Il y a de grandes chances que l’année 2019 entre dans l’histoire comme une autre année où la Belgique n’avait pas de gouvernement fédéral en ordre de marche. Le très impopulaire gouvernement suédois est tombé fin 2018, après quoi l’équipe de Charles Michel a continué en affaires courantes sans la N-VA. Depuis lors, Charles Michel, Didier Reynders et Kris Peeters se sont enfuis à l’Europe. La formation d’un nouveau gouvernement fédéral n’est pas évidente dans ce contexte de discrédit des institutions politiques et avec en perspective une nouvelle récession économique. Les gouvernements régionaux seront eux-aussi soumis à des pressions croissantes.
Par Geert Cool
10 milliards à économiser
Même avec un regard optimiste sur les perspectives économiques, le déficit budgétaire s’élèvera à 7,12 milliards d’euros cette année et à 10,33 milliards l’année prochaine. Le Bureau fédéral du Plan a abaissé les prévisions de croissance pour cette année à 1,1% et prévoit que seulement 37.000 emplois seront créés en 2020, soit près de la moitié des années précédentes. Après des années d’austérité, il est donc question de persévérer. La politique du gouvernement Michel n’a pas abouti aux résultats escomptés. Comment s’étonner que la confiance envers la politique soit en berne ?
Les élections ont sévèrement frappé les partis du gouvernement Michel. La N-VA a tenté de camoufler sa politique antisociale derrière un discours anti-migrants, ce qui a pavé la voie au Vlaams Belang. Quatre mois après les élections, les autres partis traditionnels flamands sont tellement dans les cordes que la N-VA parvient à faire oublier que c’est elle qui a perdu le plus. Le premier sondage post-élection a été désastreux pour le parti, qui a chuté à 22,7% et a dû céder la place au Vlaams Belang.
Si l’extrême droite parvient à marquer des points, c’est essentiellement en raison de l’absence d’une alternative suffisamment crédible. Les partis traditionnels sont aux commandes. Heureusement, il y a eu la percée du PTB, parti désormais représenté dans tous les parlements du pays. Le PTB peut utiliser cette percée pour organiser et renforcer les luttes dans la rue et sur les lieux de travail. Il faut éviter de revivre la situation de cet été, où la N-VA et le VB ont eu le monopole du débat public du côté flamand au point que le quotidien De Standaard a parlé du ‘‘silence de la gauche’’ et de ‘‘l’été de la droite’’.
A quelle austérité s’attendre ?
Avant les élections, le PSL a proposé de construire un rapport de force pour rompre avec le carcan budgétaire qui nous étrangle. Le meilleur moyen d’y parvenir est de mener des campagnes sérieuses autour de revendications offensives (les 14 euros de salaire minimum horaire, les 1.500 euros par mois de pension minimum, les 30 heures de travail par semaine sans perte de salaire et avec un embauche compensatoire, un programme massif d’investissements publics dans les infrastructures et les services publics,…).
Et les accords wallon et bruxellois alors ? A en croire le PS, ils comprennent des propositions progressistes, quand bien même sont-elles prudentes et pas toujours clairement budgétées, comme la gratuité des transports en commun pour les plus de 65 ans et les moins de 25 ans à la STIB et progressivement au TEC, les 70.000 repas scolaires gratuits et les 12.000 nouveaux logements sociaux. Il est question d’investir dans la mobilité et le logement abordable. Si ces mesures sont efficaces, elles seront les bienvenues. Mais c’est encore insuffisant pour inverser l’impact de l’austérité et mettre fin à la pauvreté, à la pénurie de logements et à d’autres problèmes sociaux. A Bruxelles, les revendications du personnel des pouvoirs locaux et régionaux n’ont pas été satisfaites (voir par ailleurs en page 5) en dépit des promesses électorales. Au niveau de la Région wallonne et de la Communauté Wallonie-Bruxelles, Thierry Bodson (FGTB wallonne) fait valoir que les accords de coalition ne reflètent pas la voix des électeurs.
Comment financer tout cela ? Certainement pas en allant chercher l’argent là où il est. Les libéraux ne veulent rien entendre. Les grands projets d’infrastructure devraient être exclus du budget pour bénéficier d’une marge supplémentaire en augmentant la dette. Entre 2014 et 2018, la dette des différentes régions est passée de 50 milliards d’euros à 60,4 milliards d’euros. L’Europe sera invitée à accepter la situation. Si elle refuse, l’argument est tout trouvé pour ne rien faire : la faute à l’Europe ! Pour certaines mesures symboliques, le financement pourrait être supporté par d’autres usagers, en augmentant les tarifs des transports en commun pour permettre la gratuité à certaines couches par exemple. De nombreuses ambiguïtés existent pour permettre d’éviter la mise en œuvre de mesures sociales très timides, mais tout de même très attendues. Parallèlement, les politiques d’austérité dans d’autres domaines ne manqueront pas d’être appliquées.
Flandre : à droite toute ?
Du côté flamand, la N-VA donne le ton. Il n’y aura pas de mesure sociale. Dans l’édition de septembre de Lutte Socialiste, nous avions écrit que la protection sociale allait être progressivement supprimée pour les migrants, mais que les choses n’en resteraient pas là. L’encre de notre journal était à peine sèche qu’était reprise la vielle proposition d’un service communautaire pour les chômeurs. Du travail forcé au lieu du travail salarié, en clair. Ce que nous connaissons déjà du projet du gouvernement flamand donne une idée claire de la direction adoptée : accès plus difficile à la protection sociale et absence totale d’investissement dans la sécurité sociale et les services publics. La pression des bons sondages pour le VB pousse les propositions de la N-VA encore plus à droite, même si le VB a obtenu cette position en se présentant hypocritement comme un adversaire de la politique antisociale.
On peut se demander dans quelle mesure le CD&V, très affaibli, vendra la chose aux affiliés de la CSC. Les chrétiens-démocrates ont été sanctionnés pour leur politique antisociale, contre laquelle la base de la CSC a massivement manifesté. Une fois les élections passées, l’état-major du CD&V s’en est pris aux dirigeants de la CSC qui avaient (pourtant très prudemment) critiqué le parti. Il devient extrêmement compliqué aux dirigeants de la CSC d’expliquer pourquoi encore entretenir des liens avec le CD&V. Dans les sondages, le CD&V n’en finit pas de sombrer et semble suivre la voie du CDH.
Qui va appliquer l’austérité, et avec qui ?
Les informateurs Reynders (MR) et Vande Lanotte (SP.a) attendent que les gouvernements régionaux constituent un gouvernement fédéral. Jusqu’à présent, ils n’ont éliminé de l’équation que la gauche radicale et l’extrême droite. Le CDH a décidé de lui-même d’opter pour l’opposition, tandis qu’Ecolo refuse de négocier avec la N-VA et que Groen ne veut pas rejoindre un gouvernement sans Ecolo. Il reste donc quatre partis flamands et deux partis francophones, avec un parti flamand de plus qui pourrait abandonner. Ce n’est cependant pas en jouant à la chaise musicale en retirant une chaise à l’occasion que l’on parviendra à une équipe stable de survivants.
La possibilité d’un gouvernement sans la N-VA demeure, mais elle est difficile à concrétiser car il n’y aurait pas de majorité du côté flamand. Un gouvernement avec la N-VA et le PS est difficile à vendre pour ces deux partis qui cachent systématiquement leurs propres échecs derrière leur hostilité l’un envers l’autre. La formation des gouvernements régionaux présentent des nuances, mais il est évident que tous ces partis acceptent la logique d’austérité : à la population de se serrer la ceinture pour donner un ‘‘répit’’ supplémentaire aux entreprises. Les plus grandes différences ne concernent que l’enthousiasme et le cadre dans lequel s’inscrit cette acceptation des limites du néolibéralisme. Le discrédit du monde politique accroît l’instabilité et rend le casse-tête encore plus difficile pour le gouvernement fédéral.
Le mouvement ouvrier doit imprimer sa marque sur les événements
Pour la classe dominante, la chose est évidente : qu’importe la composition du gouvernement, la majorité de la population devra trinquer. Résistons ! Après les élections, le mouvement ouvrier a à peine fait entendre sa voix dans le débat, très certainement du côté flamand où les syndicats et la gauche n’ont pas du tout été mentionnés. En conséquence, le débat public portait presque exclusivement sur l’identité flamande, le rejet des migrants et l’extrême droite.
Nous ne pouvons pas blâmer uniquement les médias traditionnels : le mouvement ouvrier a la possibilité de prendre ses propres initiatives par des campagnes et des actions. Il suffit de voir comment, à l’automne 2014, les revendications sociales ont été au centre du débat grâce au plan d’action des syndicats allant crescendo. Il existe un potentiel de campagnes autour d’un salaire minimum plus élevé (Fight for €14), d’augmentations salariales (comme le personnel local bruxellois), de ressources plus importantes (comme dans le secteur des soins) ou d’une pension minimum (comme la pétition lancée par le PTB). Ces campagnes doivent être menées avec la participation la plus large possible dans la rue et sur les lieux de travail afin de convaincre nos collègues, notre famille et nos proches.
Des campagnes combatives et bien constructives peuvent rendre les conversations sur le terrain moins dominées par le racisme et elles peuvent montrer clairement que le VB prétend être social, mais qu’il utilise seulement ce masque pour répandre davantage de divisions. Nous devrons nous battre pour faire respecter nos revendications. Dans le contexte d’une nouvelle récession, nous ne recevrons certainement rien en cadeau. Le PSL joue un rôle actif dans les mouvements de lutte, en défendant la nécessité d’un changement de société : une alternative socialiste contre les inégalités et les problèmes sociaux et écologiques inhérents au capitalisme.