Le projet NewB peut-il moraliser la finance en Belgique ?

Le 26 novembre à minuit, il était annoncé que l’opération de souscription de 30 millions d’euros pour la nouvelle banque NewB était une réussite : plus de 30 millions ont été récoltés dont 27 déjà encaissés. C’est une pierre de plus posée pour l’édification de ce projet de banque à propriété coopérative. La naissance d’une banque dans le paysage économique belge, qui comporte 88 institutions financière, est toujours à relever. Mais cela nécessite une attention plus soutenue lorsque cette banque se veut coopérative et dit reposer sur un projet éthique et durable visant à transformer la finance de demain.

Par Alain (Namur)

Un produit de la grande récession

La crise des subprimes a déclenché un krach boursier et une récession économique dont nous ne sommes à ce jour jamais vraiment sorti. La crise fut une catastrophe pour la majorité sociale qui y a perdu en condition de vie et de travail, en protection sociale et en services publics. La crise a aussi eu comme effet de miné l’autorité du système capitaliste.

Toute l’idée selon laquelle la « main invisible du marché » permettrait de diluer le risque des crédits NINJA (1) a été pulvérisée par la pratique. Le risque s’était éparpillé partout. Le modèle et la théorie économiques dominants ont été remis en cause. Pour sauver le système de lui même, les gouvernements ont dû procéder à des nationalisations de banques pour épurer les Junk bonds (ou «obligations pourries»). C’est la collectivité qui a payé les frais de la fête des capitalistes.

Différentes couches de la population ont donc commencé à chercher des alternatives et des solutions. Le projet d’une banque coopérative, à l’image de NewB, fait partie des idées qui ont émergé à la faveur de la crise, au côté des appels au retour des banques publiques. C’est ainsi qu’est née la Caisse d’Investissement de Wallonie (CIW) lancée en grande pompe par le gouvernement wallon en 2009 à travers une levée de fonds de 80 millions d’euros auprès de 12.500 investisseurs privés tandis que la Région wallonne en apportait 20 millions. L’aventure s’est terminée en 2019 avec une perte de 8,5 millions d’euros.

Le projet de coopérative bancaire NewB a été lancé en 2011. Pour pouvoir se lancer avec l’accord des autorités de supervision financières, NewB devait collecter 30 millions d’euros et, en date du 26 novembre 2019, plus de 65.000 personnes avaient adhérer au projet. Cela revient donc à environ 450 euros par personne. Mais cette moyenne cache une distribution bien plus complexe. Il y a 3 types de coopérateurs : les coopérateurs ordinaires (part à 20 euros), les coopérateurs sociétaires (part à 2000 euros) et les coopérateurs investisseurs (part à 200.000 euros). Il est fort à parier que les objectifs ne sont pas identiques auprès de ces trois types de coopérateurs. Cela pourra à moyen terme entraîner des polémiques à l’assemblée générale. De plus, le projet commercial de la banque doit être affiné dans les années à venir car la banque ne devrait pas s’impliquer dans le crédit hypothécaire, cela étant considéré comme à risque.

Les contraintes de rentabilité ne seront pas absentes du projet puisque la banque prévoit d’être en position de rentabilité dans les 4 à 5 ans. Il faudra voir au final si les ambitions communiquées au cours de la campagne de communication sauront être tenues. La part de type B (à 20 euros) a déjà été dégradée à un peu moins de 5 euros de valeur car il y a une mise de départ d’environ 11 millions à épurer.

Le journal Le Soir dans un article très éclairant en disait : « En juin 2020, la coopérative, si elle devient banque, prévoit de commercialiser comptes à vue, carnets d’épargne et crédits à court terme (à visée durable uniquement) pour les particuliers. Mais attention à la confusion : si NewB se veut inclusive, elle n’a pas pour objectif d’être une banque bon marché, son objet social est de fournir « un service bancaire coopératif, simple, sûr et durable » à ses membres. Ce qui a un coût ». (2)

Les tarifs des comptes pour les clients ne sont pas encore déterminés, mais au vu de l’absence de distributeurs de billet NewB, un retrait en cash coûtera 0,75€ pour payer les autres banques. La banque ne disposera que de compte d’épargne non réglementé avec un taux de 0% alors que la rémunération de l’épargne est généralement de 0,11 % (intérêts et prime de fidélité) dans la majorité des banques pour des comptes réglementés (avec absence d’imposition sur les premiers 980€ d’intérêts annuels).

Un projet qui suscite un certain engouement

Plus de 65.000 personnes (individus, associations, mouvements de jeunesse, syndicats, universités, pouvoirs publics, mais essentiellement du côté francophone), avec un pic d’âge à 29 ans, qui investissent plus de 30 millions dans une baque coopérative à vocation éthique et citoyenne, c’est un fait social. Cela illustre que, suite à la grande récession, une couche de la population a tiré la conclusion que l’économie ‘casino’ et le contrôle des boursicoteurs sur la politique économique menace la planète et l’humanité.

A certains égards, cette conscience a des aspects anticapitalistes. Mais ceux-ci sont essentiellement dirigés contre le monde de la finance. La manière dont la crise s’est déclenchée après la chute de Lehman Brother et la recapitalisation par l’Etat américain de Freddie Mac et Fanny Mae, la contagion de la crise financière sur l’économie dite ‘réelle’ et l’explication superficielle qui en a été donnée par les commentateurs traditionnels ont forgé cette conscience.

Malgré tout, nous estimons au PSL que cette conscience retarde par rapport aux développements auxquels nous faisons face actuellement. Nous sommes à un moment charnière dans la situation mondiale. L’économie est à l’orée d’une nouvelle récession, dont le déclencheur immédiat le plus probable est la guerre commerciale entre les deux plus grandes puissantes mondiales, les USA et la Chine. Si l’instabilité et la volatilité caractérisent les relations entre les différentes puissances, c’est également le cas au sein même des divers pays. La politique néolibérale est largement contestée par la majorité sociale, mais celle-ci ne dispose pas encore des outils politiques qui lui sont nécessaires pour défier les possédants. Quant à ces derniers, ils n’ont pas encore trouvé de politique économique qui leur permette de retrouver une certaine stabilité soutenue par des profits juteux. (Lire par ailleurs à ce sujet : 2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution)

La finance dans le système capitaliste

La majorité des personnes qui voient en NewB une solution face au pouvoir de la finance n’ont pas encore tiré la conclusion que c’est l’ensemble du système qui est à rejeter. Elles n’ont pas encore analysé le lien entre la finance et l’économie dite ‘réelle’. La manière dont la finance a pu prendre un tel poids par rapport à la production, la circulation et l’échange de marchandises est une question qui mérite d’être examinée en profondeur. Beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet par les marxistes. Par Marx tout d’abord, mais aussi par Rudolf Hilferding, Rosa Luxembourg et Lénine lors du débat sur l’impérialisme au début du 20e siècle. Ces échanges nous livrent des éléments d’explications sur les conséquences pratiques de l’impérialisme pour la situation mondiale.

Dans l’ouvrage de Lénine « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », on peut notamment lire : « La fonction essentielle et initiale des banques est de servir d’intermédiaire dans les paiements. Ce faisant, elles transforment le capital-argent inactif en capital actif, c’est-à-dire générateur de profit, et réunissant les divers revenus en espèces, elles les mettent à la disposition de la classe des capitalistes. Au fur et à mesure que les banques se développent et se concentrent dans un petit nombre d’établissements, elles cessent d’être de modestes intermédiaires pour devenir de tout-puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l’ensemble des capitalistes et des petits patrons, ainsi que de la plupart des moyens de production et de sources de matières premières d’un pays donné, ou de toute une série de pays. Cette transformation d’une masse d’intermédiaires modestes en une poignée de monopolistes constitue un des processus essentiels de la transformation du capitalisme en impérialisme capitaliste. »

En envisageant la finance isolément du reste du système capitaliste, on oublie que c’est l’ensemble du système qui est à rejeter et donc en premier lieu ce qui en est le fondement. Et le fondement du rapport social capitaliste se situe dans le salariat. Si l’on écarte cet élément de l’équation, on évacue aussi les méthodes de lutte qui y sont liées : les luttes à caractère collectif qui ont pour but de faire une incursion dans la propriété capitaliste des moyens de productions. Il reste alors différentes méthodes de luttes qui ne se basent pas sur le monde salarié, mais sur l’action individuelle et la tentative de moraliser le système ou de s’écarter de ses lois via des coopératives de production et de coopération.

Les méthodes de lutte à utiliser pour parvenir à un monde meilleur constituent un débat déjà ancien dans le mouvement ouvrier. Depuis les socialistes ricardiens (3), les utopistes et les anarchistes, entre autres, une une myriade d’expériences ont été collectée par le mouvement, résumée par la théorie socialiste. Tout en étant convaincus de l’intérêt de la théorie pour nous orienter dans l’action, nous savons que l’on ne convainc pas la majorité des gens avec des développements théoriques

La vérité est toujours concrète

Le mouvement ouvrier a toujours testé dans la pratique les différentes théories qui se sont présentées à lui. En ce sens, le mouvement coopératif n’est pas un nouveau débat. Les équitables pionniers de Rochdale, des tisserands anglais, ont lancé en 1848 la première société coopérative. L’ensemble du mouvement ouvrier s’est emparé de cette idée et a donné naissance au mouvement coopératif. Celui-ci tient une place importante dans l’histoire sociale de Belgique. Mais il a toujours été limité dans son potentiel par les lois du capitalisme.

Rosa Luxembourg en disait justement ceci dans son ouvrage « Réforme sociale ou révolution »: « Les coopératives, et d’abord les coopératives de production sont des institutions de nature hybride au sein de l’économie capitaliste : elles constituent une production socialisée en miniature, qui s’accompagne d’un échange capitaliste. Mais dans l’économie capitaliste l’échange domine la production ; à cause de la concurrence il exige, pour que puisse vivre l’entreprise, une exploitation impitoyable de la force de travail, c’est-à-dire la domination complète du processus de production par les intérêts capitalistes. Pratiquement, cela se traduit par la nécessité d’intensifier le travail, d’en raccourcir ou d’en prolonger la durée selon la conjoncture, d’embaucher ou de licencier la force de travail selon les besoins du marché, en un mot de pratiquer toutes méthodes bien connues qui permettent à une entreprise capitaliste de soutenir la concurrence des autres entreprises. D’où, pour la coopérative de production, la nécessité, contradictoire pour les ouvriers, de se gouverner eux-mêmes avec toute l’autorité absolue nécessaire et de jouer vis-à-vis d’eux-mêmes le rôle d’entrepreneurs capitalistes. De cette contradiction la coopérative de production meurt, en ce sens qu’elle redevient une entreprise capitaliste ou bien, au cas où les intérêts des ouvriers sont les plus forts, qu’elle se dissout »

La Belgique compte actuellement 88 banques dont : 56 de droit étranger, 18 de droit belge mais majoritairement contrôlé par l’étranger et 14 de droit belge à majorité belge. Il y a 272,6 milliards d’euros sur les comptes épargnes belges et 332,4 milliards en fond de placement (4). Cela signifie que NewB ne sera qu’une portion infime (0,000826% si on compte 50 millions) du capital présent dans notre pays. Ce sera trop juste pour influencer la manière dont fonctionne la finance en Belgique.

Mais la présence de NewB ne pourrait-elle pas servir d’exemple ? Pourrait-il s’agir d’une sorte « d’échantillon de perfection éthique » qui pourrait aiguiller le reste du marché ? Nous ne le pensons pas, mais il s’agit d’une question qui sera avant tout tranchée par la pratique. L’exemple de la Caisse Wallonne d’Investissement est toutefois assez édifiant.

Cette caisse lancé en 2009 en pleine crise par le gouvernement wallon pour répondre à la volonté grandissante de réglementation du secteur financier et à l’aspiration au retour d’une CGER a donc été lancée avec 20 millions de fond public et 80 millions récoltés via des obligations. Elle a dû attendre 2018 pour commencer à dégager du bénéfice. Elle a commencé son histoire en perdant 5 millions sur les obligations grecques. Ensuite, certaines entreprises ont fait faillites et ont augmenté la sinistralité dans les prêts à hauteur de 3 millions. On en arrive à une perte de 8,5 millions sur 10 ans. Malgré cela, les initiateurs s’estiment heureux car, en comparaison, le modèle Archimède en Flandre à perdu 54 millions sur une levée de fonds de 110 millions.(5)

Coopérative, banque publique ou nationalisation du secteur ?

Dans un débat télévisé, Bernard Bayot, le président de NewB, a fait référence aux années ’80 pour défendre un retour à un secteur bancaire plus diversifié. (6) Il y expliquait qu’alors, les banques commerciales «  fonctionnent pour les dividendes aux actionnaires » au côtés de banques publiques « pour l’intérêt général » et de banques coopératives « pour servir leurs clients-actionnaires ».

En formulant les choses ainsi, il a le mérite de reconnaître ainsi les limites de l’initiative de coopérative qui ne peut remplacer un secteur public qui permettrait à l’État de mobiliser l’épargne comme source de financement pour l’intérêt général. Par certains aspects, le PTB suit la même logique. Ainsi, Raoul Hedebouw écarte la nationalisation de l’ensemble du secteur bancaire dans une interview au journal Le Soir en répondant : « On remet sur pied une banque publique, comme on avait la CGER et le Crédit communal, ce qui suppose une mise de départ de 1 à 2 milliards, puis elle rapporterait. Donc une banque fédérale qui pourra récolter l’épargne des gens, garantir un rendement, investir dans l’économie réelle. Les banques privées restent par ailleurs, mais ce serait une banque plus sûre. » (7)

Mais une banque publique ou une banque coopérative qui refuse les investissements spéculatifs peut-elle résister à la concurrence de banques privées qui, dans des périodes de hauts rendements spéculatifs, sont plus attractives ? C’est pour cela que la CGER (l’ex Caisse Générale d’Épargne et de Retraite) ou des coopératives (comme Arco, dépendant du mouvement ouvrier chrétien) ont été absorbées par le marché bancaire privé. Nous avons assez renfloué le secteur privé avec l’argent de la collectivité ! Réclamons notre dû et plaçons l’ensemble du secteur financier dans les mains de la collectivité ! C’est ainsi que nous pourrons en finir avec la spéculation tout en garantissant tout à la fois la sécurité de l’épargne ainsi que de très bas taux d’intérêts pour les petits commerçants et les particuliers. C’est aussi ainsi que nous serions en mesure de mobiliser l’épargne de la population pour des investissements sociaux et environnementaux qui répondent aux besoins de la population en termes infrastructure, d’énergie renouvelable, de crèches et d’écoles, de transports publics, d’institutions de soin de santé et de logements sociaux.

Pour répondre à la crise du capitalisme, il est vain de vouloir domestiquer les marchés. Le mouvement des travailleurs doit s’appuyer sur un programme de lutte bien élaboré et sur un système de mesures socialistes telles que la nationalisation des banques et des secteurs clés de l’économie et le non-paiement de la dette publique afin d’assurer la transition du capitalisme au socialisme démocratique. Avec un outil politique qui permet d’organiser notre force collective, nous pouvons en finir avec ce régime d’exploitation. Construire cet outil c’est ce à quoi nous nous attelons.

Note :

1) Prêt NINJA : un prêt accordé à des ménages n’ayant ni revenus, ni travail, ni actifs (de l’anglais « No Income, No Jobs and No Assets »). Typiques de l’industrie des prêts hypothécaires aux Etats-Unis et apparus dans les années 2000, les Prêts NINJA ont attiré l’attention du public à partir de l’été 2007, lorsque la crise des subprimes a éclaté.
2) https://plus.lesoir.be/263826/article/2019-11-29/voici-quoi-ressemblera-la-banque-newb
3) Le socialisme ricardien est une branche de la pensée économique classique basée sur le travail de l’économiste David Ricardo (1772-1823). Le terme est utilisé pour décrire les économistes des années 1820 et 1830 qui ont développé une théorie de l’exploitation capitaliste à partir de la théorie développée par Ricardo selon laquelle le travail est la source de toutes les richesses et de la valeur d’échange.
4) https://www.febelfin.be/sites/default/files/2019-06/facts_figures_2018_-_version_fr.pdf
5) https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/la-caisse-wallonne-d-investissement-beneficiaire-en-2018/10124306.html
6) https://www.rtbf.be/info/societe/detail_cqfd-newb-un-investissement-a-risque?id=10371375
7) https://plus.lesoir.be/245799/article/2019-09-05/la-rentree-de-raoul-hedebouw-ptb-elio-di-rupo-mene-une-politique-de-droite

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