« Sans décision collective pour les entreprises non essentielles, nous allons devoir les fermer nous-mêmes »

Le Coronavirus sur le terrain. Témoignages et réactions.

Je suis délégué dans une usine de taille moyenne en région liégeoise, nous avons dû nous battre pour réussir à fermer l’entreprise jusqu’à nouvel ordre.

Il y a encore trois jours, je trouvais que certains de mes collègues exagéraient. Puis j’ai discuté avec mes enfants (de l’expérience des travailleuses et travailleurs italiens, des appels du personnel médical à se limiter aux activités vitales), j’ai mieux compris en quoi c’était une erreur collective de continuer à aller travailler. Pas seulement pour nous et nos proches, mais pour toutes les personnes fragiles et celles dont on va avoir besoin sur les premières lignes.

Ce problème que s’évertue à nier un patronat qui tient beaucoup trop à ses bénéfices. La plupart de mes collègues ne niaient pas ce problème, mais ne voyaient pas comment se passer de leur revenu. Et il faudra aussi se battre pour cela.

Hier, ni mon permanent syndical ni le conseiller en prévention (!) de l’entreprise ni le contremaître ne m’ont pris au sérieux lorsque j’ai demandé s’il ne valait pas mieux fermer.

Les mesures de confinement ont été annoncées hier et la volonté de la direction de mon entreprise était encore de maintenir l’activité ce matin, alors que les conditions minimalistes de « distanciation sociale » évoquées par le gouvernement n’étaient pas applicables sur nos postes de travail. Le gouvernement s’est gardé de rappeler que le virus reste dans l’air pendant plusieurs heures, qu’il reste sur les surfaces de contact encore plus longtemps et que les personnes affectées ne présentent pas nécessairement de symptômes : cela réduirait à peau de chagrin les lieux de travail capables d’être « sécurisés ». Cela n’a pas de sens d’interdire les regroupements extérieurs si on les permet à l’intérieur des usines.

Ce matin, je ne travaillais pas, j’ai donc demandé à mes collègues de me tenir au courant de la situation. Lorsque j’ai compris qu’aucune mesure n’était prise par l’entreprise, j’ai décidé de me rendre à l’usine. Ma compagne m’avait aidé à synthétiser les arguments. Arrivé sur place, j’ai constaté que de nombreuses personnes étaient déjà en arrêt de travail spontané. Une tension énorme régnait sur le site : une collègue, en pleurs, m’a expliqué qu’elle était contrainte de faire garder ses enfants par ses parents âgés.

Une réunion a fini par être organisée (à l’intérieur !) regroupant les délégué·es, les permanent·e·s des syndicats, le conseiller en « prévention » et le patron. Au départ, tout le monde semblait vouloir continuer la production et mettre en place des mesurettes pour se convaincre de répondre aux normes de sécurité. La position syndicale était : que les personnes qui ne veulent pas travailler « parce qu’elles ont peur » se mettent en maladie.

La réunion a duré une bonne heure et le ton a sensiblement changé au fur et à mesure de la discussion : si on me regardait comme un extraterrestre au départ, plusieurs personnes recevaient des informations d’autres fermetures par téléphone et, malgré mon stress et ma colère, j’ai pu ré-expliquer calmement la situation. Si les médecins supplient qu’on limite le débordement à venir des hôpitaux, si les clients des magasins doivent être seuls dans 10m2, pourquoi continuer une activité non nécessaire ?

S’il n’y a pas de décision collective pour toutes les entreprises non essentielles, nous allons devoir faire boule de neige en les fermant nous-mêmes.

Courage à toutes et tous.

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