Depuis le mois de mai, des travailleurs du secteur pétrolier sont en grève au Kazakhstan. Ils réclament de meilleurs salaires et conditions de vie et luttent contre le régime dictatorial de Nazarbayev. Au pouvoir depuis 22 ans, le président-dictateur et sa clique appliquent une politique néolibérale très dure accompagnée d’une politique brutale sur le plan des droits sociaux et humains. Ce cocktail a conduit les travailleurs kazakhs ainsi que leur entourage à exprimer leur colère à plusieurs reprises contre le régime. Mais le mouvement actuel, qui pose également la question du pouvoir et du contrôle des richesses, fait face à la répression extrêmement brutale de Nazarbayev, le ‘meilleur élève’ de Thatcher, selon les termes de la Dame de fer elle-même.
Nous avons rencontré Ainur Kurmanov, militant du parti-frère du PSL au Kazakhstan, ‘‘Socialist Resistance’’, qui fait partie d’une organisation large, le ‘‘Socialist Movement Kazakhstan’’.
Par Stéphane Delcros
Les dirigeants du syndicat indépendant Zhanartu, Esenbek Ukteshbaev et Ainur Kurmanov (dont vous pouvez lire l’interview ci-dessous) ont de bonnes raisons de craindre une arrestation ou un enlèvement dans les jours à venir. Nous devons faire le maximum pour l’éviter. Nous prenons déjà des mesures concrètes en Russie, mais une campagne internationale de soutien aux travailleurs en lutte doit s’organiser. Soutenez la lutte contre la dictature kazakhe !
Ainur Kurmanov : ‘‘Je voudrais d’abord remercier tous les camarades du Comité pour une Internationale Ouvrière pour les campagnes de solidarité avec les grévistes du pétrole au Kazakhstan qu’ils ont menées partout dans le monde.’’
Socialisme.be: D’où provient le mouvement de grève débuté en mai 2011 ?
AK : ‘‘Ce mouvement a ses origines en 2008. Quatre grèves assez grandes avaient eu lieu à cette époque et les travailleurs du secteur pétrolier ont commencé à construire leur propre syndicat indépendant. Une nouvelle couche de travailleurs activistes avait donc gagné en expérience au cours de ces grèves.
‘‘La grève a commencé à Aktaou, la capitale régionale, à l’Ouest du Kazakhstan, au bord de la Mer Caspienne. Le conflit opposait le syndicat indépendant et les patrons. Les travailleurs voulaient que la firme se plie à une règle pourtant précédemment instaurée qui dit : ‘‘vous travaillez dans des conditions plus dures, donc vous devez être payés plus.’’ Ces conditions étaient d’ailleurs inscrites dans un accord national.
‘‘Cette firme appartient à hauteur de 50% à une multinationale chinoise, et les propriétaires chinois ne voulaient pas signer ces accords. Ils ont donc rompu l’accord national. Un bureau d’arbitrage a été installé pour forcer les 2 parties à s’entendre mais, subitement, un des leaders syndicaux présent à ce bureau a complètement rompu avec les revendications des travailleurs. Il était très clair que le patron l’avait soudoyé. Un autre représentant syndical a donc été élu, ce que le patron a refusé de reconnaître. Il a refusé aux travailleurs le droit de réélire leur représentant syndical et a carrément retiré au comité syndical l’ensemble de ses droits. Les dirigeants syndicaux régionaux ont ensuite décidé de ne pas poursuivre le patron et ont dans les faits choisi le camp patronal.
‘‘A ce moment-là, les syndicats ont commencé à organiser des actions de protestation, des manifestations et des meetings. Les travailleurs ont même entamé une grève de la faim afin de pouvoir recevoir leur paie. Le patron a finalement promis de reconnaître le syndicat indépendant, mais a refusé de livré les documents nécessaires à cette reconnaissance. Une véritable grève a donc été déclenchée. Fin mai, celle-ci a commencé à se répandre à d’autres entreprises de la région. A un certain moment, 18.000 travailleurs étaient en grève. Le mouvement a été fortement soutenu par la population locale. Sans cela, il aurait été impossible de tenir autant de mois depuis mai dernier.
‘‘De nombreuses arrestations ont eu lieu, dont celle de Natalia Sokolova, l’avocate des grévistes. Elle a été accusée d’avoir incité au conflit social et d’avoir organisé un meeting syndical illégal. En fait, c’est le patron chinois qui a directement demandé son arrestation. Elle a été condamnée à 6 ans de prison.’’
Socialisme.be: Et la répression s’est intensifiée, surtout à la mi-décembre.
AK : ‘‘Oui. Il est devenu très vite clair que les autorités étaient décidées à mener le combat jusqu’au bout. Des dirigeants des grévistes ont été arrêtés, des maisons ont été incendiées, des grévistes ou des proches ont été abattus, etc.
‘‘Ce qu’on a vu à Zhanaozen en décembre comportait des éléments d’une situation révolutionnaire. La répression brutale qu’on a vécu à ce moment là à l’ouest du pays a, selon nos informations, engendré la mort de pas moins de 150 personnes (17 aux dires du gouvernement). Ce jour-là, le 16 décembre, des centaines de grévistes et de citoyens pacifiques ont été victimes des tirs d’armes automatiques des soldats et des policiers suite à une provocation policière.
‘‘On peut comparer cet événement au dimanche noir de 1905 en Russie, un massacre qui avait représenté une nouvelle phase dans la lutte plutôt qu’un échec.’’
Socialisme.be : Peux-tu expliquer comment le mouvement s’est développé pour que le gouvernement en arrive à ce niveau de répression ?’’
AK : ‘‘Le conflit qui opposait, au départ, les travailleurs du pétrole et le groupe pétrolier s’est ensuite étendu pour devenir un conflit général portant sur le contrôle des richesses du pays.
‘‘Depuis longtemps, les travailleurs du pétrole veulent renationaliser l’ensemble du secteur. Nationaliser toute l’industrie pétrolière est devenu une revendication idéologique répétée depuis 2008, et pas seulement dans l’Ouest du Kazakhstan.
‘‘C’est difficile à expliquer, mais beaucoup de travailleurs se souviennent de la situation qui existait avant la privatisation. L’idée de la nationalisation est quelque chose de populaire et même l’opposition bourgeoise soutient de nationaliser les matières premières. Ceux qui sont précisément responsables de ces privatisations réclament aujourd’hui de nationaliser…
‘‘Certaines personnalités bourgeoises ont essayé de récupérer le mouvement et se sont opposées à nos efforts. Nous sommes intervenus dans le sens de l’unification de l’opposition au régime. Un comité de lutte nationalement unifié a vu le jour et, en novembre et décembre, les travailleurs qui y étaient investis ont toujours appuyé nos revendications. Parmi elles, trois étaient particulièrement importantes : 1) le boycott des élections présidentielles, 2) la nécessité d’un syndicat indépendant unifié, 3) la nécessité de créer un parti des travailleurs afin de représenter leurs intérêts.
‘‘Décision a ensuite été prise de construire une grève générale nationale, pour tout le pays. Lors de la journée de protestations du 16 décembre, à l’occasion du 20e anniversaire de l’indépendance du pays, les travailleurs du pétrole ont mis en avant la nécessité d’étendre la grève à tout le pays et de faire dégager le gouvernement. Des éléments d’insurrection étaient présents. Pour le régime, la répression devait nécessairement devenir encore plus brutale.
‘‘De fait, elle fut extrêmement forte. Mais les travailleurs, faisant preuve d’un grand héroïsme, sont ressortis dans les rues le lendemain. De nombreuses exploitations pétrolières ont été mises à l’arrêt afin de protester contre la répression du régime.
‘‘L’ensemble de l’appareil bureaucratique du régime était désorienté. Les autorités ne savaient pas comment stopper le processus. La répression était à leurs yeux nécessaire pour tenter d’empêcher d’autres travailleurs de rejoindre les grévistes.
‘‘Ces meurtres n’ont toutefois pas empêché la poursuite de la grève. Des éléments de guérillas ont également suivi dans cette ville. Tous ces évènements ont été très marquants, pour toute la région.’’
Socialisme.be : Certaines forces de gauche ont adopté une attitude de soutien au régime
AK : ‘‘Les diverses organisations de gauche ont nécessairement dû se positionner face à ces évènements. Le Parti Communiste ukrainien, par exemple, a non seulement condamné la grève des travailleurs du secteur pétrolier, mais aussi publiquement appuyé la répression du régime.
‘‘Certaines directions syndicales nationales ont-elles aussi publiquement condamné la grève. A Genève, les dirigeants syndicaux de l’Union Internationale des travailleurs de l’alimentation ont boycotté la grève, en affirmant que les travailleurs avaient commis une erreur en sortant du pur cadre de la lutte syndicale au cours du conflit.’’
Socialisme.be : Nazarbayev bénéficie de nombreux soutiens sur la scène internationale
AK : ‘‘Le régime chinois a rapidement offert ses services pour mater la révolte et le président biélorusse a été approché pour collaborer avec les autorités kazakhes. Au delà des accords économiques renforcés signés entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, il y a aussi des accords sécuritaires entre ces États, avec notamment la création d’une troupe de gendarmes internationaux.
‘‘Nazarbayev est ouvertement soutenu par la plupart des chefs d’Etats du monde. Ainsi, après les élections présidentielles d’avril dernier, la première personne à l’avoir félicité a été Hillary Clinton.’’
Socialisme.be : Comment le régime a-t-il préparé les élections du 15 janvier dernier ?
AK : ‘‘En réaction à ces mouvements, le régime a essayé de renforcer son image de libéral-démocrate. Il a notamment mis fin au régime de parti unique. Mais, en même temps, le Parti Communiste a par exemple été interdit d’activités. Un seul parti d’opposition a été autorisé, et sa liste a été purgée afin d’y retirer les candidats qui ne convenaient pas au régime. Trois partis sont donc maintenant présents au parlement : le parti présidentiel, un parti de droite représentant les industries, et le Parti communiste du Peuple, un parti qui, même s’il se qualifie de "communiste" est complètement à la botte du régime.
‘‘Ces élections ont été marquées par une abstention gigantesque, confirmée par les statistiques officielles du régime lui-même.’’
Socialisme.be : Quelles sont les perspectives pour la lutte et quelles sont les tâches des militants socialistes authentiques dans cette situation ?
AK : ‘‘Il y a une réelle possibilité que nous allions droit vers une insurrection. Des actions de grève sont encore menées par les mineurs et des travailleurs d’autres secteurs.
‘‘Les travailleurs essaient d’aller à l’encontre de la propagande du régime. A Aktaou, par exemple, ils sortent tous les jours dans la rue pour protester. Ils avaient même publié un communiqué affirmant : "nous ne sommes pas des émeutiers ou des vandales, nous sommes dans un conflit de classe ouvert et Lénine serait fier de nous !"
‘‘Pour le ‘Socialist Movement Kazakhstan’, la tâche principale est de poursuivre la mise sur pied d’un parti ouvrier de masse. J’ai notamment eu une discussion avec les dirigeants syndicaux d’une des villes où la grève des travailleurs du pétrole fait rage. Ils voulaient discuter de quelles initiatives communes nous pouvions prendre pour mettre sur pied un tel parti large des travailleurs. Tous ces événements ont clairement aiguisé la conscience politique de nombreux travailleurs.
Dans une situation révolutionnaire comme celle-ci, nous devons absolument renforcer notre parti révolutionnaire, et contribuer du mieux que nous pouvons au développement de la lutte au Kazakhstan.