« La flexibilité à fond la caisse! »

Les nouveaux esclavagistes

CHAQUE JOUR des dizaines de milliers d’intérimaires travaillent dans les entreprises de Belgique. Engagés la plupart du temps pour une durée d’une semaine, ce sont des travailleurs sans droits car la moindre protestation entraîne le non renouvellement du contrat. Nous avons rencontré un travailleur intérimaire qui nous parle de ses conditions de travail. Comme il a besoin de travailler pour vivre, il a préféré garder l’anonymat. Nous l’appellerons donc René.

Propos recueillis par Guy Van Sinoy

Quand nous écrivons que les travailleurs intérimaires sont surexploités, certains pensent que nous exagérons. Peux-tu parler de ton expérience?

René: Une mauvaise expérience dont je peux parler, c’est chez Mamma Lucia, une entreprise du zoning de Nivelles qui fabrique des lasagnes industrielles. La première chose qui frappe en entrant dans la boîte, c’est que la majorité des travailleurs sont intérimaires, ce qui est déjà illégal. En effet, la loi ne permet le recours aux intérimaires que pour remplacer des travailleurs contractuels malades ou en congé, ou encore en cas de travail exceptionnel. Chez Mama Lucia, l’exception est la règle!

Deuxièmement: tu sais quand tu rentres mais tu ne sais pas quand tu sors. Il n’y a pas d’heures fixes (Ce qui est illégal car les horaires doivent être fixés par le règlement de travail décidé par le Conseil d’entreprise. ndlr). Si tu es en équipe d’après-midi, tu commences à 14h mais tu peux finir à minuit, 2h ou 4h du matin selon les besoins de la production.

Cela fait donc parfois des journées de travail de plus de 12 heures?

Cela m’est arrivé de rester au travail plus de 14 heures, mais eux ne comptent pas comme cela. Mon travail consistait à emballer les plats préparés sortant de la machine. Quand la machine de la production a du retard, on doit attendre à la cafétéria mais on n’est pas payé. Il se peut que l’on doive rester 1h15 à la cafétéria sans que cela ne soit considéré comme temps de travail.

C’est le secteur de l’alimentation? Quel était le salaire horaire?

Cela tournait autour de 10 euros de l’heure. Les primes d’équipes sont minimes: après 22 heures la prime est de 15%.

En quoi consistait ton travail?

Les plats préparés sortent de la chaîne et il faut les mettre à la main dans des plastiques qui sont pressés puis cela passe dans une machine qui étiquette. C’est assez stressant car il faut suivre le rythme, debout, avec masque, bottes et gants.

Il n’y a pas de syndicat dans cette entreprise?

Je n’ai jamais vu de délégué. Je suppose que le poids syndical doit être faible, voire nul, car la majorité des travailleurs sont intérimaires. Sans compter les employés qui sont dans les bureaux, j’estime qu’il doit y avoir une centaine d’ouvriers au travail dans cette usine dont 2/3 d’intérimaires.

Comme les travailleurs sont en contact avec des denrées alimentaires, je suppose que les intérimaires passent – c’est prévu par la loi – un examen médical pour vérifier s’ils n’ont pas de maladies contagieuses?

Oui, c’est possible, mais on ne m’a jamais fait passer d’examen médical! On m’a juste demandé d’avoir les mains propres!

Où trouve-t-on ces lasagnes dans le commerce?

Tu vas rire car c’est le même produit qui est emballé sous des noms différents: Mamma Lucia, Carrefour, GB. Tout à coup on arrête la chaîne, on change les étiquettes et on remet la chaîne en route!

Tu étais engagé à la semaine?

C’est même pis car ils font des contrats à la journée. Sur la semaine on te fait quatre contrats d’une journée car souvent on ne travaille pas le vendredi. C’est vraiment la flexibilité à fond la caisse!

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