Collapsologie : en désespoir de causes

Tableau de John Martin. La Fin du Monde, 1851-1853.

Depuis quelques années, une nouvelle « discipline » a vu le jour : la collapsologie. Cette doctrine est née il y a une quarantaine d’année mais ne s’est fait connaître du grand public que récemment. Les collapsologues s’appuient sur les constats alarmants dressés par les scientifiques concernant le changement climatique et les menaces sur notre environnement. Extinction de masse, ruptures irréversibles dues au changement climatique… Les motifs d’angoisse existentielle pour l’Humanité ne manquent pas. C’est de là que vient la collapsologie.

Par Jean (Luxembourg)

Définition ?

Les collapsologues prédisent que le changement climatique provoquera un effondrement de la civilisation. Ou plutôt un effondrement de… un peu tout à la fois : du capitalisme, de la finance, de l’économie, de la modernité, de la « culture occidentale », de la complexité, de la démocratie libérale, de l’Etat, des services publics… Bref, de tout ce qui nous entoure. C’est le premier problème de la collapsologie : il n’y a pas de définition claire et précise de ce qui va s’effondrer. Beaucoup de collapsologues assument ce flou et le justifient par le fait que « tout est lié ». C’est un peu vrai, mais il ne faut pas confondre liaison et confusion, corrélation et causalité, complexité et melting-pot…
Un élément qui revient souvent dans les discours des collapso, c’est la notion de « ruptures irréversibles », à savoir de changements brutaux et profonds qui sont en train de se dérouler dans nos écosystèmes et qui seront pour la plupart irréparables. Ils ont parfaitement raison d’en parler et d’insister sur ce point car c’est exactement ce qui est en train de se passer sur notre planète. Et c’est exactement ce qui a été ignoré pendant trop longtemps. Là où le bât blesse, c’est que ces ruptures irréversibles sont vues comme menant inexorablement à un effondrement de la civilisation voire de l’Humanité.

La collapsologie se présente souvent comme une science. De fait, elle s’appuie sur l’analyse scientifique de la nature et du climat. Mais elle applique les mêmes logiques mécanistes aux champs économique, social et politique. Les collapsologues procèdent à une naturalisation des rapports sociaux. C’est le deuxième problème, car les sociétés humaines ne réagissent pas forcément comme n’importe quel écosystème. La réponse à un choc, qu’il soit climatique ou épidémique, dépend de beaucoup de choses : du système politique, des infrastructures, des forces productives, du rapport de force entre les classes, de la créativité des uns, de la combativité des autres… Bref de tout ce qui fait la différence entre l’Humanité et la Nature.

Vision mécaniste

Il y a toujours plusieurs scénarios possibles à une crise et à sa résolution. Prenons l’effondrement du système financier en 2008. La classe dirigeante a réussi à sauver les banques et en même temps sa peau en faisant payer ce sauvetage aux travailleurs et aux classes populaires. Mais cela aurait pu se dérouler tout autrement. Si la résistance et la colère qui se sont exprimées à l’époque avaient été plus fortes et mieux organisées, elles auraient pu s’opposer à ces « solutions » et imposer une toute autre politique faite de nationalisation des banques, d’investissements publics massifs et de justice sociale.

Les collapsologues ont tendance à voir des signes d’effondrement dans tous les événements politiques (qu’il s’agisse de l’élection de Donald Trump, à la pandémie de Coronavirus, en passant par la crise grecque…) et ne s’attardent pas à analyser les multiples facteurs qui expliquent ces crises et encore moins des différents scénarios dans lesquels nous ne serions pas de simples spectateurs de notre perte mais les acteurs d’un possible salut. En plus d’être réductrice et mécaniste, la vision des collapso est quelque peu ethnocentriste, car elle parle surtout de la situation et des préoccupations de l’homme occidental.

Solutions ?

Chez les collapsos, la vision apocalyptique de la crise climatique laisse peu de place à des solutions. Il nous faudrait donc faire le deuil du monde dans lequel nous vivons sans essayer de changer le cours des choses. La seule chose que nous pouvons faire, c’est d’essayer de nous préparer à l’effondrement. Comment ? En retournant à la nature… Mais comment faire pour les 5 milliards de citadins qui composent l’humanité ? Aucune idée…

Cette absence de solution découle notamment d’une cécité quant à la réalité de classe de nos sociétés et de l’impact que cette réalité sur la question climatique. Nous serions « Tous coupables », du SMICard au capitaine d’industrie polluante. Or il est évident que ceux qui souffrent et souffriront le plus du changement climatique sont rarement ceux qui ont une réelle influence sur le climat et la biodiversité. Nier ou sous-estimer cette réalité est une grave erreur qui non seulement épargne les responsables du désastre, mais surtout, empêche les collapsos de mener le combat là où il doit l’être, en intégrant la question importante de la justice climatique.

Que faire ?

Il faut reconnaître une chose : les collapsologues ont tiré la sonnette d’alarme d’une manière plus audible que les rapports scientifiques. Ils ont le mérite d’avoir mis des termes clairs et concrets sur ce que signifie + 1,5 ou +2 degrés et de mettre en lumière la situation d’urgence dans laquelle nous nous trouvons.

Mais leurs « solutions » n’en sont pas car il s’agit davantage d’une capitulation que d’une méthode pour affronter le changement climatique et ses effets.

L’accélération récente des dérèglements climatiques pourrait cependant donner l’impression que les collapsologues ont peut-être raison sur le diagnostic. Est-il trop tard pour agir? Il est clair que certains seuils ont été franchis et qu’on ne peut pas espérer revenir à une situation « normale » en termes de climat et de biodiversité. Mais capituler et « laisser filer » le dérèglement serait la pire des choses. Car même dans un environnement fortement dégradé, les conséquences pour l’Humanité seront très différentes selon qu’on organise et planifie le partage des richesses, les efforts de réduction des gaz à effet de serre, la protection des écosystèmes et l’adaptation de nos modes de vie ou qu’on laisse le capitalisme « gérer » la situation. Face à l’adversité, la construction d’une société résiliente ne pourra pas se faire dans le cadre du capitalisme. On le voit déjà clairement avec une « petite crise » comme celle du Coronavirus. Contre la barbarie d’un effondrement en mode « Mad Max », la seule alternative à visage humain est le Socialisme, c’est-à-dire la construction d’une société fondée sur le partage des richesses et du savoir, la propriété collective des moyens de production et la planification écologique couplée la libération des formidables capacités de l’être humain à protéger et à réparer son environnement. Bref, à faire passer la Vie avant les profits.

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