Occupation du Théâtre national : la culture et les arts sont essentiels !

Une vague d’occupations a commencé au début du mois de mars avec l’occupation du théâtre l’Odéon à Paris. Elles s’est répandue par la suite vers 70 lieux culturels en France. La Belgique n’a pas tardé à suivre. Le Théâtre National à Bruxelles a été occupé le 19 mars à 16h par des travailleurs du secteur culturel. Au même moment, le comité de concertation reportait une fois de plus le plan « plein air », qui prévoyait des rassemblements de 50 personnes en extérieur dans le cadre d’événements culturels. L’occupation, avec le soutien du directeur du théâtre Fabrice Murgia, est là pour durer.

Par Marisa (Bruxelles)

La pandémie a mis en évidence que la culture et les arts sont essentiels pour l’expérience humaine. Le confinement aurait était mille fois pire sans y avoir accès via internet. Mais depuis plus d’un an, les travailleurs et travailleuses du secteur sont privés de leurs lieux de travail, de leurs rémunérations et de leurs perspectives d’avenir. Si la précarité et l’insécurité d’emploi étaient déjà les traits dominants du secteur avant la pandémie, maintenant la situation est catastrophique. En juin 2020, le secteur culturel connaissait un déficit d’activités de 22% et comptait 24% de salariés en moins par rapport à juin 2019. D’autre part, le nombre d’heures prestées a baissé de 43% en mai(1). Ces chiffres ne concernent que les salariés, sans compter tous les indépendants. Ils donnent une idée de l’ampleur des ravages.

Parmi les nombreuses personnes qui se trouvent sans emploi, certaines disposent du statut d’artiste, certaines ont droit au chômage, certaines peuvent accéder au CPAS et certaines ne touchent rien du tout depuis le début du confinement. Des initiatives de solidarité financière entre artistes comme « SOS relief » ont été mises en place. Ceux qui ont plus des moyens partagent ce qu’ils peuvent avec ceux qui se trouvent dans le besoin. C’est un bel exemple de solidarité. Mais il expose aussi ce système cruel et incapable de répondre aux besoins de la population.

La colère s’accumule depuis un moment et le temps de passer à l’action est arrivé. Avant l’été, des actions des travailleurs culturels ont finalement permis de débloquer quelques mesures d’aide au secteur. Ces mesures sont toutefois bien maigres. Elles n’ont pas fondamentalement amélioré les conditions de vie des gens. Seule la lutte et la construction d’un rapport de forces permet d’obtenir des victoires.

L’occupation actuelle du Théâtre national est un acte de protestation contre la situation de précarité et de pauvreté dans laquelle se trouvent les travailleurs des arts et de la culture. C’est aussi un expression du ras-le-bol envers la honteuse gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, l’imposition autoritaire et arbitraire de règles sans explication et le manque d’écoute face aux demandes du secteur.

Très vite, des groupes de travail se sont mis en place pour gérer la communication, la logistique, les actions et les revendications de l’occupation. Chaque soir, les groupes de travail présentent leurs propositions dans l’assemblée générale où les décisions sont prises. Une garderie autogérée accueille les enfants pour permettre aux parents d’y participer pleinement. Une vingtaine des personnes dorment sur place chaque jour, mais pendant la journée les portes sont ouvertes de 9h à 20h à toutes les personnes qui veulent démontrer leur soutien et participer aux activités du théâtre occupé. Leur but est de tenir jusqu’à leurs demandes soient écoutées.

Des liens ont commencé à être tissés avec d’autres mouvements. Le soutien mutuel entre le mouvement des sans-papiers et le mouvement d’occupation du Théâtre était par exemple évident lors de la journée internationale de lutte contre le racisme du 21 mars. Une action en soutien à la régularisation pour toutes et tous a eu lieu devant l’église du Béguinage, endroit où les sans papiers détiennent une de leurs occupations à Bruxelles. La solidarité envers d’autres secteurs, comme ceux de la santé, de l’horeca ou de la jeunesse se développe également.

Une des revendications mises en avant par la presse concernant l’occupation du Théâtre national est la réouverture des lieux culturels. Mais en réalité, l’ajout d’autres revendications à celle-ci a été un des sujets les plus discutés aux Assemblées générales, assemblées par ailleurs marquées par un sentiment anticapitaliste généralisé. Finalement, trois revendications principales ont été décidées :

  • l’indemnisation immédiate de tou.te.s les travailleur.euse.s avec et sans statut, de toutes les structures subsidiées ou non, dans toute la Belgique,
  • la régularisation des personnes sans-papiers avec des critères clairs et permanents et une commission indépendante,
  • la répartition équitable des mesures sanitaires sur l’ensemble des secteurs permettant la réouverture des lieux de sociabilité et de culture et ce dans des conditions d’emploi de nos travailleur.euse.s dignes et légales.

Ces revendications tiennent compte du fait que la troisième vague du Covid est devant nous et que la réouverture doit se dérouler dans les meilleures conditions sanitaires possibles. Pour que le public ne subisse pas de risque, il faut un investissement massif dans le matériel sanitaire, l’aménagement des lieux culturels, les tests Covid rapides, et surtout dans une campagne de vaccination ambitieuse.

Notre santé n’est pas une priorité pour les multinationales du secteur pharmaceutique et la campagne de vaccination se plie à leurs désirs. Nous sommes en pénurie de vaccins alors que les moyens existent pour en produire en suffisance. Il est évident que le vaccin devrait être un bien public. Sa production et distribution devraient être retirées des mains du privé par la nationalisation sous contrôle et gestion de la collectivité du secteur pharmaceutique.

Au même temps, la galère financière dans le secteur culturel est bien réelle et pose des problèmes urgents. Les aides ponctuelles ne sont pas suffisantes. Un autre mouvement du secteur culturel, Still Standing, demande des indemnités de chômage temporaire pour cause de crise du Covid-19 et le maintien du statut d’artiste. Nous soutenons certainement cela. Ce n’est pas aux artistes de se payer les uns aux autres : la sécurité sociale doit être renforcée. Il faut une prolongation et l’accessibilité au droit de statut d’artiste et une garantie de revenus pour tous les ménages. Mais la sécurité sociale, comme les services publics, a subi un démantèlement acharné pendant des décennies et cela signifie une individualisation des risques sociaux. Nous devons lutter ensemble, tous secteurs confondus, pour récupérer ce qui a été pillé.

Une autre question se pose, à quoi ressemblera le secteur culturel et artistique après la pandémie ? La partie du secteur qui fonctionne à petite échelle, la partie la plus vulnérable, est confrontée à des fermetures et des faillites. La tendance à la monopolisation s’accélère, les géants culturels détiennent des parties de plus en plus grandes des moyens alloués et la grande majorité des artistes galère de plus en plus à faire reconnaître son travail.
Le sujet de la rémunération du travail artistique et culturel est extrêmement sensible et important. Nous devons lutter pour des rémunérations correctes, avec de salaires décents, pendant tout le processus de création et pas seulement lors des quelques prestations. En fait, la création d’un solide service public de l’art et de la culture est nécessaire. Cela nécessiterait un plan massif d’investissements publics et permettrait la création d’emplois aux conditions de travail dignes.

Le système capitaliste est incapable de répondre à ces besoins. Il est incapable de trouver des solutions pour résoudre les crises sanitaire, économique, sociale, écologique… Organisons-nous pour obtenir des améliorations dans l’immédiat, mais discutons aussi de la manière de planifier l’économie démocratiquement pour qu’elle soit au service des besoins de la majorité. C’est ce que nous appelons une alternative socialiste démocratique.

1) Que pèse vraiment la culture dans l’économie? | L’Echo

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