimer ce secteur à bas salaire. Cette situation signifie que les jeunes ont moins de possibilités de s’organiser une vie indépendante, ils restent plus longtemps ‘‘chez papa-maman’’. Comment contracter un emprunt en dépendant d’une semaine de travail intérimaire ici et d’un mois de travail là ! S’en prendre à l’écart salarial, c’est se battre pour des emplois décents pour tous.”
L’an dernier, la campagne Equal Pay Day défendait entre autres que les femmes devaient mieux négocier leurs salaires. Est-ce une solution ?
‘‘C’est un problème général, pas individuel. Là où l’écart salarial est le plus restreint, c’est d’ailleurs dans le secteur public, où les salaires sont justement négociés collectivement. Négocier son salaire tout seul peut être à l’avantage de quelqu’un qui a trois diplômes en poche ou dans le cas d’une ex-ministre mais dans des ateliers de repassage basés sur les chèques-service ou encore dans le cas d’une infirmière, c’est beaucoup moins évident.
‘‘Il est très important de lutter pour défendre des négociations collectives accessibles à tous et à toutes pour être plus forts à revendiquer des salaires plus élevés. Chaque catégorie qui ne bénéficie pas de salaire décent dans la société constitue une pression à la baisse sur tous les salaires. Cela vaut pour les femmes, mais aussi pour les sans papiers par exemple, pour tous ceux qui bossent pour un salaire de misère.’’
Cette année, l’Equal Pay Day a eu un slogan controversé: “Réduisez l’écart salarial; devenez actrice porno”. Qu’en pensez-vous?
‘‘Il ne s’agit évidemment pas de publicité pour l’industrie pornographique, c’est une manière d’essayer d’attirer l’attention avec une accroche ‘‘ludique’’. L’idée de base est qu’une campagne normale ne suscitera pas suffisamment d’intérêt, et il faut bien constater que mettre en avant l’inégalité entre hommes et femmes n’est pas chose évidente de nos jours. Nous pensons toutefois qu’on ne peut pas éviter la difficulté avec des slogans ‘‘chocs’’.
‘‘L’idée même du slogan est d’ailleurs fausse. Seule une petite partie des femmes exploitées dans l’industrie pornographique gagne plus. En prenant en considération tout le secteur – avec la pornographie sur internet, etc. – la situation est bien différente. L’industrie pornographique est un secteur commercial où une poignée de patrons ramassent des profits écœurants. Comme dans tous les domaines, certaines femmes peuvent réussir à tirer leur épingle du jeu, mais ce n’est qu’une infime minorité.
“À côté de cela se pose la question de savoir si l’on doit considérer la prostitution et la pornographie comme des ‘‘emplois’’ normaux. Je ne le pense pas. Lorsque la prostitution a été légalisée aux Pays-Bas, seules 15% des prostituées se sont enregistrées de manière effective. La plupart se sont abstenues parce qu’elles ne veulent pas que l’on sache ce qu’elles font et ne souhaitent certainement pas que cela soit mentionné sur un CV. Les prostituées elles-mêmes ne considèrent pas qu’il s’agit d’un emploi ordinaire.
“Et si la prostitution doit être considérée comme un emploi normal, cela doit immédiatement être en tant que travail dangereux. Les agressions sont nombreuses, tant physiques que mentales. C’est un ‘‘emploi’’ auquel on a recourt si toutes les autres possibilités d’avoir un revenu se sont révélées insuffisantes. Est-ce un emploi ou un travail forcé ? En Belgique, la plupart des prostituées sont d’origine étrangère, et ce sont souvent des personnes aux situations très désespérées.”
On entend parfois parler de femmes ou de filles qui se prostituent pour se permettre un peu plus de luxe.
“C’est le cas pour une petite minorité, pas pour la plupart des prostituées. Si la prostitution est actuellement en pleine croissance en Grèce aujourd’hui, est-ce parce que plus de femmes veulent accéder au luxe ou parce que la misère les pousse au désespoir de cette situation ?
“Des études consacrées à la prostitution homosexuelle masculine indiquent qu’il s’agit surtout de gamins d’Europe de l’Est qui ne sont même pas forcément homosexuels, mais qui se prostituent par nécessité, font face à de nombreuses agressions et sont sujets à une consommation régulière de drogue, tout comme les prostituées. C’est un ‘‘emploi’’ que la drogue permet de rendre ‘‘supportable’’. Ce n’est donc pas un emploi proprement dit.”
Les marxistes ne sont-ils pas en faveur de la liberté sexuelle ?
“La liberté sexuelle signifie de permettre de la définir soi-même. La prostitution – tant professionnelle qu’occasionnelle – n’est pas un choix libre dans la plupart des cas, c’est une situation de dernier recours. Cela n’a strictement rien à voir avec la liberté sexuelle.
‘‘Cela ne veut pas dire que nous sommes favorables à une chasse aux prostituées ou que nous les considérons comme immorales ou sans éthique. Nous devons nous attaquer aux causes-mêmes du désespoir qui pousse tant de femmes (et d’hommes) vers la prostitution et non nous en prendre à celles et ceux qui se voient obligé(e)s de ‘‘choisir’’ de telles solutions. A ce titre, il faut revendiquer une meilleure protection contre les violences.
“Mais le plus fondamental est que la collectivité assure un bon avenir à chacun et chacune, un avenir qui permette d’échapper à ce secteur. Cela requiert des emplois décents, une lutte conséquente contre la pauvreté, notamment pour les femmes isolées, des allocations sociales décentes, des logements à prix démocratique, etc. Il s’agit, en bref, d’une lutte collective pour une société où hommes et femmes seraient véritablement libres, et cela n’est pour nous possible qu’avec une société socialiste démocratique.’’