Catalogne: la grève générale du 18 octobre a illustré l’énorme potentiel du mouvement

Une nouvelle génération radicalisée entre en lutte pour la première fois avec le mouvement de masse, issu de la base, contre les peines de prison prononcées à l’encontre de politiciens indépendantistes catalans. Cependant, pour le moment, il manque au mouvement les structures démocratiques et le programme politique nécessaires à la construction d’une force luttant pour une république catalane indépendante et socialiste. Le potentiel pour cela est néanmoins très important.

Vlad B, Socialismo Revolucionario (CIO dans l’État Espagnol), Barcelone

Une semaine de manifestations de masse à Barcelone et dans d’autres grandes villes catalanes a été couronnée par une grève générale, le vendredi 18 octobre, qui a rassemblé plus d’un demi-million de personnes lors d’un rassemblement dans le centre de Barcelone. Parmi eux, des dizaines de milliers de personnes qui, ces derniers jours, avaient marché des quatre coins de la Catalogne pour converger sur Barcelone. La grève et le rassemblement ont été remarquablement pacifiques, contrastant avec les émeutes qui ont eu lieu plus tard dans la nuit et certaines nuits précédentes. Selon la police, environ 4.500 personnes ont pris part aux émeutes, soit moins de 1% des participants au rassemblement! Cependant, les émeutes ont été massivement surreprésentées dans les principaux médias espagnols, dans le but habituel de saper la légitimité du mouvement de protestation et son soutien populaire. Néanmoins, bien que la colère qui alimente les émeutes soit compréhensible compte tenu de l’absence de direction politique au mouvement, le renforcement de la grève générale permettrait de canaliser cette colère dans un moyen de lutte beaucoup plus efficace.

La grève a été déclenchée par des syndicats indépendants, tels que la CSC-Intersindical, l’Intersindical Alternativa de Catalunya (IAC) et la CGT, avec des taux de participation significatifs dans divers secteurs: 60-80% dans le commerce, 43% dans l’enseignement public, 26,3% dans la santé, 30% parmi les fonctionnaires, 36% des travailleurs des métros et 90% des étudiants. Fait important, contrairement à la grève du 3 octobre 2017 lors du référendum, les travailleurs de l’usine SEAT, la plus grande de Catalogne, ont également déposé leurs outils de travail.

L’ampleur de cette grève est d’autant plus impressionnante que les dirigeants des principales fédérations syndicales telles que la CCOO et l’UGT ne sont pas impliquées. En effet, au lieu de soutenir cette grève, la CCOO et l’UGT ont honteusement négocié une « déclaration » avec les fédérations patronales catalanes, appelant à un « dialogue politique ». Cela reflète la capitulation des dirigeants officiels de gauche et du mouvement des travailleurs face à la question catalane. Leurs appels abstraits au «dialogue» et aux «solutions politiques» sont vains face à la répression d’un État espagnol qui a infligé des peines de prison plus longues aux élus indépendantiste qu’aux auteurs de la tentative de coup d’État militaire de 1981! C’est un État qui justifie ces lourdes peines par «l’opposition matérielle» des dirigeants indépendantistes aux institutions de maintien de l’ordre, ce qui ouvre une voie dangereuse à la criminalisation de toute future mobilisation de masse, notamment des grèves ou des occupations. C’est un État qui tire des balles en caoutchouc sur ses propres citoyens et où les membres des forces de police fraternisent ouvertement avec des voyous fascistes.

Plus fondamentalement, c’est un État qui renferme toujours au sommet une faction ultra-nationaliste et franquiste qui n’accepterait jamais une voie «institutionnelle» vers l’indépendance catalane. Ils collaborent maintenant temporairement avec le gouvernement intérimaire du PSOE, qui préconise d’encadrer les prochaines élections législatives du 10 novembre autour d’un faux sentiment d’unité nationale face à la menace séparatiste. C’est un moyen utile pour le PSOE et le reste de la caste politique de détourner l’attention des problèmes socio-économiques persistants qui touchent la majorité des travailleurs et des jeunes, y compris la baisse de la croissance économique déjà faible, de 0,6% en juin à 0,4% en septembre 2019. Ces partis tentent maintenant de se présenter comme les défenseurs de «l’unité espagnole» et de la Constitution. La classe dirigeante espagnole est en fait divisée et n’a aucune vision cohérente de la gestion de l’économie du pays. Un potentiel gouvernement d’union nationale entre le PSOE et le PP aura des fondations très instables, notamment dans la perspective d’une nouvelle crise économique.

Les tactiques nationalistes actuellement employées par les différentes sections de l’establishment risquent de se retourner contre elles. En effet, sur les lieux de travail, dans les écoles et dans la rue, les événements commencent à se dérouler selon un clivage gauche-droite qui dépasse la Catalogne: avec d’une part, des manifestations de solidarité de masse dans d’autres grandes villes de l’État espagnol, notamment à Madrid, Bilbao, Saint-Sébastien, Valence et Saragosse, où dominent les drapeaux républicains et antifascistes; d’autre part, la répression policière, les assauts fascistes et les politiciens de droite appelant à l’activation de l’article 155 de la Constitution qui suspendrait l’autonomie de la Catalogne. L’échec des dirigeants politiques de gauche est encore plus cuisant dans ce contexte de polarisation croissante. Ils adoptent une fausse neutralité au lieu de se tenir résolument du côté du mouvement de masse.

Les manifestants dans les rues de Barcelone sont conscients du caractère répressif et réactionnaire de l’État espagnol ainsi que de la faillite de la direction de gauche. C’est particulièrement le cas avec les nouvelles couches de jeunes qui entrent en lutte. Bien qu’ils soient relativement ou même complètement nouveaux dans l’activisme politique, ils ne se font pas d’illusions dans un chemin «légal» vers l’indépendance. Ils ne se font pas non plus d’illusions sur les représentants politiques de la génération des «Indignés», tels que Pablo Iglesias et Ada Colau, qui ont fait leur entrée dans la politique traditionnelle et sont devenus partie prenante du même établishment auquel ils étaient censés s’opposer. Lors d’une manifestation à Barcelone, la réception hostile des manifestants envers Gabriel Rufian, dirigeant autrefois populaire d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, parti indépendantiste de type social-démocrate) illustre le sentiment présent. Au cours des deux dernières années, son parti a adopté une vision pessimiste sur la question de l’indépendance, qu’il considère désormais comme un objectif à long terme.

Malgré son image de gauche, l’ERC fait partie de la coalition gouvernementale depuis 2018 qui, avec les libéraux de centre droit de Junts per Catalunya (JxCAT), applique l’austérité dans toute la Catalogne. La volonté d’indépendance d’une grande partie des jeunes en colère qui participent aux manifestations de masse est largement alimentée par les problèmes sociaux et économiques auxquels ils sont confrontés avec leurs familles, plutôt que par un sentiment nationaliste catalan uniquement. Comme l’a expliqué un jeune de 18 ans de Gironne à un journaliste de Público, la démocratie espagnole «est une blague et non un pays économiquement sûr. Je suis devenu indépendantiste grâce aux institutions espagnoles et non pas aux catalanes ». En effet, les syndicats indépendantistes qui ont appelé à la grève du vendredi, principalement CSC-Intersindical et IAC, ont déclaré que leur principale motivation était liée à la revendication d’un salaire minimum plus élevé et à des mesures visant à promouvoir l’égalité sur le lieu de travail.

Tout cela montre que les travailleurs et les jeunes sont de plus en plus conscients du fait que les dirigeants officiels du camp indépendantiste sont non seulement incapables de mener à bien la lutte pour l’indépendance, mais également que le type de république indépendante qu’ils envisagent est au service des élites et non des gens ordinaires. L’indépendance de la Catalogne mérite de lutter en sa faveur, bien sûr, sur la base du droit fondamental à l’autodétermination, mais surtout parce qu’elle offrirait l’occasion historique de construire un type de société différente, où les secteurs clés de l’économie sont sous propriété publique et sous contrôle démocratique de la collectivité afin de répondre aux besoins de la société.

Cependant, pour le moment, aucune organisation de masse ne défend cela vu la faillite déjà mentionnée de la direction officielle de la gauche. Il existe un vide politique évident dans le mouvement de protestation actuel, comme en témoigne le rassemblement de masse de vendredi, où les quelques groupes de gauche n’avaient aucun matériel indiquant la voie à suivre. Mais il y a un énorme appétit pour cela, surtout parmi les jeunes participants. Le mouvement manque actuellement d’un programme politique et d’une stratégie, ainsi que de structures démocratiques pour permettre le développement de ce programme et de cette stratégie. Mais les couches les plus conscientes du mouvement sont clairement assoiffées de contenu politique et de direction.

La Candidatura de Unidad Popular (CUP) doit jouer un rôle plus décisif à cet égard. Elle pourrait utiliser ses représentants élus et une base conséquente pour intervenir avec audace et œuvrer à la mise en place de comités démocratiques qui structureraient et coordonneraient le mouvement autour d’une stratégie et d’un programme radical pour l’indépendance. Socialismo Revolucionario est pleinement disposé à travailler avec tous les groupes intéressés par une telle approche, qui vise à construire un mouvement démocratique et militant luttant pour une république catalane indépendante et socialiste.

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