Des investissements dans le rail, au profit de qui ?

A la tête du ministère de la mobilité depuis octobre 2020, le vice-premier ministre Georges Gilkinet est déjà sous pression. Le nouveau plan de fermeture de 44 guichets de gares de la SNCB a été immédiatement décrié par les associations de navetteurs, les syndicats et les bourgmestres des communes concernées. Le ministre a d’abord feint de ne pas avoir été prévenu de la décision, avant que la patronne de la SNCB ne le corrige publiquement. Un mensonge éhonté qui a fait l’effet d’une bombe. Les élus des partis traditionnels ont alors crié au scandale, oubliant de préciser au passage que tous ces partis sont représentés au Conseil d’Administration de l’entreprise ferroviaire. Le bal des hypocrites était spectaculaire.

Ecolo sous pression

Le ministre n’était pourtant pas avare en promesses. Dès la formation du gouvernement, il annonçait d’emblée : « Ce gouvernement, le plus vert de l’histoire, a pour ambition de modifier durablement la mobilité dans le pays ». Et de lister les objectifs. Finalisation du RER. 2 trains par heure sur toutes les lignes, 1 train toutes les 10 minutes sur les trains S (agglomération bruxelloise). Un plan d’investissement pour l’accessibilité des gares et l’augmentation de la hauteur des quais. Un doublement du volume de marchandises transportées par rail d’ici 2030. Et une série d’idées pour rendre le train plus confortable et agréable.

Des trains plus nombreux, plus accessibles, plus confortables et plus ponctuels. C’est somme toute ce que chaque ministre de la mobilité nous promet lors de son installation. Mais l’ « écologiste » se distingue tout de même par la hauteur de ses promesses. C’est qu’en matière de mobilité, Ecolo a une obligation de résultats. Le parti est monté au gouvernement contre quelques petites concessions des partis de droite. Il aura bien besoin d’améliorations tangibles dans les transports en commun pour y défendre sa participation, quelques années après un mouvement de grèves scolaires historique pour le climat.

L’impact de la crise sur les chemins de fer

La crise du coronavirus a très durement impacté les chemins de fer. Les trains ont continué à rouler pour assurer les voyages essentiels dans le cadre de la continuité du service public. Mais les revenus ont logiquement chuté. Pendant la première vague la fréquentation avait baissé à 10% du nombre de voyageurs par rapport à 2019, aujourd’hui à 40%. La Vivaldi a compensé ces pertes à hauteur de 264 millions d’euros pour la SNCB et de 46,9 millions pour Infrabel. 100 millions ont été versés à la SNCB pour compenser la perte de revenus suite à la distribution des « Hello Belgium Pass » (des billets gratuits que le gouvernement temporaire avait décidé de distribuer l’automne dernier dans l’espoir de relancer l’économie), qui représentent 36 millions de trajets offerts. Mais à elle seule, la SNCB annonce une perte d’exploitation d’environ 400 millions d’euros pour 2020.

Ces mesures n’ont donc compensé que partiellement les dégâts de la pandémie sur les finances du rail. Et les chiffres de fréquentation ne devraient pas revenir à leur niveau de 2019 avant 2023, en raison des craintes sanitaires mais aussi de la popularisation du télétravail.

Rattraper le sous-investissement

En termes d’investissements, le ministre Gilkinet a annoncé 25 millions d’euros de supplément pour la SNCB, et 75 millions pour Infrabel (qui s’occupe de l’infrastructure), dans le cadre du « Plan Boost 2021 ». Des sommes bienvenues mais qui font pâle figure pour un gouvernement qui se proclame « le plus vert de l’histoire ».

De quoi peut-être rattraper une partie du sous-investissement structurel accumulé sur les trois dernières décennies. Des années ‘90 à 2019, le nombre de voyageurs a explosé, tandis que le nombre de cheminots n’a fait que baisser. Sur les législatures des gouvernements Di Rupo et Michel, ce sont au total 3,06 milliards d’euros qui ont été économisés. Jacqueline Galant, ex-ministre de la mobilité mais toujours bourgmestre de Jurbise, dénonce aujourd’hui la fermeture des guichets de sa gare : c’est pourtant elle qui, en 2015, justifiait la réduction de la dotation de la SNCB par la « chasse aux gaspillages » ! Infrabel estime avoir besoin de 92 millions d’euros supplémentaires en 2021 rien que pour maintenir l’infrastructure actuelle en l’état, et éviter de nouveaux ralentissements ou fermetures de lignes.

Gilkinet dit espérer convaincre ses partenaires de gouvernement d’augmenter les investissements dans les années à venir. Pour le reste, il s’en remet au plan d’investissement européen, dont les arbitrages sont en cours. La Belgique devrait recevoir près de 6 milliards du « plan pour la reprise et la résilience ». 1,1 milliard d’euros de ce budget devrait être consacré au développement du ferroviaire et à la modernisation de certains axes stratégiques (jonction Nord-Midi, axe Bruxelles-Luxembourg, accès portuaires, etc.).

Socialisation des pertes, privatisation des profits ?

La SNCB est prolongée de 10 ans comme opérateur unique du service public. Mais le processus de libéralisation n’est pas remis en cause. Le nouveau gouvernement a utilisé « l’attribution directe », une possibilité laissée par les traités européens qui permet de n’activer la libéralisation qu’à partir de 2033. Un opérateur privé peut toutefois déjà déposer candidature pour faire circuler des trains de voyageurs en trafic intérieur, mais pas dans le cadre des missions de service public, et donc sans subventions. Le seul candidat déclaré a renoncé en 2020 en raison de la crise.

A court terme, la SNCB ne sera probablement pas mise en concurrence et restera publique ; une victoire pour les voyageurs et le personnel. Mais le contexte économique du secteur ferroviaire n’étant pas favorable aux bénéfices, il ne faut pas y voir une concession des partis de droite. Le grand patronat est toujours ravi qu’une entreprise comme la SNCB reste publique lorsque les bilans sont négatifs. Ils réclameront leur part dès lors qu’il y aura possibilité de faire des bénéfices.

Quant aux investissements européens en discussion, ils concernent dans leur grande majorité des projets d’infrastructure. Cela bénéficierait à n’importe quel opérateur ferroviaire voyageur, public ou privé ; mais aussi aux opérateurs de fret, alors que le transport de marchandises est aux mains du privé depuis quelques d’années.

L’accord de gouvernement de septembre soufflait en fait le chaud et le froid, confirmant le rôle de la SNCB comme opérateur de service public tout en annonçant parallèlement un « projet pilote » d’appel d’offres dans un « bassin de mobilité » en Flandre et en Wallonie. Et « l’exploration de la piste d’une expertise privée au sein de la SNCB ».

Le risque est grand de voir de l’argent public dépensé pour moderniser des outils qui serviront ensuite aux actionnaires pour faire du profit. Nous devons nous battre pour que les investissements soient basés sur les besoins de la majorité sociale et que l’ensemble du service ferroviaire soit public.

Les réformes antisociales continuent

Le chantage à la libéralisation / privatisation va donc continuer, et son lot de politiques antisociales. Alors que le personnel est encore aux prises avec les risques sanitaires, la direction de la SNCB met en pratique de nouvelles réformes visant les couches hiérarchiques intermédiaires. Son objectif est d’avoir du personnel d’encadrement plus obéissant et plus ouvert au fonctionnement du privé.

Le nouveau plan de transport 2020-2023, partiellement d’application depuis décembre dernier, prévoit l’ajout de 161 trains supplémentaires en semaine et 200 en weekend. Avec quel personnel ? L’augmentation des cadences rend les journées toujours plus dures pour le personnel. L’arrivée d’un « pro-chemins de fer » au ministère de la mobilité n’a stoppé en rien les politiques de hausse de productivité brutale, d’externalisation, de flexibilisation et d’attaques du statut cheminot.

Les futures négociations autour du protocole d’accord social s’annoncent à nouveau agitées. Reporté d’un an en 2019 suite au cahier revendicatif imbuvable de la direction et de la grève de 24h qui s’en était suivi, reporté à nouveau d’un an en 2020 suite à la crise sanitaire, il devrait définitivement aboutir en 2021. Mais l’absence d’accord n’a pas empêché la direction d’avancer ses pions, tandis que l’accord de gouvernement prévoit de préparer les « ressources humaines » aux règles de la concurrence. Il ne fait aucun doute que la direction va utiliser la menace de libéralisation et les pertes liées à la crise pour s’attaquer au personnel.

Les cheminots et leurs syndicats devront s’avancer unis et déterminés pour obtenir des victoires. Les salaires n’ont pas été augmentés depuis une douzaine d’années et nous n’avons pas reçu de « prime corona » malgré les risques encourus au plus fort des deux vagues. Obtenir un accord ne doit pas être un objectif en soi : en l’absence de rapport de force, cela pourrait même constituer un recul. Mettre fin à la politique de l’enveloppe fermée et aux augmentations de productivité sur le dos du personnel est possible, mais nécessite d’organiser un plan d’action dès maintenant.

Le rail doit rester public

Après des décennies de coupes budgétaires, des moyens sont enfin dégagés pour le rail. Mais pour répondre au défi climatique et changer radicalement la façon dont on se déplace, quelques mesures vertes ne suffiront pas. Des moyens doivent être dégagés pour que les cheminots puissent travailler dans de bonnes conditions et assurer la qualité du service. Les projets de libéralisations et de privatisations ne doivent pas seulement être reportés, mais jetés à la poubelle.

Une femme sur trois craint de prendre le train par peur des agressions sexuelles. C’est le résultat d’une enquête commandée par le SPF Mobilité fort commentée dans la presse le mois dernier. En l’absence de guichetiers ou d’autres membres du personnel pas suffisamment « rentables », le contrôle social en gare est réduit à son strict minimum. Et c’est précisément la politique de « préparation à la libéralisation » qui mène à nouveau à des suppressions de postes ! Nous n’avons pas besoin de libéralisation ni de privatisation : nous avons besoin d’un service public géré et financé sur base des besoins de mobilité et de sécurité !

Dans l’intérêt des cheminots comme des usagers, nous avons besoin d’un changement à 180 degrés. Infrabel, la SNCB et les services externalisés doivent être à nouveau fusionnés pour constituer un service public qui assure des solutions collectives à la mobilité. Le chemin de fer doit être géré démocratiquement pour répondre à nos besoins, et non pour préparer la soif de profit de quelques actionnaires.

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