Gouvernement-corona, coronakrach, récession-corona, politique monétaire expansive due au coronavirus, grève anti ‘‘corona’’, fermeture des frontières, surcharges dans les services de soins, spéculation sur les masques et les gels hydro-alcooliques, problèmes de gardes d’enfants, etc. L’actualité regorge d’exemples en tous genres pour illustrer la profondeur de la crise. Mais les médias traditionnels placeront sous silence que la pandémie de COVID-19 en cours fait actuellement remonter à la surface toutes les contradictions du système capitaliste. Cependant, ce n’est pas la première fois que les microbes révèlent les contradictions d’une société.
Par Alain (Namur)
Les conséquences de la révolution néolithique
Dans les foyers agricoles où elle a eu lieu, la révolution néolithique a permis une sédentarisation permanente de populations qui vivaient de manière nomade ou semi-nomade. Le proto-élevage et la proto-culture ont permis, par la production et la constitution de stocks, l’accroissement de la population. Cette croissance entraina l’apparition des premières épidémies dues à la concentration, au même endroit, d’un nombre plus considérable de personnes, ainsi qu’à la multiplication des contacts prolongés avec des animaux (zoonoses).
La lutte de l’humanité contre les aléas de la nature s’est transformée suite à sa sédentarisation. Avec le développement des techniques et de la culture, les premières civilisations ont augmenté leur maîtrise sur la nature. Toutefois, comme Engels le disait, «ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences… Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. » (Friedrich Engels, Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, 1883-1884)
L’émergence du COVID-19 dans une société en route vers la récession
La pandémie de COVID-19 génère des sentiments ambivalents. Pourtant, au-delà des sentiments, il faut reconnaître que l’émergence de cette crise sanitaire nous a pris au dépourvu. Cette incapacité à y faire face n’est pas uniquement due au fait que le virus mute rapidement de par sa nature (virus composé d’une longue chaîne d’ARN). Elle provient surtout de la manière dont la classe capitaliste, qui dirige la société, se moque des problèmes qui ne menacent pas directement ses profits. Après l’émergence du SRAS au début des années 2000, on aurait pu prévoir des mesures de stockage de produits nécessaires et des mesures d’investissements dans les réponses de premières lignes.
On aurait aussi pu, de manière prospective, investir dans la recherche fondamentale et appliquée pour comprendre la manière dont cette famille virale évolue et fonctionne. D’autant plus que l’humanité a perdu beaucoup de temps dans sa compréhension des microbes. Il faut rappeler que la structure de l’ADN a été décrite au début des années 1950. Le premier magazine de virologie a été édité en 1955 et le premier congrès scientifique de virologie s’est tenu à Helsinki en 1968. Ce retard dans les découvertes en virologie n’est donc pas un hasard, mais est en partie dû aux contradictions de la société de classes.
De la théorie des miasmes aux microbes
Les microbes (nom général qui regroupe différentes formes biologiques : bactéries, virus, prions) existent depuis que la vie a émergé sur terre. Ils sont présents dans tous les milieux et sont impliqués dans différents cycles naturels (cycle de l’azote) et vivent en relations diverses (du mutualisme au parasitisme) avec d’autres règnes du vivant. Le corps humain, par exemple, compte 10 fois plus de cellules bactériennes que de cellules humaines. Elles proviennent de 300 à 500 espèces différentes.
Malgré cette omniprésence et l’importance des microbes dans le monde vivant, il a fallu du temps à l’humanité avant de percevoir l’importance de l’étude de ces organismes. En fait, dès l’antiquité grecque, le philosophe Hésiode, né dans une ville en contact culturel avec le miracle Ionien, mettait en avant le caractère contagieux de certaines maladies. Face à lui, Hippocrate de Cos défendait l’hypothèse que les épidémies ne pouvaient venir que d’un air corrompu. Dans le cadre d’une lutte d’idées qui reflétait la société de classes, c’est l’hypothèse d’Hippocrate qui s’est imposée. La société féodale et ses trois ordres (ceux qui prient, oratores ; ceux qui combattent, bellatores ; ceux qui travaillent, laboratores) a repris les idées des philosophes post-socratiques pour justifier son maintien. C’est ainsi que se sont imposées les idées d’Hippocrate dans la médecine médiévale. Les théories des humeurs, des miasmes et de la génération spontanée ont été les pierres angulaires de l’approche médicale concernant les microbes. Remettre en question ces théories, c’était remettre en question le pouvoir dans la société. C’est ainsi que toute les théories concurrentes à la théorie officielle ont été combattues par l’Eglise et le pouvoir.
Il a fallu attendre l’émergence des zones affranchies que furent les villes et le développement marchand pour commencer à contester cet ordre des choses en médecine. Au Pays-Bas, Antonie Van Leeuwenhoek, issu d’une famille de drapier, fabriquait des lentilles afin d’examiner la qualité des tissus. En perfectionnant la technique d’assemblage et de polissage, il réussit à obtenir des optiques bien plus performantes et finit par entrevoir les micro-organismes qu’il nomma des animalcules. Il envoya la description de ces découvertes à la Royal Society de Londres. Malheureusement, en raison du secret de fabrication de ses lentilles, aucun scientifique ne put répliquer ses observations et la théorie de la génération spontanée continua à être majoritaire dans la communauté scientifique. Ce n’est vraiment qu’au XIXe siècle, avec le progrès technique lié au développement de l’industrie, que des scientifiques purent tailler en pièce cette théorie, avec des figures comme Pasteur en France et Koch en Allemagne. Il faut d’ailleurs noter que la guerre franco-prussienne de 1870 a entraîné une vague patriotique qui a empêché la progression des connaissances scientifiques dans ce domaine.
Le capitalisme à bout de souffle
Malgré ces contradictions internes, le capitalisme a pu développer les forces productives durant toute une période. Ces forces productives nous ont permis d’accroître les connaissances scientifiques et de nous armer contre les conséquences délétères des aléas naturels. Cette période est désormais révolue.
Ce changement ne signifie pas qu’il n’y aura plus de percée scientifique majeure ou de découverte technologique, mais ces avancées ne seront plus à même de faire progresser les forces productives de l’humanité. Les contradictions sont telles que, bien que nous disposions d’un niveau de connaissance scientifique jamais atteint dans l’histoire de l’humanité, nous sommes aujourd’hui incapables de faire face aux conséquences du changement climatique ou de réagir collectivement au niveau mondial à la pandémie de COVID-19.
Quand les capitalistes veulent parvenir à un objectif scientifique, ils planifient rationnellement leurs efforts pour l’atteindre et se donnent les moyens nécessaires sur le long terme. C’est de cette façon que nous avons pu marcher sur la lune ou mettre en place le LHC (le Grand collisionneur de hadrons, un accélérateur de particules) en Suisse et confirmer les propriétés quantiques de la matière.
Pour le bien de la santé publique, il ne peut en être autrement. Si nous voulons parvenir à lutter contre cette pandémie et ses conséquences, ou vers tout autre objectif dans le domaine des sciences, il est impératif de refuser la logique néolibérale. Cette lutte implique de faire progresser la recherche et le développement par la coopération sur base de recherches publiques, ouvertes et décemment financées, menées des chercheuses et des chercheurs pourvus d’un statut stable et qui ne doivent plus être poussés à publier au détriment de leurs collègues et de la qualité.