Econocom licencie son délégué principal. Entretien avec Laurent Vanhaelen

La période des soldes sociales : le moment idéal pour se débarrasser d’un délégué syndical jugé encombrant.

Econocom, une multinationale active dans les services informatiques, traîne derrière elle une belle liste de syndicalistes limogés. En 2015 le
délégué principal avait été prié de partir avec menace de faute grave. En 2016, 3 nouveaux délégués ont été licenciés. Cette année, un délégué syndical présent depuis 10 ans dans la société et qui avait reçu un mandat syndical en décembre 2018 a été licencié le 27 mai tandis qu’une procédure pour faute grave a été lancée à l’encontre d’une représentante du personnel le surlendemain, le 29 mai. Fin juillet, ce fut au tour du délégué principal (CNE) Laurent Vanhaelen, élu aux élections sociales à 5 reprises, d’être victime d’une mesure de licenciement après 19 années passées dans l’entreprise.

Les 30 juillet et 23 août derniers, deux actions syndicales ont pris place aux portes des locaux d’Econocom à Zaventem afin d’exiger sa réintégration. Nous avons discuté avec Laurent de cette situation.

=> La prochaine action de solidarité contre le licenciement de Laurent se déroulera le vendredi 6 septembre à 7h rue des colonies à Bruxelles. (Événement Facebook).

Socialisme.be : Ça fait donc 6 délégués éjectés en 3 ans chez Econocom. Dans ses motifs de justification, la direction pointe explicitement ton travail syndical. Il y a une guerre contre les représentants du personnel ?

Laurent VH : Oui. Dans la lettre de licenciement, une des raisons invoquées est que je ne fais que du syndicalisme. Je ne peux pas obliger le patron à me donner du travail. En fait, on leur a fait la demande explicite de me donner des missions, ce qu’ils ont toujours refusé, et ce depuis 2012. Bien que ce ne soit pas une raison valable pour me licencier, cela illustre que c’est le travail syndical qui est visé.

Et étant donné qu’il n’existe aucune raison valable pour ce licenciement – ils ne citent pas le motif d’une faute grave pour la bonne et simple raison qu’il n’y en a pas – ils sont prêts à payer mon licenciement. Ils achètent l’écartement d’un délégué syndical. Mais en plus, comme raison pour m’évincer, ils citent notamment ma présence à une action menée avec la délégation chez un client d’Econocom : le 6 juin à la STIB.

Socialisme.be : Quels étaient la cause et le but de cette action à la STIB ?

L.VH : De plus en plus dans les entreprises où Econocom s’installe, Econocom a recours à des travailleurs de plus en plus précaires. Nous revendiquons des conditions de travail identiques pour tous. Mais nous n’avons reçu que quelques réponses vagues suite à nos demandes. Du coup, pour montrer notre sérieux, nous sommes allés distribuer des tracts devant la STIB. Nous revendiquons la même assurance hospitalisation, les mêmes conditions de mobilité et de voiture de fonction, et le même minimum salarial pour tous. La direction a répondu que ce n’était pas possible car les employés en question étaient soit indépendants, soit d’une autre entreprise. Nous argumentons qu’il fallait alors les embaucher et les salarier.

Socialisme.be : Il y a déjà quelques années déjà, la lutte contre le recours au statut de faux indépendant était d’ailleurs au coeur du travail syndical à Econocom.

L.VH : Lors de l’action du 6 juin, nous avons distribué un tract déjà utilisé il y a trois ans ! A la suite de cette action, les participants ont tous reçu un recommandé avec une série de reproches vis-à-vis de cette action, une réaction particulièrement violente dans les mots. Mais ce n’est pas tout puisque le 27 mai, le lendemain des élections du 26 mai, la direction a licencié un délégué syndical, mandaté seulement 6 mois auparavant ! Généralement le patron qui veut garantir le maximum de paix sociale ne licencie pas un délégué, il n’agit de la sorte que’il veut en découdre avec la délégation.

Econocom brise les systèmes sociaux, les acquis, les contrats,… en ayant recours à de faux indépendants ou à des consultants en  »intérim déguisé ». Ils ont par exemple mis sur pieds ‘’Digitalent’’, une entité appartenant à 100% à Econocom mais qui échappe aux structures de concertations, sans conseil d’entreprise donc, mais aussi sans CPPT, etc. Petit à petit ils essayent de remplacer les employés par des nouveaux, cette fois-ci embauchés par Digitalent. Ces nouveaux statuts d’interim déguisé et de faux indépendants, viennent en concurrence avec les travailleurs chez le client, mais aussi au sein des autres entités d’Econocom. Notre délégué licencié en mai s’était positionné contre ces pratiques, notamment.

Socialisme.be : La situation économique s’assombrit. La faible reprise économique après la crise de 2008-2009 ne profite pas aux travailleurs et les ralentissements qui se dessinent en Chine et, plus proche de nous, en Allemagne, annoncent de nouvelles difficultés accompagnées de possibles nouvelles pertes d’emplois et restructurations. Cette chasse aux syndicalistes ne prépare-t-elle pas le terrain pour tenter d’affaiblir la résistance ?

L.VH : Je partage ton analyse. La direction d’Econocom tente d’effrayer constamment les syndicalistes par la menace mais aussi le dénigrement. Dès qu’on cherche à défendre nos conditions de travail, elle nous taxe de vivre à une époque révolue. Pourtant, c’est bien ce patronat qui cherche presqu’à « littéralement » embaucher des employés sous des statuts comparables aux serfs du moyen-âge. Avec de multiples sociétés différentes au sein de la même entreprise, telles que Digitalent par exemple, la direction impose une sévère compétition entre travailleurs au sein même du groupe, avec la complicité du management des différentes entités. Après, ce sont les employés qui en paient le coût avec la dégradation de leurs conditions de travail.

Chez Econocom, en 2015-2016, les effectifs ont  »fondu » de moitié passant de 800 travailleurs à 400 environ. Mais les difficultés ne sont pas derrière nous. Econocom délivre des services informatiques à des entreprises clientes. Beaucoup de travailleurs d’Econocom travaillent dans les entreprises clientes. C’est une épreuve pour le travail syndical, les collègues étant dispatchés dans diverses entreprises, il est excessivement difficile de les atteindre, de les rencontrer et même de les connaître! Econocom est également une société qui finance les projets informatiques de ses clients. Aujourd’hui, avec les taux d’intérêts bas, voire nuls, les entreprises ne sont pas en recherche de fonds pour financer leur propre secteur informatique. Une situation qui peut à terme poser des problèmes au modèle économique d’Econocom.

Maintenant, il est certain que s’attaquer ainsi à la délégation syndicale à la veille des élections sociales, cela vise aussi à décourager les futurs candidats de s’investir et à menacer les délégués qui restent pour qu’ils ne résistent pas aux attaques contre nos statuts, nos contrats, nos rémunérations.

Ci dessous, vous trouverez un modèle de motion de solidarité, pour les délégations syndicales qui veulent soutenir la lutte pour la réintégration de Laurent. Elle est notamment signée par la CGSP-ALR de Bruxelles.

Motion de solidarité avec Laurent Vanhaelen, délégué CNE d’Econocom.

Nous demandons que Laurent Vanhaelen, délégué depuis 19 ans et 5 mandats (secrétaire du comité d’entreprise et délégué auprès du comité d’entreprise européen), soit réintégré chez Econocom.

Le licenciement brutal de Laurent – dont la procédure n’a pas été respectée et où il est écrit que l’activité syndicale est la raison du  licenciement – est une attaque anti-syndicale qui s’inscrit dans la guérilla menée depuis des années par Econocom contre ses représentants syndicaux : 4 autres délégués ont déjà été licenciés au cours des trois dernières années. La direction n’a aucun respect pour les organes syndicaux, elle inscrit littéralement le temps syndical sur le bulletin de salaire (ce qui rend difficile le passage à une banque ou à un propriétaire …), lance des attaques personnelles, envoie des lettres recommandées avec notifications aux délégués, …

Des entreprises telles que Econocom utilisent le fait que 2020 soit une année d’élections sociales et que les frais de protection sont actuellement les plus bas, pour se débarrasser des délégués militants tels que Laurent. Il s’agit d’une grave atteinte aux droits syndicaux : l’employeur met le syndicat complètement à l’écart et dissuade également les futurs candidats de se présenter aux prochaines élections. En conséquence, tout le travail syndical des dernières décennies est remis en question.

Nous réclamons la réintégration de Laurent et continuerons à nous opposer à son renvoi. En outre, nous continuerons à lutter pour nos libertés syndicales, la liberté d’exercer notre mandat et le droit à la négociation collective. S’attaquer à l’un d’entre nous, c’est s’attaquer à tout le mouvement syndical !

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