En récoltant 8,7% des voix aux élections législatives, le Linkspartei (Parti de Gauche) bouleverse la situation politique et économique en Allemagne. Sa nette percée empêche la formation d’une coalition stable, tandis que les deux partis bourgeois principaux (CDU-CSU et SPD), très affaiblis, se disputent la chancellerie. L’émergence d’une formation forte à gauche de la social-démocratie exprime clairement le mécontentement croissant face à la politique antisociale.
Stéphane Delcros
Tant les sociaux-démocrates (SPD) que les chrétiens-démocrates (CDU-CSU) ont perdu des millions de voix: c’est toute la classe dirigeante qui est sanctionnée par ce vote qui rejette la politique néolibérale d’attaque généralisée contre les acquis sociaux des travailleurs. Le gouvernement Schröder alliant le SPD et les Verts a mené une politique de soutien aux patrons et aux riches; il est clairement responsable de la misère sociale causée par les privatisations, la diminution des salaires réels et les attaques sur les chômeurs. Mais le vote montre également que les allemands savent que les attaques seront plus frontales encore sous un gouvernement mené par la CDU d’Angela Merkel. Le succès du Linkspartei exprime une polarisation de classe entre capitalistes et travailleurs en Allemagne, surtout à l’Est où la population est la plus miséreuse et où le Linkspartei a récolté 25% des voix.
Les capitalistes allemands comptaient sur une coalition stable entre chrétiens-démocrates et libéraux (FDP) pour mener et accentuer la politique d’austérité. Mais, malgré le succès du FDP, ces deux formations obtiennent moins, ensemble, qu’aux dernières élections et ne peuvent former une coalition gouvernementale. Vers la fin de la campagne électorale, en multipliant les discours populistes contre une Angela Merkel forcément encore moins sociale que lui, Schröder a réussi à limiter sa défaite. Mais le succès du Linkspartei prive l’ancienne coalition SPD/Verts de suffisamment de sièges au Parlement pour former une coalition.
Aucune majorité forte et stable n’est donc possible, d’autant plus qu’aucun parti ne veut d’une alliance avec le Linkspartei, ce qui est d’ailleurs réciproque. Les capitalistes devront se contenter de coalitions plus instables et donc moins puissantes comme une alliance entre la CDU-CSU, le FDP et les Verts, ou, et c’est plus probable, une “grande coalition” SPD/CDU-CSU. Mais les jours suivant l’élection furent animés par l’affrontement politique et personnel entre Schröder et Merkel. Si leurs divergences persistent ou si aucune autre coalition ne se dessine, il n’est pas impossible que de nouvelles élections soient organisées. Avec un risque pour les capitalistes d’une nouvelle situation politique instable et d’une victoire encore plus importante du Linkspartei.
Ce Parti de Gauche est une combinaison entre le PDS (rebaptisé Linkspartei/PDS), ex-parti stalinien d’Allemagne de l’Est, et le WASG (Emploi et Justice sociale), nouvelle formation créée l’année passée par des militants syndicaux de gauche et des sociaux-démocrates déçus par le SPD. Oskar Lafontaine, ex-leader du SPD et ex-ministre des finances de Schröder, est récemment devenu la figure publique du nouveau WASG, permettant ainsi la médiatisation de cette formation mais renforçant considérablement son aile réformiste. Lafontaine avait refusé d’être candidat si le WASG ne faisait pas alliance avec le PDS de Gregor Gysi et Lothar Bisky, malgré le fait que ce parti collabore complètement à la politique néolibérale d’attaques sur les acquis sociaux dans deux gouvernements régionaux à l’Est du pays.
Lors de ces élections, le Linkspartei a réussi à récolter deux fois plus de voix que le PDS aux élections précédentes. Le WASG a donc été un élément dynamique de cette liste qui a réussi à convaincre de nombreux travailleurs et jeunes.
Quelle que soit la nature du futur gouvernement, celui-ci poursuivra la politique d’austérité dictée par le patronat. Si le Linkspartei et le WASG veulent consolider leur succès électoral, il faut qu’ils organisent la résistance face à la nouvelle vague d’attaques anti-sociales. C’est dans les entreprises et dans la rue, par des actions de masses que se construit la résistance. De plus en plus de travailleurs rejettent les réformes néolibérales dont ils subissent les conséquences jour après jour. Cette victoire en annonce donc de nouvelles pour la gauche si elle sait se doter d’un programme socialiste combatif pour s’affirmer comme une véritable alternative.