Il est tôt le matin quand la première équipe de Liège s’en va vers les piquets, une paire d’heures à peine après être rentrée du piquet des cheminots, à proximité de la gare des Guillemins. La neige tombe, il fait bien froid, mais tout au long de la journée, nous pourrons constater que les piquets n’en avaient pas trop souffert.
Rapport par Nico, photos de Daphné et Simon
Des barricades installées aux ronds-points
Le premier arrêt est au zoning des Hauts-Sarts. Aux divers ronds-points, des barrages sont installés, faits de palettes, de pneus et de caisses, précédés par des planches cloutées renversées et accompagnés de braseros. Dans l’obscurité de la nuit, sous la neige qui tombe et recouvre le sol d’une pellicule encore fine, l’effet est saisissant. Derrière ces barrages de fortune se tiennent à chaque fois de bons groupes de syndicalistes rouges et verts, bravant fièrement les camions et voitures qui commencent à arriver. Les discussions sont courtes, mais il faut avouer que les groupes de syndicalistes aux ronds-points sont bien nombreux, particulièrement aux environs de Techspace Aéro (où d’ailleurs le piquet devant l’entreprise reste malgré tout très imposant). Dans ces conditions, personne n’a envie de défier les grévistes, littéralement maîtres des environs.
Nous passons d’un endroit à l’autre, et pouvons voir ça et là, près des entreprises aux portes closes, des groupes militants affairés à rassembler du matériel destiné à renforcer les barrages. Partout, les discussions sont à la fois amicales et combatives. C’est aussi l’occasion de revoir des camarades rencontrés lors de diverses luttes et manifestations. On prend des nouvelles les uns des autres, avant bien entendu de vite rentrer dans le vif du sujet : comment repousser l’austérité et la faire rentrer dans la gorge des patrons et des politiciens.
Notre tract suscite l’intérêt et, quand nous en avons l’occasion, nous discutons de la nature du plan d’action qu’il faudrait selon nous pour les prochaines étapes du mouvement. Cette question du plan d’action est véritablement au coeur de toutes nos rencontre. Les piquets réunissent principalement des métallos, qui tous connaissent la proposition de Nico Cué, le président des métallos FGTB Wallonie-Bruxelles, d’un plan de grèves générales allant crescendo jusqu’à une grève générale de 72 heures. De quelles manière organiser ce plan d’action ? Comment intégrer les couches de la population qui n’ont pas une délégation combative à portée de main ? Comment renforcer le soutien à la grève et à la lutte ? Nous ne savons pas encore à quel point ces questions préfigurent le caractère général qu’aura notre intervention tout au long de cette journée. Un autre élément restera également central tout au long de la journée ; celui de la nécessité de rompre avec le PS et les partis de l’austérité.
A l’un des barrages, nous rencontrons un jeune ouvrier d’un peu plus d’une vingtaine d’années. Le regard qu’il porte sur le gouvernement, l’austérité et la grève générale est un peu particulier. Etant d’origine grecque, il est familier de nombreuses choses que découvrent ses jeunes collègues: un parti soi-disant socialiste à la tête d’un gouvernement d’austérité (le PS fait vite penser au PASOK grec…), les belles promesses concernant une »rigueur temporaire », la propagande patronale des médias,… Il est convaincu – comme de très nombreux autres du reste – que l’austérité appelle l’austérité, et que cette lutte ne fait que commencer. Assez bien d’ailleurs, au regard de la formidable mobilisation sur les piquets. De fait, il n’est pas encore 6 heures que les ronds-points ressemblent à de véritables forteresses ouvrières contre lesquelles viennent buter, de temps à autres, diverses voitures rapidement éconduites. La seule manière de passer les piquets, c’est de les rejoindre !
Un centre-ville aux mains des grévistes
Nous poursuivons notre interventions en nous rendant au centre-ville de Liège, que parcourent des groupes de militants. Devant la FNAC ou Planète Parfum, à la Province comme devant les locaux de l’Union des Classes Moyennes (UCM), les piquets sont installés, les militants fièrement à leur poste. Ils battent bien du pied pour se réchauffer, mais le froid n’a pas brisé leur ardeur pour se battre. A un moment, nous rencontrons un camarade du SETCa qui nous indique qu’il faut vite aller renforcer le piquet devant AXA. Nous nous dépêchons donc et arrivons au Boulevard d’Avroy. En passant le coin, alors que nous nous attendions à ne voir que quelques grévistes, nous constatons que l’appel à l’aide a été entendu, et pas qu’un peu… Ce sont en effet des dizaines et des dizaines de militants qui sont présents, constituant ainsi une marrée rouge qui force le bâtiment à être vidé ! C’est là aussi l’occasion de discuter, et l’on est parfois surpris de rencontrer de vieux amis que l’on avait du mal à imaginer sur un piquet… C’est que les temps ont changé, et ces idées de lutte, de solidarité qui hier encore paraissaient bien utopiques sont devenues de criantes nécessités.
A 9h00, nous nous rendons place du Marché, devant l’Hôtel de ville. Là, ce sont les verts qui sont présents, rassemblés pour une action intitulée »ne nous laissons pas tondre ». Quelques deux ou trois cents militants de la CSC sont présents pour dénoncer l’austérité »papillon » sur cette place symbolique où trône le fameux Perron de Liège, symbole des libertés liégeoise (symbole qui aurait bien besoin qu’on s’en occupe, au sens »propre » comme au figuré). Après un bon café, nous repartons, en deux équipes cette fois, et nous continuons notre intervention, en passant notamment par la gare des Guillemins rejoindre les cheminots, pour ensuite nous diriger vers le cinéma Kinépolis de Rocourt. Ce gigantesque complexe cinématographique est bloqué par un piquet réunissant des rouges et des verts, des travailleurs de Tectéo et des métallos,… et notre petite équipe de militants du PSL. Des clients arrivent. Si certains repartent sans discuter, parfois compréhensifs, d’autres impressionnent par leur volonté de rompre la ligne du piquet… pour aller voir un film! L’un deux clarifie – avec une grande arrogance – le pourquoi de cette attitude : c’est petit patron, qui a visiblement bien peu apprécié de voir son entreprise bloquée le matin…
Notre journée se terminera sur ce piquet, avant tout de même de se prendre un verre au café, histoire de tirer le bilan de cette journée de grève générale. Au final, nous aurons vendu plus d’une trentaine d’exemplaires de notre mensuel Lutte Socialiste, et aurons eu d’innombrables discussions très intéressantes concernant la nécessité pour les travailleurs de se forger leur instrument politique afin de défendre les revendications syndicales, mais aussi les méthodes syndicales (piquets, blocages, manifestations de masse, arrêts de travail d’information,..).
Ce n’est qu’un début, continuons le combat!