Alors que la crise économique empire, de nouveaux conflits de classes apparaissent
A la suite de sa récente visite au Caire, afin d’y discuter avec des militants et des ouvriers en lutte contre le pouvoir de la junte militaire, David Johnson livre ici un bilan des événements révolutionnaires de l’année 2011 en Égypte, et examine les perspectives pour 2012 après les récentes élections qui ont vu la victoire des Frères Musulmans. Cet article a initialement été publié le 18 janvier sur www.socialistworld.net, le site du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO).
David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)
»L’Égypte est comme une maison où les rideaux ont été changés mais où tout le reste est resté identique » a récemment déclaré un militant révolutionnaire aux correspondants du CIO. La manifestation du 25 janvier 2011 a lancé un mouvement révolutionnaire qui a fait tomber le dictateur Moubarak 18 jours plus tard. Le mouvement de masse a continué sur sa lancée jusqu’à la démission d’Ahmed Shafik, le premier ministre désigné par Moubarak le 29 janvier, le 3 mars.
Moubarak a été forcé par ses propres chefs militaires à démissionner. En prenant lui-même le pouvoir, le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a en fait effectué un coup d’Etat militaire. Ses membres ont compris qu’en essayant de s’accrocher au pouvoir plus longtemps, ils auraient poussés le mouvement révolutionnaire – et en particulier la vague de grèves qui se développait alors rapidement – à balayer toute la classe dominante.
Depuis lors, l’Egypte s’est retrouvé entre les feux de la révolution et de la contre-révolution, souvent d’ailleurs avec des mouvements allant dans les deux directions au même moment. C’est une réflexion de la faiblesse de la classe capitaliste égyptienne et de son incapacité à stabiliser sa domination alors que, à ce stade, la classe ouvrière est sans parti de masse ou parti révolutionnaire capable de conduire au succès du renversement du capitalisme.
La crise économique s’approfondit, le gouvernement blâme les travailleurs
Le premier ministre Kamal el-Ganzouri, le quatrième à tenir ce poste cette année, a déclaré, larmoyant, dans une récente conférence de presse que l’économie égyptienne était »plus mauvaise que n’importe qui peut se l’imaginer. » On s’attend à ce que la croissance économique pour 2011 tourne autour de 1.2%, contre 5% en 2010. Le chômage s’élève maintenant à presque 12%, comparé à 9% il y a un an.
Le tourisme représentait plus de 10% du PIB en 2010, soit un huitième de la force de travail globale du pays, mais le nombre de touristes a diminué d’un tiers durant l’année 2011. L’occupation des hôtels du Caire n’était que de 40% en juillet et de 70% en août dans les stations de la Mer Rouge. La crise économique mondiale a contribué à cette chute brutale, de même que les scènes de violences montrées dans les médias. Le gouvernement et ses partisans, cependant, blâment surtout les protestations des travailleurs, qui ‘placent leurs propres agendas avant l’intérêt général’. Le ministre des finances Samir Radwan a d’ailleurs clamé que ces protestations ouvrières étaient en grande partie responsables du déficit budgétaire et des chutes de l’investissement étranger et du tourisme.
L’investissement direct étranger a chuté de 93% dans les neuf premiers mois de 2011 (376 millions de dollars). Selon la Banque Centrale, les réserves étrangères sont tombées à 18 milliards de dollars, contre 36 milliards début 2011. Les coûts d’emprunt du gouvernement atteignent niveau record, après que les investisseurs étrangers aient réduit leurs possessions des bons du trésor de 7,5 milliards de dollars durant les neuf premiers mois de 2011, à comparer aux achats nets de 8,6 milliards de dollars dans la même période une année plus tôt. Le gouvernement a reçu une aide financière peu commune : les forces armées lui ont prêté 1 milliard de dollars en décembre !
L’inflation a atteint les 10% en décembre, tandis que 40% de la population lutte quotidiennement pour vivre avec moins de 2 dollars. Le gouvernement est sous pression des grandes compagnies pour s’attaquer au déficit budgétaire. Le 5 janvier, il a annoncé des coupes budgétaires dans les dépenses publiques de 14,3 milliards de LE (livres égyptiennes, soit 2,37 milliards de dollars), et veut des réductions à hauteurs de 20 à 23 milliards de LE en tout. L’austérité annoncée s’attaque aux salaires du secteur public et aux subventions énergétiques. Le gouvernement est en ce moment en pourparlers avec le Fonds Monétaire International (FMI) pour un prêt qui sera probablement conditionné à des coupes à opérer dans les subventions alimentaires, ce qui frappera les plus pauvres.
Les travailleurs et les pauvres ont toutefois pu ressentir la puissance qui est la leur lorsque le soulèvement de masse a permis de faire dégager le dictateur. La classe dirigeante se rappelle également craintivement de la tentative du prédécesseur de Moubarak, Anwar Sadat, de couper dans les subventions du pain, ce qui avait conduit à un soulèvement de masse en 1977. N’importe quel gouvernement essayant de s’en prendre aux subventions aura besoin d’un bon réservoir de soutien, et il en aura bien besoin.
La popularité en chute du Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA)
La junte du CSFA a perdu une grande partie du soutien qu’il avait su s’attacher tout juste après que Moubarak ait été évincé en février 2011, lorsque l’armée était largement considérée comme ayant refusé de suivre les ordres de Moubarak et avait refusé de commettre un massacre place Tahrir du type de celui de la Place Tiananmen, à Pékin, en 1989. Les manifestants chantaient alors »l’armée et le peuple sont ensemble. » Au cours des mois suivants, il est devenu plus clair pour la plupart des activistes que la poigne du CSFA devenait de plus en plus agrippée au pouvoir. Le SCAF et son chef, le maréchal Hussein Tantawi, peuvent cependant encore jouir d’un certain appui, principalement chez les plus âgés voient l’armée comme un garant de la stabilité.
Après la chute de Moubarak, suite au mouvement de grève, 150 nouveaux syndicats ont été constitués, avec 1,6 millions de membres. Ceux-ci sont indépendants de la Fédération Egyptienne des Syndicats, dont les dirigeants étaient désignés par l’ancien régime. Une loi a été présentée en mars pour interdire les grèves mais – en dépit du nombre impressionnant de grèves – elle n’a pas été utilisée jusqu’à juillet, quand cinq ouvriers ont été emprisonnés. Une enquête en juillet a compté 22 sit-ings, 20 manifestations, 10 protestations et 4 rassemblements de protestations. Ce total se situe légèrement en retrait vis-à-vis du mois de juin, le nombre de grèves était plus important. Celles-ci ne visaient pas qu’à obtenir des salaires plus élevés ou de meilleures conditions de travail, elles avaient aussi pour objectif de libérer les syndicats de leur direction de bouffons précédemment à la solde de Moubarak.
Réformes et répression
Durant l’été dernier, les manifestations du vendredi se sont encore développées. Le gouvernement a augmenté sensiblement le salaire minimum (mais seulement à LE700 par mois – pas LE1200 comme exigé par les syndicalistes, et juste pour les travailleurs du secteur public). Il a annoncé des dépenses plus grandes pour l’éducation et les soins de santé. Des privatisations supplémentaires ont été stoppées. Reflétant la vision d’une fraction de la classe dirigeante, un ministre, Ahmed Hassan al-Borai a averti ‘‘Avant la révolution du 25 janvier, l’Egypte s’attendait à une révolution sociale et non politique. Donc maintenant il faut effectuer de réelles réformes, sinon une autre révolution sociale pourrait se produire.’’
La frustration au sein des activistes a augmenté à cause de l’absence de changement politique, conduisant à une réoccupation de la place Tahrir le 8 juillet. Beaucoup de groupes d’activistes, y compris des Islamistes, se sont mis d’accord pour faire une manifestation commune le 29 juillet, exigeant la fin de la loi exceptionnelle de Moubarak, des jugements publiques pour Moubarak et ses acolytes, la poursuite des officiers de police et des soldats accusés d’avoir attaqués les protestataires durant la révolution et plus de pouvoir pour le gouvernement civil.
Cependant, quand il est clairement apparu que les organisations islamistes étaient en train de mobiliser fortement pour cette manifestation, avec beaucoup de formateurs venant de l’extérieur du Caire, la plupart des jeunes et des groupes révolutionnaires l’ont boycotté, retournant à la place par après.
Un million de personnes ont participé à la manifestation dans ce qui est devenu le ‘jour de Kandahar’, reflétant les visions religieuses conservatrices de beaucoup des participants. Il y avait des chants en soutien à Tantawi. Il y avait également une couche croissante de la population devenant lasse des manifestations et des perturbations, qui a aspiré à une certaine stabilité. Assurément, il y a eu des connivences en coulisses entre les chefs du CSFA et des leaders des MB/FM pendant une bonne partie de 2011. Encouragées par ce signe de support, les forces de sécurité ont attaqué les occupants quelques jours plus tard et ont nettoyé la place.
Le procès de Moubarak commence
Au même moment, le 3 août, le procès de Hosni Moubarak, de ses deux fils, de l’ex-ministre de l’intérieur et de certains proches a commencé. Les charges incluaient l’ordre de tirer, qui avait conduit à la mort de 840 manifestants, et la corruption. Le voir derrière des barreaux dans l’auditoire du tribunal a eu un effet électrifiant dans toute la région. Le procès a juste recommencé après un ajournement de trois mois. Cependant, le procès ne donne pas une réelle occasion d’examiner le parcours de son régime, y compris les liens de corruption avec de grandes entreprises, soutenues par des régimes impérialistes et la torture et l’emprisonnement des opposants. Un type différent de procès est nécessaire, devant un tribunal démocratiquement élu et responsable, des travailleurs et des pauvres.
Les avocats de l’accusation ont réclamé la peine de mort. Il semble peu probable que le CSFA permette que leur ancien commandant soit exécuté, en raison du précédent que cela créerait si ils se trouvent eux-mêmes dans le boxe à l’avenir. (Les Frères Musulmans offrent maintenant au CSFA un accord dans lequel ils seraient exempts de futures poursuites s’ils cèdent le pouvoir à un gouvernement mené par les Frères Musulmans). Mais si l’élite en place estime que la seule manière de sauver leur régime, ou le système capitaliste, est de sacrifier quelques-uns des leurs, elle le fera certainement.
Le 19 août, la Force de Défense Israélienne a tué cinq gardes-frontière égyptiens dans une attaque ratée. Le 6 septembre, les forces de sécurité ont attaqués les fans du club de football Ahly après un match. Plus de 130 personnes ont été blessées et beaucoup ont été arrêtées. Un grand nombre de fans de trois des plus grands clubs de football du Caire se sont unis dans une manifestation contre la police trois jours plus tard. Un large groupe s’est détaché pour attaquer l’ambassade israélienne. Les forces de sécurité ont laissé cela avoir lieu sans intervention jusqu’à ce que les bureaux aient été pris d’assaut et mis à feu. Le 16 septembre, le CSFA a annoncé que l’état d’urgence de Moubarak serait réintroduit, permettant l’arrestation et l’emprisonnement des opposants. Et, comme souvent dans la région, la question Israelo-Plaestinienne est utilisée pour détourner l’attention des attaques du gouvernement sur sa propre classe ouvrière.
Plus tard en septembre les grèves se sont accentuées, passant au niveau industriel, y compris les ouvriers postaux, une grève nationale des professeurs durant une semaine et 62.000 ouvriers des transports publics du Caire pendant 17 jours. ‘‘Ils disent que le pays et le ministère n’ont pas d’argent, mais nous savons tous combien d’argent ils ont et ce qu’ils en font’’ disait un professeur de maths. (Ahram 20.9.11)
En octobre, 12.000 policiers ont fait grève pour une augmentation de salaire et pour balayer des éléments de l’ancien régime parmi les officiers. Ceci illustre l’effet potentiel qu’aurait sur les rangs inférieurs des soldats et de la police appel de classe clair, issu d’un mouvement ouvrier de masse, mobilisé pour balayer complètement le régime protégeant les intérêts des grandes entreprises.
Sectarisme
Une église a été attaquée à Aswan, déclenchant une marche de protestation au centre de la TV d’état de Maspero au Caire le 9 octobre. Avec un contraste marqué par rapport à la manifestation de l’ambassade israélienne, la foule, pour la plupart chrétienne, a été violemment attaquée par les forces de sécurité. Autour de 27 personnes ont été tuées, plusieurs écrasées par les blindés délibérément conduits dans la foule. Malgré tout, la TV contrôlée par l’état a appelé la population a prendre la rue pour aider à protéger les forces armées ! Après cette attaque, un blogger bien connu, Alaa Abd El-Fattah, a été arrêté et accusé d’incitation à la violence envers les forces de sécurité et de sabotage. Il a été par la suite libéré après dix semaines, ayant refusé l’interrogatoire par des militaires, mais fait toujours face aux accusations. Les procès militaires de civils et la torture continuent toujours, comme sous Moubarak, avec des milliers de personnes emprisonnées.
Le CSFA a annoncé qu’ils garderaient la main sur le budget des forces armées, plutôt que le nouveau parlement une fois élu. Ils se sont également réservés le droit de nommer un comité constitutionnel pour rédiger une nouvelle constitution. Ces changements ont déclenché une manifestation massive à la place Tahrir le 18 novembre, à laquelle les Frères Musulmans et les Salafistes ont participé – le premier vrai défi que leurs dirigeants aient fait au CSFA. Depuis lors, les déclarations des leaders des Frères Musulmans sont devenues plus critiques envers le CSFA, bien que n’appelant pas à une fin immédiate du régime militaire. C’est un signe de futures tensions, en dépit de la coopération entre les leaders islamistes et le Conseil Suprême des Forces Armées durant 2011.
Les islamistes ont quitté la place à la fin de l’après-midi du 18. Les activistes l’ont réoccupée exigeant une fin au règne militaire. Ils ont subi des attaques sanglantes les cinq jours suivants par l’armée et les forces de sécurité, laissant 70 tués, certains ayant suffoqués de gaz lacrymogènes exceptionnellement fort. Des centaines furent blessés. Montrant la force potentielle d’action des ouvriers, cinq agents douaniers ont bloqué l’importation de sept tonnes de gaz lacrymogènes provenant des Etats-Unis.
Le Premier ministre Essam Sharaf démissionnaire a été remplacé par Ganzouri, premier ministre entre 1996-99. Un sit-in en dehors du Bureau du Cabinet s’est développé contre ce représentant du vieux régime.
D’autres attaques brutales de militaires et des forces de sécurité sur ces manifestants ont encore fait au moins 17 morts le 16 décembre. Parmi les scènes les plus choquantes, celle d’une manifestante traînée sur le sol et recevant à plusieurs reprises des coups de pied par le personnel de sécurité. Une marche de 10.000 femmes en colères a eu lieu quelques jours plus tard – la plus grande manifestation de femmes dans l’histoire de l’Egypte. Il y a un long registre de manifestantes harcelées par les forces de sécurité. Il est de notoriété publique qu’en février et mars passé, certaines manifestantes ont été soumises à des ‘tests de virginité’ après leur arrestation.
L’Institut d’Egypte a proximité, logeant des milliers de livres historiques, a été incendiés. Cet incendie a une origine incertaine mais cela a été utilisé pour décrire les manifestants comme des vandales souhaitant détruire l’héritage de l’Egypte. Un professeur l’Université Américaine du Caire – de l’autre côté de la route – a quant à lui écrit qu’il ne savait même pas que ces livres existaient et qu’il avait peine à croire que n’importe qui ait eu accès à eux. Il semble que peu de mesures anti-incendie aient été installées et les sapeurs-pompiers ont été maintenus à distance au commencement de l’incendie.
Mais en réponse, le Major Général pensionné Abdel-Moniem Kato, qui conseille les forces armées sur l’éthique et la morale, a dit que les ‘‘protestataires devraient être brûlés dans les fours d’Hitler’’ – cette référence étant destinée à dire, de façon à peine voilée, que les manifestants servent l’agenda israélien. Le CSFA tente d’accuser tous les militants – et implicitement, la révolution elle-même – de servir des intérêts étrangers. Les incursions policières dans les locaux de 17 ONG des droits de l’homme fin décembre ont renforcé ce message, certaines étant financées par les gouvernements allemand et américains ou par des partis politiques américains (naturellement, les forces armées égyptiennes reçoivent aussi 1,3 milliards de dollars par an du gouvernement américain, mais cela ne pose pas de problèmes !)
Comme dans toutes les périodes révolutionnaires, de grandes peurs soufflent sur la société. Beaucoup de personnes craignent de plus en plus le pouvoir croissant du Conseil Suprême des Forces Armées et la restauration des restes du vieux régime. Le CSFA vise à détourner l’attention en blâmant des étrangers d’incitation à la violence et d’instabilité. L’histoire du Moyen-Orient, faite d’occupation coloniale et d’exploitation impérialiste, est un terrain fertile pour que de telles accusations.
Boycott des élections
Ces attaques du régime – le fouet de la contre-révolution – ont servi à radicaliser encore plus les militants. Cependant, l’écart entre eux et les masses moins actives s’élargit, comme vu pendant les élections ayant eu lieu depuis fin novembre. Après les attaques place Tahrir, la plupart des activistes ont privilégié un boycott des élections. Ils ont correctement argumenté que la procédure électorale était sous le contrôle des militaires et que le nouveau parlement n’a pas eu de réels pouvoirs. Certains ont indiqué que si l’Alliance Socialiste Populaire avait annoncé qu’elle boycottait les élections, au lieu de juste suspendre leur campagne, ils auraient immédiatement gagné 15.000 nouveaux membres.
Mais bien que ceci ait pu se produire, une tâche vitale est de diriger les activistes vers le grand nombre, qui a vu cela comme leur première occasion de participer à des élections relativement libres. Beaucoup d’ouvriers et de pauvres moins actifs ont eu l’intention de voter aux élections. Beaucoup se sont également abstenus, certains repoussés par le procédé délibérément confus. Le taux de participation au premier tour, couvrant un tiers du pays y compris le Caire, était de 52%, bien qu’il ait diminué lors des tours suivants. Il y avait une menace d’une amende de LE500 pour les non-votants.
Beaucoup d’ouvriers et de jeunes plus avancés politiquement, en particulier dans les villes, étaient fortement sceptiques, sinon cyniques, au sujet d’ ‘élections’ appelées sous le contrôle et la gestion des militaires. Ceci a également contribué à avoir un taux d’abstention élevé. Mais même si les militants n’avaient pas l’intention de participer au vote, construire le soutien pour une alternative nécessite d’intervenir dans les meetings électoraux et de tester les candidats devant leur audience. De tels débats aident également les militants à mieux comprendre comment gagner le soutien parmi les masses. Les partis islamistes n’ont pas participé aux protestations de fin novembre et de décembre, se concentrant sur leur campagne électorale.
Résultats des élections
De nombreux incidents d’irrégularités de scrutin et de trucages ont été rapportés (augmentant dans les tours suivants, particulièrement dans les zones rurales), mais en général les élections n’étaient pas les choses les mieux organisées sous Moubarak. En novembre 2010, son Parti Démocratique National (NDP) avait gagné 97% des sièges – quelques semaines avant que le soulèvement de masse l’ait mis dehors !
La procédure électorale était très compliquée, avec des listes de partis, des listes individuelles (certaines avec plus de 200 noms sur le bulletin de vote), des sièges réservés pour des ‘ouvriers’ et des ‘fermiers’. Au moins dix candidats ont été empêchés de se présenter, ayant été nommés pour des sièges d’ouvriers par de nouveaux syndicats indépendants et non par la Fédération Egyptienne des Syndicats, menée par des défenseurs de Moubarak. L’infraction de la loi électorale la plus ordinaire furent ces 20-30 membres de partis islamistes qui ont fait campagne juste à l’extérieur des bureaux de vote. Les partis sans adhésion massive de membres n’ont pas pu faire cela, même s’ils avaient voulu. Il n’y a aucun doute que quelques électeurs ont été influencés au dernier moment et ont voté pour les islamistes, mais c’est insuffisant pour expliquer les résultats.
Avec les résultats connus jusqu’ici pour 427 sièges, les Frères Musulmans en ont obtenu 193 pour leur Parti de la Liberté et de la Justice (FJP) (45% des sièges). Les Salafistes en ont 78 pour Al-Nour (‘Lumière’) (25% des sièges).. Les deux plus grands blocs libéraux en ont 68 entre eux. Le sixième plus grand groupe, avec dix sièges, est La Révolution Continue, le bloc de gauche, dont l’Alliance Socialiste Populaire est la plus grande composante. Ses votes varient entre 1 et 19%. Dans les zones rurales, quelques anciens membres du NDP ont été élus avec de nouvelles étiquettes de partis.
Ces résultats ne reflètent pas le véritable rapport de forces observé dans les mouvements révolutionnaires de masse et dans les grèves d’été et automne derniers. Un sondage d’opinion d’août 2011 a montré que 69% de la population ne faisait confiance à aucun parti politique. Sans parti ouvrier de masse à ce stade, la classe ouvrière n’a pas pu s’exprimer dans cette élection en tant que classe. Les syndicats véritablement indépendants doivent développer une voix politique et pourraient jouer un rôle principal en aidant à établir un tel parti, avec les socialistes et d’autres activistes révolutionnaires.
Le succès des Islamistes
Le Parti de la Liberté et de la Justice des Frères Musulmans s’inspire du parti du premier ministre turque Erdogan du même nom (AKP), essayant de présenter une image modérée et moderne. Ils avaient 46 candidats féminins sur leurs listes et étaient dans une alliance avec quelques petits partis, dont deux candidats Coptes. Le long parcours d’opposition des Frères Musulmans à Moubarak, leurs programmes d’assistance sociale et de charité, et leur image relativement épargnée par la corruption aident à expliquer leurs résultats. Cependant, leur programme vise à charmer le monde du business, avec la réduction du déficit budgétaire et des coupes dans les subventions. Plusieurs de leurs dirigeants proviennent d’un parcours lié au milieu des affaires, tel que le ‘guide suprême’ Khairat El-Shater, un riche homme d’affaire. Ils décevront inévitablement ceux qui ont voté pour eux avec de grands espoirs d’amélioration de leurs conditions de vie.
Les Islamistes plus orthodoxes, les Salafistes, ont gagnés plus ou moins 27% des voix. Leur soutien était le plus haut dans les secteurs les plus pauvres, négligés par les autres partis. Un plombier de 26 ans a dit au Financial Times (Londres) »Nour va nettoyer le pays, se débarrasser de toute la corruption et récupérer tout l’argent qui est parti, qui est allé aux personnes riches tandis que nous n’obtenions rien. Les Frères Musulmans sont OK. Mais ils sont vieux, et ils ont déjà essayé pendant des années et n’ont fait rien pour nous. » (9.12.11)
Mohammad Nourallah, un porte-parole de Nour a dit, »Le vieux régime n’était constitué que de criminels. Et ils se sont entourés d’une classe qui a obtenu beaucoup d’avantages… Nos supporters sont les gens que vous voyez dans la rue, pas les gens qui vivent dans les quartiers que vous n’avez jamais vus ou dont vous n’avez jamais entendu parler. » (Financial Times 29.12.11)
Les Frères Musulmans cherchent la coalition plutôt qu’à gouverner seul. »Ce sera un parlement de compromis à coup sûr parce que nous ne nous joindrons pas au parti Al-Nour et que nous sommes pleins d’espoir pour établir de bons rapports, » a dit Essam al-Erian, chef adjoint du FJP. Ses associés préférés seraient de petits partis libéraux, donnant au régime une certaine prétention à être lié aux événements révolutionnaires, évènements desquels les leaders des Frères Musulmans se sont tenus à l’écart jusqu’à ce qu’il se soit avéré que les jours de Moubarak étaient comptés. De tels partenaires rendraient également un gouvernement des FM plus acceptable pour les gouvernements capitalistes du monde entier (et pour le FMI), à qui il cherchera l’appui économique. Les Salafistes seront le plus grand parti d’opposition.
Autant les Frères Musulmans que les Salafistes ont en leur sein différentes tendances et orientations. Les sections de la jeunesse des Frères Musulmans avaient déjà créé une scission en désaccord avec la politique des leaders de se tenir hors de la confrontation directe avec Moubarak ou le CSFA. Maintenant que les élections pour l’assemblée inférieure sont finies, la demande de la fin immédiate du règne du CSFA pourrait recevoir un appui massif, bien que les dirigeants des Frères Musulmans soient plus enclins à continuer à chercher le compromis avec eux.
Décalage croissant entre les activistes et les masses
Beaucoup de gens des masses pauvres perçoivent les activistes libéraux de la classe moyenne comme provenant des »quartiers que vous n’avez jamais vu ». La concentration des libéraux presque exclusivement sur des demandes démocratiques et sur le sécularisme a trouvé peu d’écho parmi ceux qui luttent quotidiennement pour nourrir leurs familles.
Dans un sondage d’opinion fin avril 2011, 65% disait ne pas savoir pour quel parti ils voteraient si une élection devait avoir lieu la semaine suivante. Seulement 2% précisaient qu’ils voteraient pour les Frères Musulmans. Bien que ce résultat doive être regardé avec prudence, il est clair que le fossé entre les visions des activistes de Tahrir et les masses des zones pauvres du Caire et d’ailleurs s’est agrandit depuis lors. Organiser les protestations du vendredi sur le thème de »Constitution d’abord », par exemple, n’a pas attiré la majorité de ceux qui ont participé aux mouvements révolutionnaires de janvier et de février 2011. Les deux tiers de ceux qui l’ont fait ont indiqué au même sondage d’opinion que les raisons principales pour lesquelles ils y avaient pris part étaient les bas standards de vie et le manque de travail.
Cet isolement croissant des activistes a encouragé l’Etat et les Frères Musulmans à lancer des attaques ces récentes semaines contre les ONG et les Socialistes Révolutionnaires, la section égyptienne de la Tendance Socialiste Internationale. Fin décembre, un principal avocat des Frères Musulmans s’est plaint aux services de sécurité de l’Etat disant que les SR projetaient de renverser l’Etat par des moyens violents. Trois membres principaux des SR ont été arrêtés et les forces de sécurité en ont interrogé un autre.
C’est une menace sérieuse envers la gauche en général – pas simplement les SR – incluant la plupart des syndicalistes militants et des étudiants activistes. Le SR a travaillé avec les Frères Musulmans il y a quelques années. Maintenant, ils se plaignent que les Frères soient utilisés comme un « outil de l’Etat » et les appellent à se souvenir qu’ils ont été opprimés par cette même machine d’état.
Il est essentiel que le mouvement socialiste amoindrisse le soutien pour les Frères comme pour les Salafistes. Ceci ne peut pas être fait en faisant appel à la hiérarchie de ces organisations, ou en tombant dans le piège de débattre Islamisme et sécularisme (considéré comme de l’athéisme pour beaucoup de musulmans pratiquants).
Au lieu de cela, un programme visant les pauvres et les travailleurs de la classe ouvrière qui supportent les Islamistes, exigeant des jobs, des salaires décents, des logements, une bonne éducation et des soins de santés gratuits est nécessaire. Un mouvement ouvrier de masse est nécessaire, il pourrait combattre pour ce programme et unir Musulmans et Coptes, hommes et femmes, jeune et vieux. Les partis islamistes rompraient le long des lignes de classe s’ils étaient construits avec une direction révolutionnaire expliquant la nécessité de balayer le système capitaliste responsable de la pauvreté et de l’oppression.
Nécessité d’une révolution socialiste
La nécessité d’une deuxième révolution devient plus clair pour beaucoup de ceux qui ont participé au soulèvement du 25 janvier 2011, et aux nombreuses manifestations et batailles depuis lors. Mais quelle sorte de révolution est nécessaire, et comment cela peut-il être atteint ? La première révolution a seulement ‘changé les rideaux’ – les représentants politiques de la classe régnante, qui a gardé sa richesse et puissance.
Une deuxième révolution est nécessaire pour faire devenir propriété publique sous contrôle démocratique des travailleurs toutes les grandes compagnies, banques et grands domaines. L’économie pourrait alors être planifiée pour l’avantage de la majorité au lieu de l’élite minuscule qui est devenue plus riche sous Moubarak et continue à maintenir sa richesse sous le CSFA.
La puissance de la classe ouvrière dans la vague de grèves en février 2011 a mis fin au combat de Moubarak pour s’accrocher au pouvoir. Une partie de cette puissance a été vue dans l’année depuis lors, bien qu’aucun parti ouvrier n’ait encore pu réunir les activistes des syndicats, les socialistes et les masses. Un programme qui rencontre les besoins des masses sur les questions pressantes de travail, des bas salaires, du manque de logements accessibles de bonne qualité, des soins de santé gratuits et de l’éducation pourrait rapidement recevoir l’appui. Une économie planifiée socialiste et démocratique emploierait la richesse produite par la majorité au profit de tous, au lieu d’être volée par les capitalistes et leurs défenseurs militaires et politiques.
Une société véritablement socialiste démocratique n’aurait rien en commun avec le régime autoritaire bureaucratique qui a produit Moubarak. Les comités populaires de voisinage qui ont commencé à se développer après le 25 janvier, ainsi que les comités démocratiques sur les lieux de travail, pourraient se redévelopper et s’étendre sur la base de nouvelles recrudescences révolutionnaires et servir de base pour une véritable démocratie, les liant ensemble au niveau local, régional et national. Une assemblée constituante démocratiquement élue pourrait élaborer une constitution qui défendrait les droits de tous, y compris des minorités religieuses et nationales.
Au cours du combat pour un tel programme socialiste, la balance des forces dans la société changerait. Tous les défenseurs de l’ordre existant seraient de plus en plus poussés ensemble vers l’opposition au mouvement grandissant des masses, mené par la classe ouvrière. Un tel mouvement surmonterait les divisions sectaires et résulterait en une assemblée complètement différente que celle qui vient juste d’être élue. Un gouvernement de majorité, d’ouvriers et pauvres, agirait dans l’intérêt de la majorité dans la société.
En même temps, la crise économique globale grandissante mine le soutien au capitalisme autour du monde. Si la classe ouvrière développe une direction socialiste révolutionnaire décisive, luttant sérieusement pour prendre le pouvoir en Egypte, elle enflammerait d’autres mouvements révolutionnaires, posant les bases pour un Moyen-Orient, une Afrique du Nord et un monde socialiste.