Y a-t-il une lumière au bout du corona-tunnel ? Les espoirs sont grands, surtout maintenant que la campagne de vaccination démarre, bien que de manière houleuse. La méfiance règne, en partie à cause du rôle des multinationales du secteur pharmaceutique qui ont démontré ces dernières années que notre santé ne les intéresse pas. On se méfie également d’un gouvernement qui a trébuché sur toutes les mesures précédentes, principalement en raison de l’échec du marché et de la politique basée sur les intérêts des entreprises et leurs profit. Le PSL/LSP se bat pour une solide vaccination de notre santé contre le virus du profit capitaliste. Nous exigeons que l’ensemble du secteur pharmaceutique soit placé aux mains du secteur public. Nous en avons discuté avec un travailleur de l’une des principales entreprises pharmaceutiques du pays.
Quelle est ta réaction face au développement du vaccin ?
Ces vaccins font preuve d’un formidable développement technologique. Imaginez que toutes les possibilités existantes soient développées collectivement et qu’elles soient utilisées de manière planifiée pour lutter contre de nombreuses maladies et virus ! Malheureusement, aujourd’hui, seuls les profits des grandes entreprises sont en jeu, ce qui signifie que le potentiel n’est pas pleinement exploité ou que la production de vaccins est parfois réalisée très rapidement.
En septembre, on savait que 150 vaccins différents étaient en cours de développement, dont une quarantaine avaient déjà été testés sur des humains. L’objectif de la course au vaccin n’est pas tellement de prévenir la maladie que d’être le premier sur le marché en espérant toucher le jackpot. Ils en profitent également pour peaufiner leur image auprès du grand public. Quand Pfizer a sorti les premiers résultats sur son vaccin, les tests étaient encore en cour. L’objectif était surtout d’être le premier à faire la une des médias.
Selon certains commentateurs, c’est justement cette course et la concurrence entre entreprises qui a permis d’obtenir des résultats si rapidement.
L’argument néolibéral selon lequel la concurrence privée est le moteur du progrès est incorrect. Le développement des vaccins contre le coronavirus repose sur un flux de fonds publics. Le ministère américain de la santé a dépensé à lui seul 10,6 milliards de dollars pour le développement de vaccins. On estime généralement que trois nouveaux médicaments sur quatre sont développés grâce à la recherche fondamentale financée par la collectivité. L’urgence du vaccin a incité un certain nombre de sociétés à travailler ensemble, reconnaissant que la collaboration peut produire des résultats plus rapides. Au lieu de la concurrence, la collaboration mondiale aurait sans aucun doute produit des résultats plus rapides et meilleurs avec plus de recherche sur tous les effets secondaires possibles, par exemple.
Le fait que chaque entreprise refuse de partager ses connaissances limite les capacité de production. Il n’y aura pas assez de vaccins pour tous en 2021 et cette pénurie accentue les inégalités entre pays capitalistes avancés et pays néocoloniaux. En novembre, avant même qu’une vaccination ne puisse commencer, des milliards de doses avaient été commandées, principalement par des pays capitalistes développés comme les États-Unis, les pays européens, le Canada, le Japon et Israël. Ces accords visaient principalement à être les premiers fournis pour renforcer le prestige des gouvernements. Après la rivalité entre les différents pays pour l’accès aux masques, c’était la même pagaille pour les vaccins. Selon Oxfam et plusieurs ONG, les pays les plus pauvres ne verront pas le vaccin avant 2024.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé un projet de coopération internationale COVAX dans le but d’assurer la vaccination de 20% de la population mondiale et d’organiser une distribution équitable des vaccins. Fin décembre, COVAX faisait la promesse de permettre l’accès à 1,3 milliard de doses pour les 92 pays les plus pauvres du monde en 2021. Cependant, la majeure partie de la production des deux plus grands producteurs, Pfizer et Moderna, avait déjà été rachetée par les pays capitalistes développés. De plus, COVAX ne peut pas acheter auprès de ces producteurs parce que ces vaccins sont trop chers… Cela montre à quel point l’anarchie du marché est un obstacle à une campagne de vaccination mondiale sérieusement planifiée.
En fait, la recherche et le développement devraient se faire de manière coordonnée, avec partage des connaissances et une production mondialement planifiée. Cela est nécessaire pour notre santé, mais cela entre en confrontation directe avec la propriété privée des moyens de production et la logique du profit qui l’accompagne.
S’il existe d’énormes possibilités technologiques pour lutter contre les maladies et les virus d’une part, le capitalisme constitue d’autre part un frein au progrès et, pire encore, il entraîne une détérioration de notre santé. Diverses études ont établi le lien existant entre les politiques d’austérité dans les soins de santé en Angleterre et en Italie et la recrudescence de cas de rougeole, ce qui s’explique par le manque de moyens pour la vaccination.
La campagne de vaccination a commencé fin décembre en Belgique. Qu’as tu à en dire en tant que travailleur d’une grande entreprise pharmaceutique ?
La campagne de vaccination se plie aux désirs des multinationales. Les travailleurs des soins de santé doivent déjà composer avec le manque de budgets, il leur faut en plus tenir compte de l’anarchie du marché. Pfizer décide dans son coin de changer son rythme de production avec pour conséquence qu’elle sera fortement diminuée pour 3 à 4 semaines. En plus des problèmes de production en décembre, cela rend impossible pour le personnel médical de s’organiser alors qu’il espérait justement être vacciné au plus vite vu l’impact sanitaire et moral que le virus a eu sur les travailleurs du secteur.
Les fabricants affirment qu’ils ne feront que peu voire pas de profit sur le vaccin pour soutenir la collectivité et que les prix augmenteraient une fois la pandémie terminée. Cela est particulièrement inquiétant pour les pays néocoloniaux, où la vaccination ne commencera que vraiment plus tard. Les prix payés en Europe n’étaient pas officiellement connus. Ce n’est qu’après une bévue du secrétaire d’État belge De Bleeckere (Open VLD) que l’information a fuité. Les deux vaccins les plus chers, ceux de Moderna (18 euros) et de Pfizer (12 euros), sont déjà distribués en Belgique. Ce sont des vaccins basés sur la nouvelle technologie de l’ARNm. Cette technique existe depuis 12 ans, mais elle est utilisée pour la première fois pour un vaccin commercialisé. Ce prix élevé est justifié par la recherche de cette technologie, ce qui est une réalité. Mais grâce à la crise sanitaire actuelle, les entreprises pharmaceutiques peuvent directement rentabiliser ces investissements.
En Belgique, la vaccination est « gratuite ». C’est évidemment payé par quelqu’un : la sécurité sociale. La collectivité paie donc sans avoir aucun contrôle sur la production et sur la distribution des vaccins.
La campagne de vaccination pourrait être menée beaucoup plus rapidement avec une approche coordonnée, où toutes les parties (les soins de santé et le secteur pharmaceutique) seraient aux mains du public. En 1947, six millions de personnes ont été vaccinées contre la variole à New York en un mois. Bien sûr, on ne peut pas comparer une vaccination locale contre la variole et une pandémie mondiale comme celle du Covid-19. Mais une utilisation planifiée des connaissances technologiques, de la production et de la logistique devrait sûrement permettre d’être au moins aussi efficace que l’était New York il y a plus de 70 ans.
Beaucoup de gens remettent en question les vaccinations, pas nécessairement sur la base de théories complotistes, mais par méfiance. Tu comprends cela ?
Définitivement. Le mouvement antivax est en fait assez limité en Belgique. La méfiance ne vient pas totalement de là. Beaucoup de gens ne se méfient pas du vaccin en tant que tel, mais plutôt du rôle des multinationales et des gouvernements. La crédibilité des institutions capitalistes et des grandes entreprises est très faible à juste titre !
Beaucoup de scandales ont ruiné la crédibilité des industries privées ces dernières années. Pensez au Dieselgate qui a révélé que les contrôles d’émissions de gaz d’échappement étaient falsifiés. Ou aux économies criminelles réalisées dans la sécurité de la centrale nucléaire de Fukushima avant la catastrophe. Quant à l’entreprise chimique Monsanto, on savait depuis des années que son produit Round-Up était cancérigène, mais rien n’a été fait pour y remédier. Les compagnies pétrolières savent depuis longtemps que les combustibles fossiles sont préjudiciables au réchauffement climatique, mais elles ont investi dans des campagnes de lobbying et dans la pseudo-science pour nier le changement climatique. Les grandes entreprises mentent et trichent en fonction de leurs intérêts.
Finalement, les doutes actuels sont plutôt orientés vers les multinationales et les gouvernement et pas tellement sur contre les vaccins. Nous y répondons en soulignant où se situent les intérêts de la population. Le PSL/LSP défend que le secteur pharmaceutique soit placé aux mains du public pour permettre un contrôle démocratique exercé par les travailleurs et la collectivité. C’est certainement important en Belgique, car le secteur pharmaceutique y est très important. GSK par exemple, à Wavre, représente le plus grand centre de production de vaccins au monde. Deux millions de doses de toutes sortes de vaccins y sont fabriquées chaque jour. C’est également le plus grand centre privé d’analyse biochimique au monde. Pfizer réalisera l’ensemble de sa production européenne de vaccins contre le coronavirus à Puurs. Pfizer, Janssens Pharmaceutica, UCB et GSK représentent ensemble près de la moitié des 50.000 emplois pharmaceutiques (en termes d’équivalents temps plein) dans notre pays. Si l’on inclut les emplois indirects, 120.000 personnes dépendent de ce secteur. Imaginez si toutes ces ressources étaient consacrées à une réponse à la pandémie coordonnée et contrôlée par la collectivité.
Comment pouvons-nous obtenir que le secteur devienne public ?
La manifestation de « La Santé en Lutte » du 13 septembre dernier à Bruxelles avait la bonne approche autour du slogan : ils comptent leurs profits, nous comptons nos morts. Cela critique non seulement le gouvernement mais aussi le système dans sa globalité. Les grandes entreprises pharmaceutiques réalisent de gigantesques profits, y compris grâce à la pandémie. En même temps, les hôpitaux et le reste du secteur de la santé souffrent de pénuries. En organisant la lutte, nous pouvons transformer la large solidarité qui existe au sein de la population en action. Nous ne pouvons pas laisser l’initiative aux autorités.
Il y a aussi l’initiative citoyenne européenne « Pas de profit sur la pandémie », soutenue par le PTB, qui recueille des signatures sur quatre revendications : la santé pour tous en abolissant les brevets, la transparence sur les coûts de production et l’efficacité, le contrôle public sur les vaccins et les traitements pour lesquels la recherche a été financée avec de l’argent public, pas de profit sur la pandémie afin que les produits soient abordables et disponibles. Ces revendications ne seront pas satisfaites du jour au lendemain ; elles nécessiteront une campagne active et la construction d’une relation de force. Après tout, même des propositions très logiques se heurtent immédiatement aux forces du marché sous le capitalisme.
Nous ne devons pas nous contenter d’exiger qu’aucun profit ne soit réalisé sur le vaccin contre le coronavirus. L’ensemble du secteur doit être sous le contrôle de la collectivité. Selon le PTB, en l’absence de brevet, les fabricants pourront produire en masse des doses de vaccin. C’est un peu naïf de penser que les multinationales seront motivées à produire un vaccin sans faire de profits. Il arrive effectivement que des vaccins soient vendus au prix coûtant dans des pays néocoloniaux mais cela est d’avantage un geste diplomatique pour améliorer son image, accéder à un marché et récupérer le profit sur un autre vaccin, comme c’est le cas par exemple de GSK qui travaille avec des ONG et l’OMS dans un programme pour l’éradication des maladies tropicales.
Les brevets représentent un obstacle à notre santé, c’est une pierre angulaire du profit capitaliste. Mais les supprimer sans nationaliser le secteur signifierait que les actionnaires iraient récupérer leurs investissements soit sur le prix d’autres médicaments soit sur le dos du personnel. Il est donc préférable d’établir un lien immédiat avec la nécessité de nationaliser le secteur sous le contrôle des travailleurs et de la collectivité.
Quels seraient les avantages à nationaliser le secteur pharmaceutique en Belgique ?
Souvent, la demande de nationalisation se limite aux entreprises qui mettent au rebut ou menacent de fermer. Cependant, il s’agit d’une revendication qui n’est pas seulement importante pour l’emploi, mais aussi pour obtenir le contrôle de la collectivité sur ce qui est produit et comment. Le secteur bancaire et les secteurs clés de l’économie sont essentiels à cet égard.
Le secteur pharmaceutique dans notre pays génère 14,7 milliards d’euros en valeur ajoutée avant le paiement des salaires. Même après le paiement des salaires, cela représentera encore environ 10 milliards d’euros. Aujourd’hui, ces fonds passent des poches des malades à celles des actionnaires. Chaque année, la sécurité sociale rembourse 7 milliards d’euros pour les médicaments et, en outre, des médicaments sont vendus sans remboursement à hauteur de 5 milliards d’euros. Aujourd’hui, la partie la plus rentable de toute la chaîne des soins de santé est aux mains du secteur privé, tandis qu’une grande partie des coûts sont supportés par la collectivité. Ce n’est pas logique et, de plus, la logique du profit crée des pénuries. Jusqu’à la moitié des enfants en situation de pauvreté n’ont pas accès aux médicaments parce qu’ils sont trop chers. Il y a en permanence en Belgique environ 500 médicaments en pénurie car le secteur se réserve le droit d’orienter la production selon le profit et sans tenir compte des besoins médicaux. En nationalisant, c’est la collectivité qui décidera démocratiquement de ce qui doit être produit en fonction des besoins sociaux.
Aujourd’hui, la logique de profit signifie que le progrès technologique risque d’avoir des conséquences négatives pour les travailleurs. La technologie de l’ARNm utilisée par Pfizer et Moderna pour le vaccin contre le coronavirus offre un potentiel énorme. Cela signifie que l’on peut produire plus en moins de temps et avec moins de personnel. Mais ce progrès technologique menace donc de devenir synonyme de déclin social. C’est encore une contradiction du capitalisme.
La recherche, la production, la distribution et la logistique doivent toutes être sous la gestion et le contrôle des travailleurs du secteur et de la collectivité afin que la santé soit prioritaire. Cela signifie des médicaments accessibles et bon marché, des conditions de travail décentes pour le personnel tant du secteur pharmaceutique que du reste du secteur des soins de santé, la coordination de tout ce qui a trait à la santé dans un service national de santé avec un accent sur la médecine préventive. Cela faciliterait également les interventions à grande échelle telles que les campagnes de vaccination de masse.
Enfin, un secteur pharmaceutique aux mains du public mettrait également un terme au fait que l’on investit aujourd’hui plus dans le marketing que dans la recherche. Au lieu du marketing, des campagnes de prévention pourraient être mises en place autour des vaccinations et de la nécessité d’une vie saine. Des campagnes pourraient aussi être développées pour lutter contre la violence envers les femmes et d’autres questions.
En bref, de nombreux arguments plaident en faveur de la nationalisation du secteur. Pour y parvenir, il faudra lutter. Depuis le début de la pandémie, la classe ouvrière a formulé des revendications en matière de sécurité au travail, d’équipements de protection et de moyens pour le secteur de la santé.
La conscience que c’est sur les travailleurs que repose le monde a augmenté. Cela jouera un rôle important dans les luttes futures. Nous pourrons arracher des victoires en transformant la puissance de notre nombre en organisation. L’implication des masses est essentielle et peut poser les bases pour que la majorité de la population prenne enfin le contrôle du destin de l’humanité et de la planète. Le capitalisme est désastreux pour les travailleurs et le climat. Ce système nous apportera davantage de pandémies et constitue un frein pour y faire face. Une alternative socialiste est nécessaire de toute urgence : une société qui repose sur les besoins et les revendications des travailleurs et de leurs familles.