[INTERVIEW] FedEx « On ne veut pas diminuer les licenciements, on veut zéro licenciement ! »

Le mardi 20 janvier, nous apprenions dans la presse l’intention de l’entreprise de transport de fret FedEx de procéder à une vaste restructuration au niveau Européen, et de supprimer plus de 700 emplois en Belgique (671 à Liège-airport et 47 à Zaventem). Presque immédiatement après l’annonce, les travailleurs de FedEx-TNT à Liège se sont mis en grève. Nous en avons discuté avec un travailleur de l’entreprise. Propos recueillis par Clément (Liège).

Le grand public a appris cette annonce de licenciements collectif par voie de presse. Comment l’ont appris les travailleurs ?

Il n’y a pas eu de communication de la direction de l’entreprise directement vers les travailleurs. Moi je suis dans l’équipe de nuit, je l’ai appris sur Facebook, comme beaucoup d’autres collègues. Puis on a vu la conférence de presse qui a suivi le Conseil d’Entreprise extraordinaire de lundi. On a appris pour les 671 licenciements, mais aussi pour les 861 collègues restant, qui vont devoir accepter des contrats plus flexibles.

Quel était l’état d’esprit des travailleurs après cette annonce ? Il y a eu une réaction très rapide avec 48h de grève, d’où est parti le mot d’ordre ?

Ça a été un gros choc pour tout le monde évidemment. On est beaucoup à venir de TNT et on est nombreux à bosser pour la boîte depuis des années. On a beaucoup donné pour cette entreprise, on a toujours travaillé avec beaucoup de dévouement et de conscience professionnelle. Il y avait un vrai sentiment de dégoût de voir ainsi notre avenir menacé après les sacrifices réalisés alors que beaucoup ont des crédits, etc. Les types qui prennent ce genre de décisions, ils sont inhumains en fait. D’autant que dans le bilan comptable, c’est 3 millions de bénéfices net à l’année.

Mais surtout, il y a beaucoup de colère. Le mot d’ordre des 48h de grève je sais pas exactement d’où il est parti, mais probablement des instances de la FGTB-Métal. C’est très clair que la base voulait vraiment partir en action, si on nous avait écouté ça n’aurait pas été 48h, mais une semaine de grève.

Comment s’est déroulée la grève ?

C’était très bien coordonné, notamment entre les équipes de jour et de nuit, pour s’assurer que le piquet soit toujours fourni. Au plus haut, entre 23h et une heure du matin, quasi toute l’équipe de nuit était au piquet. J’ai pas compté, mais ça devait faire 800 collègues. Et en 15 ans chez TNT, c’est la première fois que je connais une grève qui n’est pas simplement un arrêt de travail. Peut-être qu’on aurait dû se mettre en grève plus souvent en fait.

Il y a aussi eu des témoignages de solidarité des travailleurs des autres entreprises qui sont à Liège-airport qui sont venus nous soutenir. Quand on était en grève, la direction a essayé d’utiliser des travailleurs d’autres boîtes, comme les ravitailleurs de Liège-airport. Ils ont tous refusé.

Tu parlais d’arrêt de travail juste avant, il y en a eu en octobre lié au covid non ? Ça a signifié quoi concrètement de travailler pendant le covid chez vous ?

On a bien fait un arrêt de travail en octobre. La direction internationale du groupe avait annoncé l’octroi d’une prime de 1000e par travailleurs à cause des bons résultats du groupe et du fait qu’on avait bossé avec le Covid (entre le 31/05 et la 31/08/20, le groupe FedEx a engrangé un bénéfice de 1,28 milliards d’euro, contre 800 million sur la même période, NDLR). On nous a finalement promis 250e de prime pour février 2020, mais il a fallu montrer les crocs

Pour les conditions de travail, au début, c’était très compliqué. On devait continuer de travailler parce qu’on était considérés comme essentiels. Mais au début, on avait pas de gel, pas de masques, pas de procédure. Peu à peu il y a des choses qui se sont mises en place mais bon, dans le boulot qu’on fait, respecter la distanciation par exemple, c’est quasi impossible malgré qu’on soit disciplinés.

On s’est mis en danger pour l’entreprise en fait. On a des collègues qui ont été contaminés, et se mettre en quarantaine c’était pas facile pour tout le monde à cause des pertes de salaire que ça pouvait représenter.

Aujourd’hui, la procédure Renault a été enclenchée, quelles sont les perspectives pour la lutte et pour la suite?

Déjà, les syndicats doivent être clairs : ce qu’on veut, c’est pas « diminuer les licenciements », mais bien zéro licenciement et il faut le dire clairement. Si tu dis que tu veux juste diminuer le nombre de licenciements, c’est la porte ouverte pour que le patronat passe en force. Puis c’est irrespectueux pour les travailleurs, ça veut dire que tu es prêt à en laisser sur le carreau et que ça ne te pose pas de problème.

On doit aussi se méfier de la procédure Renault. Généralement, c’est quand même une loi que les patrons utilisent pour faire traîner la situation, la laisser pourrir et étouffer la contestation. Vu l’opacité de la procédure, on réclame un maximum d’information sur la procédure, sur ce qui s’y passe : ça nous aidera a décider comment réagir à chaque étape.

Et si on ne parvient pas à empêcher les licenciements, on veut assurer les indemnités de départ les plus hautes possibles et des vraies garanties de requalification avec un vrai emploi garanti derrière.

Je pense aussi qu’on a besoin de plus d’agitation de la part du syndicat sur le lieu de travail. Il y a des militants, mais il y a aussi trop de collègues qui sont méfiants envers le syndicat. Si on injecte pas de la combativité et de l’envie de retourner en action, on risque d’être perdus. On a des collègues qui travaillent en pleine panique parce qu’ils ont peur d’être parmi les licenciés s’ils font un faux pas. Ce qu’il nous faut, c’est empêcher les licenciements collectivement, en luttant.

On n’est pas les seuls concernés, c’est un plan de restructuration européen (entre 5500 et 6400 pertes d’emplois annoncées en Europe, NDLR), on doit aussi créer la solidarité avec les travailleurs et les délégations syndicales dans les autres pays. Et rester mobilisés, faire parler de nous et de ce qui se passe à FedEx, parce que ici, une semaine après l’annonce, dans la presse on n’en parle plus. Mais ça veut pas dire que ça n’existe plus.

Un mot pour conclure ?

Une anecdote, plutôt. Hier, on a reçu une communication de la direction qui disait qu’elle allait nous payer le salaire de nos deux jours de grève. C’est vraiment vicieux. D’abord, c’est nous traiter comme des enfants : ils veulent transformer notre réaction rationnelle de partir en grève pour défendre notre avenir en une réaction émotionnelle qu’ils seraient prêts à nous pardonner. Quand tu mets 700 personnes à la porte, tu ne viens pas jouer les mère Thérèsa.

Et dans leur lettre, ils disent qu’ils ont « informé les syndicats » de leur décision. Ce genre de démarche, ça va aussi stimuler la méfiance envers le syndicat en donnant l’impression qu’ils marchent main dans la main avec la direction. C’est à la fois une tentative de calmer le jeu et de diviser les travailleurs.

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Première page de Lutte Socialiste