Crise, instabilité et fuite en avant – Non à l’offensive turque contre le Rojava !

Mobilisation kurde contre la guerre. Photo: Natalia Medina

Alors que la récession économique mondiale menace, des soulèvements de masse ont déjà éclaté cette année à Hong Kong, en Algérie, au Soudan, en Équateur, en Catalogne, au Liban, en Irak, au Chili, en Égypte,… Face à cette crise économique et sociale grandissante et à l’instabilité qui en découle, les élites dirigeantes vont de plus en plus être amenées à envisager de s’engager dans des aventures risquées pour sauver leur mise. L’agression militaire turque contre le Rojava, au nord-est de la Syrie, est un avertissement du type de fuite en avant auxquelles nous devons nous attendre de la part de dirigeants aux abois.

Par Nicolas Croes

L’exportation d’une crise interne

Les élections locales d’avril dernier ont constitué un revers d’importance inédite pour le parti islamo-conservateur du président Erdogan au pouvoir depuis 2002, l’AKP. Le parti a perdu la capitale Ankara, mais aussi Istanbul et les villes importantes d’Antalya et d’Adana. Ce résultat désastreux a de plus été obtenu en dépit du quasi-monopole médiatique du parti et des milliers d’arrestations d’opposants qui ont eu lieu en se servant du prétexte du coup d’État raté de 2016 ! Le parti du président n’est parvenu à conserver la majorité des votes à l’échelle du pays (51,67%) qu’en s’alliant au parti d’extrême droite MHP.

Si l’AKP avait volé de de victoire électorale en victoire électorale depuis 2002, c’était essentiellement en raison de la forte croissance économique du pays. Cette fois-ci, les thèmes dominants de la campagne étaient la récession économique (la première depuis 2009), la dépréciation de la monnaie turque et la subite augmentation du chômage. Cerné par les défis économiques, sociaux et politiques, Erdogan a choisi d’orienter l’attention de la population vers la Syrie et vers les Kurdes.

L’héroïsme des Kurdes à nouveau trahi

Les Kurdes composent une nation sans État, divisée entre l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie depuis l’application des accords Sykes-Picot, conclus entre puissances impérialistes pour découper le Proche-Orient après la Première guerre mondiale. Suite à l’instabilité qui a suivi l’invasion de l’Irak en 2003, une zone autonome kurde a été créée au nord du pays. Ce fut également le cas au nord de la Syrie lorsque le soulèvement populaire de 2011 a été transformé en guerre civile et que les troupes de Bachar al-Assad ont fait route vers le sud. Ces territoires syriens sont devenus le Rojava, où cohabitent sans heurt différentes ethnies (Kurdes, Arabes et Turkmènes) et différentes confessions religieuses.

Quand l’Etat islamique (Daesh) s’est développé, les milices kurdes ont livré un combat acharné, tout particulièrement en Syrie avec les Unités de protection du peuple (YPG, branche armée du Parti de l’union démocratique, PYD), et ont repoussé Daesh sur le terrain. Une grande zone au Nord de la Syrie était donc sous contrôle kurde, au grand déplaisir du régime turc, qui en craignait les implications pour la lutte pour le droit à l’autodétermination des Kurdes de Turquie.

Personne ne remet en doute l’héroïsme dont ont fait preuve les combattants Kurdes dans leur lutte contre Daesh. Mais, face au péril des terroristes islamistes, ils ont fait alliance avec les États-Unis et la Russie pour obtenir leur soutien aérien.

Tout en comprenant le désespoir de cette situation, le PSL et son organisation internationale, le Comité pour une Internationale Ouvrière, avaient alors rappelé les événements de 1991, quand les États-Unis avaient encouragé un soulèvement des Kurdes contre Saddam Hussein pour ensuite les laisser se faire massacrés. Une fois encore, les combattants kurdes ont été utilisés comme de la chair à canon pour ensuite être abandonnés à la première occasion. Une fois que Daesh, l’ennemi commun, a été chassé, les puissances impérialistes et régionales ont voulu de garantir leurs intérêts. Et aucune d’entre elles ne souhaitent que la combativité des Kurdes à lutter pour leur auto-détermination face barrage à ces derniers.

Dès que Daesh a été repoussé, les États-Unis et la Russie ont permis à la Turquie de déchaîner sa machine de guerre dans l’espoir de stabiliser leurs relations avec le régime turc. Ce n’est qu’en 2016 que des avions turcs ont bombardé pour la première fois les bases de Daesh en Syrie, mais le régime a utilisé le prétexte de la ‘‘guerre contre le terrorisme’’ pour également bombarder les régions kurdes du Rojava. Cette année-là, Erdogan a unilatéralement mis fin au ‘‘processus de paix’’ avec les Kurdes de Turquie et déclenché une véritable guerre contre les régions kurdes du pays. Ensuite, en 2018, la Turquie a déclenché une opération contre Afrin, celui des trois cantons autonomes du Rojava qui était isolé des autres. La troisième étape de ce plan, de bien plus grande ampleur que les précédentes, a été enclenchée ce mois d’octobre contre le reste du Rojava.

Erdogan veut ensuite renvoyer des réfugiés vivant en Turquie dans les différentes parties du Nord et de l’Est de la Syrie en créant des zones tampons entre les régions kurdes en modifiant la structure démographique de ces zones géographiques et en dressant Arabes et Kurdes les uns contre les autres. Avec le risque réel de faire renaître Daesh de ses cendres.

Construisons un large mouvement anti-guerre !

Les États-Unis et la Russie ont déjà clairement laissé tomber le Rojava. Quant à l’Union européenne, elle est prisonnière de sa politique migratoire. Erdogan menace régulièrement depuis 2017 de lever l’accord qui veut que tout migrant arrivé sur les côtes européennes après avoir transité par la Turquie puisse y être renvoyé (un accord dans le cadre duquel l’UE verse trois milliards d’euros à la Turquie). Il s’est fait plus précis après avoir lancé l’offensive sur le Rojava : ‘‘Ô Union européenne, reprenez-vous. Je le dis encore une fois, si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et vous enverrons 3,6 millions de migrants’’.

La seule véritable assistance sur laquelle peut se baser le Rojava est un large mouvement anti-guerre qui intègre dans son combat le droit à l’autodétermination des peuples opprimés et qui saisisse cette occasion pour discuter du type d’État et du type de société dont nous avons besoin pour en finir avec la guerre et l’exploitation. A court terme, il est difficile qu’émerge un mouvement anti-guerre en Turquie en raison de l’absence de droits démocratiques et de liberté d’expression tandis que de larges pans de la classe ouvrière sont influencés par le nationalisme et la propagande de guerre. Mais malgré cela, toutes les forces de gauche, y compris les syndicats, doivent immédiatement agir.
Comme l’expliquent nos camarades de la section turque du CIO : “Les circonstances changeront au fur et à mesure que la guerre s’éternisera et que toutes ses contradictions et conséquences seront révélées aux travailleurs et aux pauvres de Turquie. Il deviendra évident que le régime d’Erdo?an utilise cette guerre pour détourner l’attention de la réalité politique dans laquelle vivent les travailleurs et les pauvres, où la cherté de la vie et le chômage ne font que s’aggraver.”

Un mouvement anti-guerre a déjà fait son irruption dans divers pays d’Europe autour de la communauté kurde. Les syndicats, les ONG et la gauche doivent s’y investir en gardant à l’esprit d’’avoir une attention pour des appels en direction des travailleurs et des pauvres de Turquie pour les détacher de la propagande d’Erdo?an.

Aujourd’hui, le Moyen-Orient est un bain de sang où les travailleurs, les pauvres et les opprimés sont amenés à s’entre-tuer au milieu de la famine, des maladies, de la mort, de la pauvreté et de la migration. L’antidote à ce bain de sang est de lutter contre l’impérialisme et le capitalisme ainsi qu’en faveur d’une véritable alternative reposant sur l’unité de la classe ouvrière sans distinction raciste, sur base d’ethnie ou de confession religieuse ou encore de genre ; pour une société sans exploitation ni oppression nationale, c’est-à-dire une Confédération socialiste démocratique et volontaire du Moyen-Orient. Même si cela semble difficile aujourd’hui, il n’y a pas d’autre solution.

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