Alors que nous sommes au tout début d’une longue lutte contre les mesures d’austérité du gouvernement papillon, il est intéressant de repenser aux enseignements que l’on a tirés des négociations sur l’AIP de 2011-2012 et de la lutte qui s’en est suivi.
Par Alain (Namur)
Cette période est riche de leçons : refus de la base syndicale face à l’accord, arrogance du patronat, complicité des partis traditionnels, manque d’organisation de la lutte,… avec pour résultat une norme salariale de 0,3%. Malgré tout ça, dans certains secteurs, cette norme a été brisée grâce à l’activité de délégations syndicales combatives. C’est le cas des carrières de Marche-les-Dames (Namur), où nous avons pu rencontrer et discuter avec Pedro Pereira, délégué FGTB.
L’histoire des carrières
Aux environ de l’année 1900, la famille Dumont et la famille Lhoist s’unissent et commencent à exploiter 3 carrières : Jemelle, Dumont-Wauthier et Marche-les-Dames. Dans les années ‘80, l’entreprise était au bord de la faillite, deux cousins ont racheté les parts et relancé l’entreprise. Ces carrières fournissent de la chaux pour différents secteurs : sidérurgie, environnement, verrerie, chimie et génie civil.
En 2001, l’entreprise aux capitaux belges employait 8.000 personnes de part le monde. Aujourd’hui, elle en emploie 6.700, dont 3.500 en Europe et 800 en Belgique, répartis sur différents sites : Lhoist Jemelle, Les Dolomies à Marches-les-Dames, Dumont-Wauthier et Merlemont (qui fait de la pierre concassée de décoration). Le chiffre d’affaire de l’entreprise était de 110 millions d’euros pour 2011 au niveau mondial.
La situation syndicale dans les carrières
Il y a pour les carrières de grosses et de petites entreprises avec des délégations syndicales dans tous les gros groupes. Dans ce secteur (commission paritaire 102.09), les délégués négocient directement avec le patronat. Lors de la négociation pour l’accord interprofessionnel (AIP) de 2011-2012, les carriers étaient persuadés de pouvoir briser la norme salariale fixée à 0,3% d’augmentation salariale. Les petits patrons ont bien tenté de résister, mais le secteur entier a pu obtenir une augmentation de 1,2%.
Après cette négociation sectorielle, les délégués ont négocié entreprise par entreprise, en sachant que dans les gros sites, le rapport de force était plus favorable. Pour le groupe Lhoist, si l’on compte les différents avantages acquis (assurance groupe par ex.), ils ont pu obtenir une augmentation de 4,22% ! Cela nous place évidemment bien loin des 0,3% de la norme salariale nationale, quatorze fois plus loin…
Certains rétorqueront que ce n’est possible que dans est un secteur où la délocalisation est plus difficile, ce qui rend le rapport de force plus à l’avantage des salariés. C’est vrai, évidemment, mais le patronat fut particulièrement intraitable durant les négociations et fut appuyé par tous les partis politiques traditionnels.
La construction d’une délégation de combat
La délégation syndicale s’est implantée dans le groupe Lhoist en 1993. A partir de 1995, ils ont élaboré avec les travailleurs un cahier de revendications. Grâce à la lutte, celles-ci ont étés adoptées, mais pas pour l’ensemble des sites. Ce n’est qu’entre 1999 et 2001 qu’ils ont pu commencer à se battre pour une harmonisation des statuts dans les 3 usines du groupe. Ils ont obtenu les 35 heures pour les 3 usines du groupes et, jusqu’à 2010, ils se sont battus pour que les 3 usines du groupe connaissent des salaires équivalents.
On le voit, les différentes situations des sites ont pu être harmonisées grâce à la solidarité des travailleurs. Pedro Perreira nous a ainsi expliqué que les travailleurs sentent que la délégation travaille pour eux. La confiance s’est construite au fil du temps, au fur-et-à-mesure d’explications et de discussions non seulement au sujet des victoires syndicales, mais aussi vis-à-vis des défaites, afin de pouvoir en tirer tous les enseignements.
La délégation du site de Marche-les-Dames s’est battue pour préserver et développer l’emploi. Alors qu’en 1993 le site comptait 220 emplois, ce nombre est tombé à 137 CDI en 2000. La délégation s’est battue pour partager le temps de travail, ce qui leur a permis de remonter jusqu’à 157 personnes en 2008 (soit en pleine crise !). En 2011, le site comptait 167 CDI. Les luttes ont notamment concerné le passage des intérimaires en contrats stables afin de ne pas permettre le développement du recours aux sous-contrats, ce qui mine la force de frappe collective.
L’austérité : une politique qui s’attaque à tous
Les plans d’austérité du gouvernement Di Rupo 1er vont nous entraîner dans une profonde récession économique, et la misère va s’étendre et menacer de plus en plus de gens. De cela, la délégation syndicale des carrières à Marche en est bien consciente. Pour Pedro Perreira, il est scandaleux de s’attaquer aux plus faibles comme les chômeurs et les pensionnés alors qu’on continue à donner des cadeaux par milliards aux plus riches (déduction des intérêts notionnels par ex.). Le risque de destruction du tissu social est réel si on laisse ces mesures attaquer encore plus nos outils de solidarité, déjà dans un piteux état.
Pour la délégation, il est temps de réagir. Il faut organiser le mouvement, le recréer, expliquer à nos proches, à notre entourage, à nos collègues, comment ils vont être touchés par ces mesures. Cela passe par un grand plan d’information et de sensibilisation. Il est à regretter que les Maisons du Peuple aient disparu. On en aurait bien besoin à l’heure actuelle, à nous de recréer un mouvement ouvrier puissant.
La délégation de Marche-les-Dames a expliqué que nous avions besoin d’organiser la lutte pour que celle-ci soit efficace. C’est pour cela qu’elle a interpellé la direction de la FGTB sur le sens d’organiser une manifestation le 2 décembre (jour de la Saint-Barbe). Il n’est plus temps d’organiser des marches, il faut passer à l’action. C’est pour cela que les carrières ont participé, avec d’autres entreprises privées où se trouvent des délégations de la centrale générale, à la grève du 22 décembre qui ne devait pourtant initialement toucher que les services publics.
Organisons la riposte contre la casse sociale
Alors qu’aujourd’hui, on nous répète que la marge de manœuvre du gouvernement est faible pour nous décourager d’entrer en lutte, il faut commencer à reconstruire un mouvement ouvrier combatif autour d’un plan d’action se basant sur la volonté de lutte des travailleurs, la seule à même d’arrêter la casse sociale organisée par les capitalistes.