“Sorry We Missed You.” Ken Loach dénonce le fléau des emplois précaires et à bas salaire

Pendant un moment, il semblait que le célèbre cinéaste britannique et militant socialiste Ken Loach allait définitivement ranger sa caméra après ‘‘Moi, Daniel Blake’’. Mais il est de retour une fois de plus. Avec ‘‘Sorry We Missed You’’, il se focalise sur la misère et la pauvreté qui se cachent derrière les flexijobs britanniques.

Par Koerian (Gand)

Cinq millions, c’est le nombre de Britanniques qui travaillent de manière indépendante, sans contrat ni sécurité d’emploi. 900.000 d’entre eux travaillent avec des contrats dits ‘‘zéro heure’’, des contrats par lesquels le patron décide au dernier moment où vous travaillez et même si vous travaillez. (1)

Depuis la crise financière, le nombre de ces contrats précaires a grimpé en flèche. Ils représentent un quart de la croissance de l’emploi en Grande-Bretagne depuis 2012. Les patrons tentent d’augmenter leurs profits en réduisant les coûts de main-d’œuvre. Cela fait partie du raz-de-marée de précarité qui frappe particulièrement les États-Unis et la Grande-Bretagne. La Belgique est également touchée, il suffit de penser aux emplois flexibles et aux actions des coursiers de Deliveroo pour de meilleures conditions de travail et de salaire.

La vie dans le cadre d’un contrat ‘‘zéro heure’’ est une vie faite de pauvreté et d’insécurité. Les études montrent que plus une personne reste longtemps coincée dans un travail flexible, plus sa santé mentale et physique se détériore. (2)

C’est cette réalité sociale que dénonce Ken Loach dans ‘‘Sorry, We Missed You’’. Le film suit une famille à Newcastle upon Tyne. La mère, Abby, travaille comme aide-ménagère indépendante et le père, Ricky, essaie de trouver un emploi de livreur de colis en sous-traitance. Le couple a une fille de onze ans très intelligente et un fils adolescent rebelle de quinze ans. Après la crise de 2008, Ricky a perdu son emploi et la maison familiale. L’horaire de travail inhumain de Ricky ne lui laisse pas le temps de rester à la maison, de dormir plus de quelques heures d’affilée ou même d’aller aux toilettes. Lorsqu’il est incapable de travailler pour quelque raison que ce soit et qu’il ne trouve pas lui-même un remplaçant, il paie une amende de 100 livres à son employeur. En l’absence de conventions collectives de travail ou de droits sociaux, l’arbitraire patronal ne connaît pas de limite.

Les espoirs de la famille au début du film – la perspective d’obtenir une hypothèque grâce au nouveau travail de Ricky – ne fait que souligner le désespoir d’une situation où le travail fait plonger plus loin dans la misère.

“Sorry” est à tous points de vue un complément à ‘‘Moi, Daniel Blake’’. Les deux films montrent la réalité quotidienne de grandes couches de travailleurs dans le Nord de l’Angleterre. Aucun de ces deux films ne cherche à adoucir les choses. Le réalisme gris de Ken Loach ne laisse aucune place aux lumières hollywoodiennes. Les deux œuvres constituent de sévères condamnations du néolibéralisme anglais.

Le film est admirablement servi par les performances des acteurs Chris Hitchen et Debbie Honeywood, non pas des acteurs professionnels, mais des parents qui ont élevé leurs enfants en subissant des emplois précaires et mal payés. Ils recevaient toujours leur scénario juste avant d’avoir à jouer la scène en question et les surprises, la tristesse et le désespoir que l’on voit à l’écran sont spontanés. La pression que l’existence incertaine exerce sur chaque membre de la famille, y compris les enfants, est parfaitement interprétée.

Comme toujours, Ken Loach n’offre pas au spectateur une solution ou une alternative. En réalité, il est peut-être un socialiste de principe, mais dans ses films, il se veut chroniqueur. Il se considère comme l’un des rares réalisateurs qui, entre documentaires paresseux et talk-shows, met en lumière la dure réalité de la vie sous le capitalisme. Ce qui est déjà appréciable. Comme il le dit lui-même dans une interview au Guardian : ‘‘Les gens sont conscients des règles tacites [de la bureaucratie télévisuelle] sans lesquelles les émissions seraient pleines de rage sur la pauvreté, l’itinérance, les inégalités grotesques, la stupidité de la privatisation et la faillite du NHS (le service de soins de santé britanniques). (3)

1.https://www.onrec.com/news/statistics-and-trends/zero-hour-contracts-triple-accounting-for-a-quarter-of-total-employment
2.https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/roiw.12316
3.https://www.theguardian.com/film/2019/oct/10/ken-loach-sorry-we-missed-you-interview-poverty-homelessness-inequality-privatisation

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