Notre camarade Niall Mulholland s’est entretenu avec Payiatsos Andros, qui est membre de Xekinima, la section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), et qui a activement participé aux énormes manifestations de ce week-end à Athènes, lorsque les travailleurs ont fourni une réponse massive aux nouvelles coupes budgétaire et à l’austérité.
Par Niall Mulholland
Dimanche dernier, le Parlement grec a voté l’application de nouvelles mesures d’austérité qui sont exigées par l’UE et le FMI en échange d’un immense plan de sauvetage, pour empêcher la Grèce de se trouver en défaut de paiement de ses dettes massives. Ces mesures d’austérité sauvages ont été réclamées par l’Union Européenne comme une condition préalable à la libération des fonds. Mais ces mesures ont provoqué une vive réaction de la part des travailleurs grecs, avec une grève de 24 heures le mardi 7 février et une autre grève générale de 48 heures le vendredi 10 et le samedi 11 février. Cela n’a pas de précédent dans l’histoire du pays après la seconde guerre mondiale. Des protestations énormes ont eu lieu dans toute la Grèce.
Quelle est la taille des manifestations du 11 et 12 février contre les récentes coupures d’austérité?
La manifestation du dimanche 12 février, dans le centre d’Athènes, a été énorme malgré toutes les tentatives des médias grecs et étrangers pour la minimiser. Elle a été appelée par les syndicats et soutenue par tous les principaux partis de gauche.
Jusqu’à un demi-million de personnes ont défilé et se sont ralliés à la place Syntagma, devant le bâtiment du parlement national. Salonique, d’autres villes grecques et des îles comme Corfou ou la Crète ont également vu d’énormes manifestations. Les médias grecs ont sous-estimé l’ampleur de la protestation, mais le flot continu de personnes qui sortaient des stations de métro pour rejoindre le centre d’Athènes s’est transformé en un raz de marée de manifestants. Il semble que pratiquement tout le monde était là pour s’opposer aux dernières coupes draconiennes, aux diktats de la Troïka et au vote du gouvernement grec qui veut des coupes sauvages. Même les rames de métro de la riche banlieue nord d’Athènes étaient pleins.
La grève générale de 48 heures de la semaine dernière a-t-elle été effective?
Les rassemblements de dimanche ont été précédés par les deux grèves générales mentionnées précédemment qui sont parvenues à faire cesser l’activité de toutes les industries, les services publics et les transports. L’ensemble de la société a été une fois de plus paralysée par un affichage énorme de l’action collective des travailleurs contre les mesures d’austérité. Les manifestations sur ces deux jours ont été relativement faibles. La plupart des gens qui travaillent ont vu le dimanche comme un jour crucial pour protester, car c’était le jour où le parlement votait les coupes budgétaires (et les transports fonctionnaient). Ainsi, le dimanche a vu des gens qui travaillent de retour en force dans les rues, en très grand nombre.
Les médias, internationaux principalement, ont fait état d’émeutes et d’ affrontements entre les manifestants et la police anti-émeute. Quel était le vrai caractère des manifestations dans la rue, dimanche dernier?
Il y avait quelques très grands contingents syndicaux participant à la manifestation de masse le 12 février à Athènes. Un syndicat lié au KKE (parti communiste grec) avait un contingent de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Je dirais près de 100.000 personnes. Mais la grande majorité des gens sont venus protester sans se rallier à une bannière. Beaucoup sont venus avec leurs amis et familles pour montrer qu’ils étaient opposés aux coupes. Les manifestants étaient très en colère. Les gens criaient «voleurs» , «menteurs» et «traîtres» devant l’édifice du Parlement, pendant les délibérations des députés sur les nouvelles coupes qui vont encore appauvrir une plus grande partie de la population.
Toutefois, les affrontements entre la police anti-émeute et des émeutiers (des groupes anarchistes y ont joué un rôle mais il y eu de la provocation) ont débuté à environ 17h30. Les policiers ont agi brutalement, sans discernement et ont attaqué tous les manifestants en utilisant des gaz lacrymogènes. C’est leur tactique habituelle.
Les anarchistes étaient rassemblés autour de quelques jeunes, dont beaucoup étaient naturellement furieux contre la situation et les conditions dont ils sont victimes. Malheureusement, certains de ces jeunes ont été entraînés dans des actes imprudents et contre-productif, y compris des pillages, par la situation désespérée à laquelle ils sont confrontés. Certains rapports indiquent que près de 93 bâtiments ont été détruits ou endommagés. Sans doute, des agents provocateurs étaient parmi les anarchistes, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises auparavant en Grèce. Même des ambulanciers et des pompiers ont été attaqués alors qu’ils tentaient de faire face aux urgences et aux incendies.
Malgré tout cela, de nombreux manifestants sont restés sur la place à plus de dizaines de milliers.
Que signifie concrètement ce nouveau paquet de compressions budgétaires pour les travailleurs et les pauvres?
Ce plan nouveau d’austérité est une agression sur les plus pauvres dans la société. Le salaire minimum sera réduit de 22% ce qui vaudra seulement € 480 net par mois. Pour les moins de 25 ans, il s’agit d’une coupe de 32%, ce qui signifie vivre avec 430 euros par mois. Mais les plus touchés sont les jeunes apprentis (près de tous les jeunes employés sont maintenant des apprentis). Ils verront leur salaire mensuel passer à seulement 350 euros.
En plus de cela, il y a des mesures consistant notamment à faire immédiatement de 15.000 travailleurs du secteur public des chômeurs, avec l’objectif à long terme de la suppression des emplois de150.000 fonctionnaires. La législation du travail sera «libéralisée»pour rendre plus facile pour les patrons le licenciements des travailleurs.
Tout cela vient après des années de mesures d’austérité qui ont laissé un Grec sur trois vivre dans la pauvreté, on a vu une hausse des sans-abri, de la criminalité, l’alcool et de la drogue et des familles dévastées. La Grèce entre dans sa cinquième année de récession / crise. Les soupes populaires à Athènes doivent maintenant répondre à plusieurs milliers de demandes , où on voit aussi bien de professionnels formés que des immigrants. 30000 sans-abri vivent désormais dans les rues d’Athènes, un phénomène de proportions négligeables jusqu’à tout récemment. L’Eglise orthodoxe déclare nourrir près de 250.000 personnes par jour.
La coalition gouvernementale grecque peut-elle effectuer ces coupures?
Le gouvernement appelé «grande coalition», dirigé par un technocrate non-élu, imposé par l’union européenne, est en réalité très faible. Il y a une semaine, les trois partis de la coalition, le PASOK (social-démocratie), la Nouvelle Démocratie (conservateurs) et le LAOS (extrême-droite), ont eu une grande majorité des 266 députés sur 300 députés. Mais le projet de loi d’austérité a été voté par seulement 199 députés. C’est parce que de nombreux députés ont senti la force de l’opposition de masse et a décidé de ne pas voter contre les coupes ou à s’abstenir, en général pour tenter de sauver leur carrière politique.
Ces députés dissidents ont été expulsés par leurs partis, formant le plus grand groupe au Parlement, ce qui a causé un séisme politique Le PASOK et la Nouvelle Démocratie ont, d’un seul coup, perdu 29 députés chacun. Le PASOK est maintenant passé de 160 députés à 131, dans un parlement de 300 sièges. ND est tombé de 91 à 62. L’extrême droite du LAOS a perdu 3-4% de soutien dans les sondages en une semaine et s’est senti obligé de quitter le gouvernement juste avant le vote. Néanmoins, deux de ses ex-ministres ont rompu les rangs et ont voté pour l’austérité.
Le PASOK et la Nouvelle Démocratie doivent maintenant faire un gouvernement avec seulement 193 sièges entre eux. Le dernier parti au pouvoir, le PASOK,s’est effondré à seulement 8,7% de soutien dans les sondages. ND a baissé de 10%en un peu plus d’une semaine pour tomber à 21%. La «grande coalition», les partis de la classe dirigeante ne représente que 30,1% dans la société selon les sondages les plus récents. Dans le même temps, plus de 75% de leurs électeurs se déclarent opposé à la politique des deux principaux partis.
En réalité,ce gouvernement est suspendu à un fil. La seule raison pour laquelle il est toujours dans le bureau est que ni les syndicats ni les partis de gauche n’ont un plan pour l’abattre. Ainsi, si les mesures passent, ce sera parce que la gauche et les syndicats le lui ont permis – par leur refus d’organiser une lutte appropriée.
La gauche peut-elle remporter les élections?
Le gouvernement a déclaré cette semaine que les élections se tiendront en avril. Le Pasok s’attend à subir des pertes énormes de vote de l’électorat tout comme la Nouvelle Démocratie.
Au même moment, la gauche se redresse dans les sondages. Le KKE et SYRIZA ont maintenant une occasion énorme et disposent conjointement plus de 30% dans les sondages. Mais pour vraiment profiter de la situation, ils doivent mener un combat contre les politiques socialistes et mener une lutte de masse pour renverser ce gouvernement et à défier les exigences des marchés financiers. Ils ont besoin d’exhorter leurs partisans à organiser des réunions de masse dans tous les lieux de travail pour organiser les travailleurs et se préparer à une grève générale illimitée pour renverser le gouvernement.
Bien que le gouvernement ait réussi à obtenir des réductions votées au Parlement, il est accroché au pouvoir par un fil et est extrêmement instable. La colère énorme dans la société et l’opposition aux coupes budgétaires n’ont pas diminuées. Les syndicats ont montré un aperçu de leur pouvoir, mais n’ont pas bougé de manière décisive pour se débarrasser du gouvernement. Les partis de gauche appellent de manière rhétorique à la chute du gouvernement et à la tenue de nouvelles élections, mais ne prennent pas d’initiatives concrètes dans ce sens. Le KKE et Synaspismos appellent de façon abstraite à "des grèves, des occupations, la révolte », etc., mais ne donnent pas de propositions concrètes visant à organiser des grèves et des occupations pour développer la lutte.
Les principaux partis de gauche, le KKE et la SYRIZA, refusent aussi de mettre en avant un programme socialiste, ce qui est essentiel dans cette situation. Ils refusent même de collaborer ensemble pour les prochaines élections. S’ils constituent ensemble la principale force politique en Grèce, le système électoral actuel leur donnera 40 autres sièges parlementaires afin qu’ils puissent même former un gouvernement majoritaire sur cette base!
A quoi appellent nos camarades de Xekinima ?
La crise économique et politique est appelée à se poursuivre. Les syndicats discutent d’une autre grève générale pour dans quelques jours. Mais cela ne doit pas être simplement pour se défouler, cela doit être un effort sérieux pour mettre à la porte le gouvernement. Nous appelons à l’organisation d’un mouvement de grève générale illimitée et à des manifestations, en vue de faire tomber le gouvernement. C’est un gouvernement de voleurs qui a perdu la confiance du peuple. Des assemblées démocratiquement élues dans tous les districts doivent se réunir dans toutes les villes et être liées entre elles au niveau régional et national afin de poser les bases d’un gouvernement des travailleurs et de ceux qui sont exploités par ce système, sur base d’un programme visant à mettre fin au capitalisme. Il faut annuler la dette et mettre fin à toutes les mesures d’austérité, et nationaliser les banques et les grandes entreprises pour qu’elles soient gérées démocratiquement par les travailleurs. Sur cette base, on pourrait introduire un plan d’urgence démocratique afin de reconstruire l’économie.
Les partisans de Xekinima qui aident à mener une occupation du ministère de la Santé ont envoyés des appels à tous les rang de gauche et les syndicats pour demander de l’aide, en particulier des syndicats du secteur de la santé. Nous utilisons aussi cela comme une base pour appeler à l’expansion de l’occupation à d’autres ministères, les conseils locaux, etc.
Nous appelons à une vague d’occupations des quartiers à Athènes et à Salonique et d’autres villes et villages pour créer un point où la résistance peut se poursuivre, se construire et encourager une nouvelle vague de grève, ainsi qu’une vague d’occupation des lieux de travail, des collèges et des écoles. Nous avons proposé à tous les groupes de gauche de se réunir et d’essayer de prendre une initiative autour de cette demande. Mais nous sommes toujours en attente de la réponse des autres forces de gauche.
Quelle est la réponse socialiste à la crise?
Les médias grecs discutent ouvertement de la vie en dehors de la zone euro. Ils spéculent que l’Allemagne peut désormais déclarer la Grèce «cause perdue» et la pousser hors de l’euro. Certains politiciens de droite allemands pensent que les actions de la BCE au cours des derniers mois sont suffisantes pour s’assurer qu’il n’y aura pas d’effets de contagion de la Grèce vers d’autres membres criblés de dettes de la zone euro ou à la fragilité du système bancaire européen. C’est l’enfer des paris!
Il n’est pas surprenant de voir dans les sondages que 54% des Grecs sont maintenant "contre l’UE" et 35% sont "contre l’euro". En dépit de leurs craintes de l’inconnu, de nombreux Grecs se demandent en quoi la situation serait pire à l’extérieur de la zone euro.
Le leader de Synaspismos est allé à la télévision dimanche dernier et a déclaré que la position de la Grèce entraîne une «négociation plus difficile» ! Mais aussi longtemps que vous acceptez les contraintes de l’économie de marché, les pouvoirs de l’UE ne donnent jamais aux travailleurs grecs le «choix» ou non de procéder à des coupes sauvages.
L’augmentation du soutien pour le KKE et Syriza illustre que la gauche est dans une position pour éventuellement former un gouvernement majoritaire.
Les partis de gauche et les syndicats doivent s’organiser autour d’un programme socialiste et démocratique et mener des campagnes structurées pour se battre pour un gouvernement des travailleurs, ce qui équivaudrait à répudier la dette, à gérer les secteurs clés démocratiquement, sous la gestion et le contrôle démocratiques des travailleurs eux-mêmes. Ainsi, on pourrait fournir de bons emplois à tous, avec un salaire décent, de même que de massivement investir dans le bien-être, l’éducation et le logement, sans oublier la gestion de la production des biens de consommations.
Un gouvernement des travailleurs ferait aussi le lien avec la classe ouvrière des autres pays européens frappés par la dette et le mouvement ouvrier dans toute l’Europe. Il serait ainsi possible de dire NON aux capitalistes européens et de combattre dans une lutte collective pour une confédération socialiste du continent.